mercredi 27 janvier 2010

Gainsbourg (Vie héroïque), de Joann Sfar (France, 2010)

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Note :
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Considérant toute l’histoire de Serge Gainsbourg comme un mythe contemporain, c’est à dire forcément connue de tous, le bédéaste Joann Sfar se refuse d’emblée au biopic trop classique ou trop
explicatif, qui aurait consisté à raconter de façon linéaire et très illustrée la carrière du chanteur mêlée à sa vie privée et à ses nombreux coups d’éclats publics… A un tel déballage pour lequel
beaucoup aurait opté par facilité, il préfère pourtant une évocation de la figure « Gainsbourg », avec tout ce que cela peut avoir d’elliptique et de poétique… Et c’est tant mieux ! Comme il
l’écrit lui-même en exergue à la fin de son film, ce qui l’intéresse le plus chez Gainsbourg, ce ne sont pas ses vérités, mais bel et bien plutôt ses mensonges, c’est à dire au fond son œuvre… Et
quoi de mieux comme mensonges que de faire rattraper l’histoire du chanteur par une fiction des plus excitantes ? Sfar nous plonge d’emblée dans le faux, en s’affirmant comme conteur d’une part
(sous le titre du film qui apparaît à l’écran, on peut lire « un conte de Joann Sfar ») et en élaborant un récit en forme de conte dès le début du film d’autre part, sous la forme d’une petite
histoire inventée et racontée par Lucien Ginsburg enfant… Cette histoire, il s’agit de celle d’un homme dont la tête gonfle de plus en plus, provoquant les railleries des gens. Le personnage
préfère alors faire gonfler sa tête jusqu’à ce qu’elle explose et qu’elle le transforme en quelqu’un d’autre, véritable double de l’auteur, on y reviendra…

Ce qui surprend très vite dans « Gainsbourg : vie héroïque », c’est la maîtrise d’une mise en scène soignée et plein de subtilités, ce qui impressionne fatalement de la part d’un jeune cinéaste
dont c’est le premier film. Je serais tenté de dire que les bandes dessinées de Sfar ont souvent une perspective très cinématographique, ce qui justement expliquerait cela, bla bla bla… Bon, tout
n’est pas toujours réussi et pertinent, et le film n’est pas à l’abri de quelques menues longueurs, mais on sent une volonté d’essayer des choses, de rendre le récit fluide par le biais d’habiles
transitions ; on sent en somme la recherche d’un point de vue véritablement original… De l’audace et encore de l’audace, c’est ce qu’on aime dans ce premier film ! Même si l’on peut regretter une
certaine retenue, provoquée sans doute par une excessive timidité relative à un premier tournage, on observe tout de même bien une fougue et une folie assez pertinente dans la réalisation de ce
long métrage, qui réserve bien des surprises et des fantaisies réjouissantes à son spectateur, qui ne peut ressortir de là que combler, les yeux un peu humides et le sourire aux lèvres… Entre
certaines audaces formelles et autres délires visuels (un survol de nuit sur les toits de Paris, une scène d’incendie volontairement irréaliste et bouffonne…), Sfar laisse entrevoir toute une foule
de sentiments, de la nostalgie à la farce, de la mélancolie à la grâce, de la folie à l’amour fou… Il signe aussi un film d’une étrange « modernité datée », entre esprit « nouvelle vague » et film
d’animation poétique, peut-être ?

Bien plus que de la vie de Gainsbourg, le film parle avant tout de l’art, de l’acte créateur et du fait d’être un artiste… Et quelle meilleure figure que ce chanteur de génie pour le dire, auquel
Sfar semble d’ailleurs vouer un culte à la folie ? Le choix était idéal… et le résultat demeure assez puissant, à vrai dire ! Le film gomme quasiment toutes la vie médiatique et archi-connue du
personnage pour se concentrer purement et simplement sur ses préoccupations artistiques, de la peinture à la chanson, marquées et influencées par ses nombreuses conquêtes amoureuses : l’amour et
l’art, l’amour de l’art, l’art de l’amour… On retiendra surtout l’image d’un artiste toujours sur le fil, d’un Gainsbourg en constant déséquilibre, titubant, comme un soir au bord de la Seine avec
Jane, sur le point de tomber… et puis finalement pas. C’est une très belle image de l’entre-deux, où marche comme un funambule celui qui prend alors le risque de tomber. Comme tout génie créateur
prend sa source sur une faille immense, Sfar va chercher celle de Gainsbourg dans son enfance, dans le regard de cet enfant juif intérieurement révolté qui chante la marseillaise dans les rues
d’une France occupée… Une chanson qu’il reprendra bien plus tard, au sommet d’une carrière immense, devant un parterre de fans et de fascistes qui l’accusent de souiller un symbole national. « Je
suis un insoumis », dit-il en reprenant la chanson et en lui redonnant effectivement « son sens initial », l’achevant par provocation sur un bras d’honneur… La scène est curieusement dédoublée pour
laisser chanter le petit garçon à la place de l’adulte, instant intense, presque magique, dans un film déjà plein de grâce. Et à propos de dédoublement justement, le cinéaste en herbe a la
brillante idée de donner à son personnage un double sous les traits d’un étrange homme-marionnette, qui s’invite dans nombre de séquences du film. Un couple de deux Gainsbourg s’affrontent alors à
l’écran, le talentueux artiste introverti se laissant bien trop souvent entraîner (et dévorer ?) par cet étrange monstre avide de gloire, basé sur de la provocation un peu facile… De Gainsbourg à
Gainsbarre, Sfar file la métaphore. Tout cela est plutôt astucieux et malin, et fait accéder haut la main Joann Sfar au rang de cinéaste, dont on attend désormais les prochains travaux avec
impatience ! Le générique animé de son film, rappelant le trait naïf et poétique de ses BDs, et l’apparition merveilleuse du chat de Juliette Greco, nous rappelle d’ailleurs que l’adaptation de son
œuvre jusque-là la plus fameuse (« Le chat du rabbin ») en film d’animation est actuellement en cours… Chic !

PS : Souvent remarqué dans des seconds rôles (récemment dans « Le père de
mes enfants
»), Eric Elmosnino est extraordinaire en Gainsbourg ! Pour le reste du casting, si Laetitia Casta incarne une Bardot idéale et fringante, on n’en dira pas forcément autant de
l’interprète de Birkin, plus effacée…






























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11 commentaires:

  1. Un film sur Gainsbourg c'est toujours intéressant.
    J'avais un peu peur de l'aspect "conte" mais apparemment c'est plutôt un atout.

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  2. J'ai beaucoup aimé ce conte très intéréssant et original. Pour ma part, c'est surtout avec Forestier que j'ai eu du mal mais bon déjà à la base je suis pas fan de l'actrice donc ca n'aide pas :P

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  3. 3 étoiles pour un biopic sur Gainsbourg ?
    Quoi que si on oublie que le film parle de la vie vie de Gainsbourg, le sujet à l'air plutôt intéressant.

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  4. J'ai pas une assez grande connaissance de l'artiste en lui même du coup j'hésite un peu à chroniqué mon avis sur mon blog mais bon pourquoi pas peut être. Quand à Forestier, elle ne m'as rien fait
    c'est juste que j'accroche pas à sa façon de jouer (ni à sa façon de parler d'ailleurs quand elle est en promo...). Je sais pas il y a pas d'affinité lol

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  5. je vais regarder les bd de Sfar (quoique le chat du rabbin, ça me dit quelque chose) pour le film, j'ai envie et pas envie de le voir - bref merci pour cette critique.

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  6. Ca a l'air d'être un super film !

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  7. Hello! Je vois que le film remporte tous les suffrages sur tous les blogs sur lesquels je me balade. Et c'est mérité! Ce film est un véritable enchantement, une bouffée d'air frais bienvenue dans
    un monde cinématographique un peu conventionnel.

    Sfar a fait un boulot énorme, Elmosnino est bluffant, les seconds rôles sont bien bossés, et je suis d'accord avec toi: Lucy Gordon n'est pas transcendante (je sais, je sais, c'est mal de dire du
    mal des morts, mais bon...). Un coup de coeur!

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  8. Il aurait été tellemennt facile de tomber dans le piège du déballage sentimental. je me réjouis de ce que cet écueil ait été évité.

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  9. Bon, encore une fois, je viens jouer les rabats-joie... Gnaca Gnaca Gnaca ( rire démoniaque !  ) Devine quoi ?!
    Je n'ai pas accroché.
    Le côté "conte" qui a emerveillé tant de spectateurs m'a, au contraire gonflé et j'ai trouvé le film assez mou. Heureusement qu'il y avait l'excellente prestation de Eric Elmosnino pour me retenir
    sur mon siège...
    Quoi qu’il en soit, je salue le courage et l’ambition de Joan Sfar, l’idée était bonne, et à rencontré son public, pour ma part j’aurai préféré qu’il en fasse une bande-dessinée plutôt qu’un film !

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  10. Evidemment pas du tout d'accord avec toi, comme tu l'as lu sur mon blog. Mais contrairement à ce que tu dis dans ton commentaire, je n'ai pas vraiment détesté. J'ai trouvé simplement que le film
    était totallement dissonant et maladroit, et je n'y suis jamais entré. Mais c'est quand même pas complètement nul, je te l'accorde.

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  11. ah... eh bien je me contenterai de ça alors... ;)

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