jeudi 1 mars 2012

[Critique] Bovines, d’Emmanuel Gras



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(France, 2011)



Sortie le 22 février 2012




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Documentaire sans commentaire sur la vie des vaches, « Bovines (ou la vraie vie des vaches) » est peut-être d’abord l’œuvre d’un plasticien. Emmanuel Gras filme en effet ces animaux comme cela
n’a probablement jamais été fait, avec une dimension aux frontières du « fantastique » des plus inattendue ! Dès les premiers plans, le film annonce d’ailleurs la couleur : des vastes prés verts
à l’aurore, saisis dans une semi-lumière (ou semi-pénombre ?) presque impressionniste, avec les corps imposants de magnifiques charolaises blanches qui se détachent peu à peu dans la brume,
immobiles, à mesure que la caméra s’approche et rentre dans le « champ »…

Le cinéaste soigne ses plans, ses cadrages et se permet toutes les audaces formelles et même tous les styles, partant du documentaire brut pour recréer toute une série de genres
cinématographiques grâce à son sujet agricole… On est proche du film d’horreur lorsqu’on observe une vache brouter au plus près de son museau, qui se met à recouvrir tout l’écran comme la gueule
d’un animal imaginaire gigantesque, avec ce son effrayant et assourdissant de mastication ! On est en pleine comédie burlesque lorsque l’on voit ces pauvres vaches s’interroger sur la présence
d’un sac plastique emporté par le vent au beau milieu de leur champ… On atteint une forme de mysticisme quand une vache cherchant à attraper une branche avec la langue pour la secouer et en faire
tomber des pommes donne l’impression d’être en train de brouter le soleil, levant le museau vers le ciel et par là même vers une forme de divin ?

Emmanuel Gras a su capter des moments vraiment idéaux et surprenants de la vie de simples vaches : il parvient ainsi à nous faire redécouvrir cet animal si commun dans nos campagnes (20 millions
de vaches sont élevées en France !) qu’on l’avait presque oublié… Alors on assiste au spectacle entre admiration et contemplation : on a l’impression qu’il ne se passe rien, et pourtant ça broute
et ça se lèche à tout va, ça donne naissance à des veaux l’air de rien (le film propose une séquence sidérante en temps réel d’un accouchement tranquille et sans douleur… ça devrait en rendre
jalouse plus d’une !), et ça se dresse toujours sur ses quatre pattes, à regarder placidement le vide et le néant qui les environne… Elles sont belles, les charolaises de nos campagnes ! Elles
nous lancent des regards caméra intenses et mystérieux, avec ce regard bovin qu’on leur connaît, sans que l’on sache si elles nous menacent, si elles nous questionnent ou si elles nous
hypnotisent… Car à quoi pensent-elles, au juste, ces belles des champs, à ruminer ainsi toute la journée ? Cet air placide leur donne justement toute leur grâce : après tout, est-ce que « Bovines
» ne rime pas avec « Divines » ?

En plein Salon de l’agriculture à Paris et à mille lieues de la noirceur lugubre des élevages sous hormones de « Bullhead », le film semble glorifier la vie paisible des vaches élevées en plein air, mais
sans pour autant l’opposer à celle de l’élevage intensif, qui s’avère pourtant malheureusement être la norme… Du coup, tout a l’air heureux et bucolique, en somme « vachement » bien dans le
meilleur des mondes, mais c’est sans compter alors avec un finale abrupt et déchirant, rappelant assez durement la triste vie des vaches, condamnées à nous servir (du lait, notamment) et à être
servies (en plat de résistance !) Séparées de leurs veaux que l’on emmène dans un camion (certainement à l’abattoir), on ressent alors avec une troublante émotion toute la tragédie de ces pauvres
mères vaches qui restent à beugler tant qu’elles peuvent, voyant leurs petits leur être arrachés pour toujours… Inhumain ? Non : bovin !



 



Perspectives :



- Le temps des grâces, de Dominique Marchais



- Tous au Larzac, de Christian Rouaud































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2 commentaires:

  1. Tiens voilà une une bien belle curiosité cinématographique. Pourvu qu'il passe à Calais le mois prochain ! Je sens mes racines paysannes ressurgir !

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  2. alors il passe ? je te le souhaite en tout cas... un film qui donne envie d'être vache... ;)

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