jeudi 6 janvier 2011

[Critique] Le cheval de Turin, de Bela Tarr



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Le cheval de Turin, de Bela Tarr (Hongrie, 2011)



Sortie le 30 septembre 2011



Note :
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Pour ce qu’il prétend être son dernier film, « dernier » afin de ne pas se répéter dans son art (ce qui est tout à son honneur), le cinéaste Bela Tarr nous emmène dans la campagne autour de Turin
en 1889, dans une ferme à peu près au milieu de nulle part, où l’on assiste à ce qu’il semble être les six derniers jours du monde, du point de vue d’un vieil homme, de sa fille et d’un vieux
cheval fourbu qu’ils viennent de récupérer… On assiste à la répétition de leur vie quotidienne, de leurs gestes habituels, alors que tout part progressivement à vau-l’eau autour d’eux : les
éléments se déchaînent, la tempête se lève pour ne jamais retomber, le puit se vide mystérieusement de son eau et enfin les ténèbres envahissent tout…

Malgré de nombreuses ellipses, sans quoi le film aurait du durer six jours (alors qu’il ne fait « que » 2h30), le cinéaste nous fait bien ressentir la durée et le rythme lent d’une morne vie.
Pour cela, il utilise bien sûr le principe de répétition des choses : le rituel du levé ou du couché, le repas (à peu près toujours le même, à base exclusivement d’une grosse patate chaude),
aller chercher de l’eau au puit (enfin, tant qu’il y en a…), s’occuper du cheval qui sombre dans une douce dépression, refusant finalement de se nourrir pour se laisser mourir, conscient
probablement de la fin prochaine du monde autour… Mais la lenteur, voire la langueur, du film, est aussi induite par ces longs plans séquences qui fonctionnent comme un procédé virtuose dans le
cinéma de Bela Tarr ! On est bluffé par la beauté de ces images, par la grâce de ces personnages simples qui conduisent pourtant le champ de la caméra, par ces mouvements de mise en scène presque
fantastiques, si parfaits qu’ils paraîtraient presque menés par la main de Dieu lui-même…

Tout cela pourrait sembler prétentieux ou pénible, peut-être même les deux, et pourtant le résultat est tout simplement saisissant : heureux les spectateurs qui ne seront pas conduits vers la
sortie de la salle de cinéma au seuil de chaque nouveau jour de l’histoire, ou qui ne seront pas saisis par un sommeil profond à la vue de ce film sombre au noir et blanc pourtant superbe (les
contrastes et le travail de la lumière est à se damner !), car leur patience sera récompensée par un sentiment presque apaisant… La douce mélancolie qui inonde peu à peu « Le cheval de Turin »
(autant le film en lui-même que l’animal qu’il met en scène) crée en effet une étrange sérénité, comme un baume qui embrasserait l’univers tout entier. Il faut dire aussi que l’apocalypse
présentée ici n’a rien à voir avec les propositions et les représentations habituelles de fin du monde : elle se révèle plutôt comme une Genèse inversée (comprenez la déconstruction du monde en
six jours, par exemple… comme sa construction biblique !), dont la douceur même avec laquelle elle se produit est d’un réconfort troublant et d’une mystérieuse fascination… De ces chemins
mortifères naît alors une forme de satisfaction inattendue, celle peut-être d’avoir triomphé d’un film esthétiquement sublime, dont la raison d’être n’est pas tant la projection mais sa durée :
celle finalement de ce temps hors de tout, de ces 2h30 disparues dans cet abîme profond au bord duquel on a résisté malgré l’irrésistible attraction qui nous poussait à y plonger à jamais…



 



Mise en perspective :



- Melancholia, de Lars Von Trier































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2 commentaires:

  1. En ce moment les films longs et contemplatifs ne me font pas peur... je finirai certainement par aller défier Le Cheval de Turin !

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  2. Je suis pour les expériences cinématographiques, il faut juste que je puisse caser les 2h30 quelque part !

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