mercredi 4 janvier 2012

[Analyse] Mylène Farmer et le cinéma


mylene_farmer_1.jpg« Je ressentais, en tout cas, que
c’était pour moi un besoin vital. A tel point que je disais : Si je ne fais pas de cinéma, j’en mourrai… » *



Avant d’être la chanteuse que l’on sait, Mylène Gautier rêvait de cinéma. Mais après un passage au cour Florent à Paris et quelques tentatives « alimentaires » pour devenir actrice
(essentiellement des publicités pour le Loto ou une célèbre marque de lessive), sa rencontre avec Laurent Boutonnat, lui aussi passionné de cinéma, bouleversera radicalement la carrière à
laquelle elle aspirait. Chanteuse contrariée (mais n’est-ce pas le gage des plus belles carrières, justement ?), elle ne tournera néanmoins pas complètement le dos au septième art, n’utilisant
finalement la chanson que comme un vecteur d’accomplissement dans une appréhension de l’art au sens beaucoup plus large. Si son univers créatif mêle ainsi de nombreuses dimensions en rapport plus
ou moins direct avec la musique, il touche également des disciplines plus éloignées, comme la littérature, la peinture… ou pour ce qui nous occupera plus avant ici même : le cinéma.



« Dès qu’on s’est rencontrés, [Laurent Boutonnat et moi avons] parlé de cinéma. D’ailleurs, on en a toujours parlé… » *



Si l’importance du cinéma est signifiée par l’artiste dès le choix de son nom de scène (Farmer comme Frances Farmer, une actrice des années 30), c’est bien sûr par les textes de ses
chansons que la chanteuse parvient d’abord à s’exprimer sur le sujet… Dès son premier album, un titre entier rend par
exemple hommage à l’actrice Greta Garbo, intitulé simplement « Greta »
et samplant avec la musique des répliques célèbres des films de la star. Des samples d’autres films seront encore
utilisés par la suite, notamment dans l’album « L’autre », avec les chansons « It’s beyond my control » (la
voix même de John Malkovich dans l’adaptation des « Liaisons dangereuses » par Stephen Frears scandant le titre du morceau comme une litanie au cour du refrain) et « Psychiatric » (où la célèbre réplique en VO « I am not an animal, I am a human being » de John Hurt dans l’« Elephant Man » de David Lynch peut
être entendue). De nombreuses autres citations plus ou moins explicites se retrouvent en outre disséminées d’album en album : on pourra citer la chanson « Tristana », rappelant le film du même nom de Luis Bunuel, « La fille de Ryan » de David Lean cité dans « L’amour naissant » (sur « Innamoramento », le plus beau disque de Mylène…) ou encore « L’impasse » de Brian De Palma, à travers la réplique « Tous
les points de suture du monde ne pourront me recoudre » du personnage principal directement imprimée sur le livret de l’album… « Point de suture » !



mylene_farmer.jpg« J’aime profondément Jane Campion
dont j’ai vu tous les films. J’aime beaucoup Bergman… Ses mots. Ses silences surtout… Mais j’aime aussi David Lean, Polanski, Annaud, Sergio Leone… » *



C’est ensuite sur scène que la volonté de cinéma de la star explose de la façon la plus éclatante qui soit ! Car lorsque l’on assiste à un concert de Mylène Farmer, ce n’est pas seulement pour
voir une chanteuse livrer son répertoire en live, mais aussi – et peut-être même surtout – pour être les témoins ébahis d’un show monumental et incroyablement bien scénarisé, où la dimension
visuelle a toujours eu une importance capitale. Décors et costumes dignes de superproductions hollywoodiennes, déplacements scéniques millimétrés, habillage de chaque chanson comme d’un tableau
cohérent, présence sur scène de danseurs comme autant de personnages en plus de l’incontournable chanteuse entourée de ses musiciens et choristes… Mylène pousse les limites d’un simple spectacle
musical pour imposer un univers audiovisuel riche et référencé, où les nombreuses projections sur écrans géants viennent conforter l’envie de cinéma : le travail du vidéaste Alain Escale sur ses
derniers concerts se révèle notamment passionnant… Il a par exemple utilisé les rayures et défauts de pellicules 35 mm pour habiller la
chanson « L’Instant X » au Stade de France
!



« La scène, c’est forcément quelque chose qui vous élève… Ce qui fait la différence avec le cinéma, c’est que, sur scène, j’ai l’impression de dire « j’ai besoin de vous », or,
j’attends du cinéma qu’un metteur en scène vienne me dire «j’ai besoin de vous ». […] Je sens que j’ai besoin de cette déclaration-là… » *



Mais l’habillage audiovisuel des chansons se révèle plus explicite encore à travers les clips, auxquels la chanteuse a toujours accordé un intérêt et un soin particulier. Si l’influence de son
mentor et compositeur Laurent Boutonnat plane sur toute la première partie de sa carrière, à travers des clips au cachet largement cinématographique, proposant souvent des histoires très
scénarisées dans des décors dignes des fresques de David Lean, poussant parfois même la confusion entre clip musical et film de fiction en s’offrant une durée record ou même un générique (18
minutes pour le clip de « Pourvu qu’elles soient douces » !), la chanteuse a par la suite su s’en détacher tout en poursuivant ce profond désir de cinéma ! Elle a réussi par exemple à s’entourer
de nombreux cinéastes pour lui construire à chaque fois des univers visuels passionnants et très stylés à travers les clips qui ont suivi : Luc Besson pour « Que mon cœur lâche », Marcus Nispel (« XXL », « L’instant X »…), Abel Ferrara
(le génial « California »), le chinois Ching Siu Tung (« L’âme-Stram-Gram »), l’espagnol Agustin Villaronga (« Fuck them all »), la mangaka Naoko Kusumi (« Peut-être toi », auquel a également participé Katsuhiro Ôtomo, l’auteur d’« Akira »)… D’un clip à l’autre, on
navigue alors de références au « Barry Lyndon » de Stanley Kubrick (le diptyque « Libertine » / « Pourvu qu’elles soient douces ») au baroque dans le milieu du cirque d’un « Santa Sangre » d’Alejandro Jodorowsky («
Optimistique-moi »), ou encore aux ambiances étranges et décalées d’un David Lynch (« Lonely Lisa »)…




giorgino.jpg



Si la carrière musicale de Mylène Farmer embrasse ainsi furieusement le cinéma, le cinéma semble pourtant peu à même de lui rendre l’amour que l’artiste a toujours eu pour lui… Outre l’échec
cuisant du seul long métrage dans lequel elle a tourné (le pourtant magnifique «
Giorgino » de Laurent Boutonnat
) ou une façon détournée de faire du cinéma en prêtant sa voix à la princesse Selenia, un personnage animé
de la saga « Arthur et les Minimoys » de Luc Besson
, les sollicitations ne semblent pas abonder pour lui permettre de réaliser ses rêves… Et même lorsqu’elle se saisit en personne d’un projet
qui semble lui tenir à cœur dans le domaine (l’adaptation sur grand écran de « L’ombre des autres », un roman de son amie Nathalie Rheims), les difficultés semblent vite devenir insurmontables :
pour preuve la stagnation du film à l’état de projet plus de six ans après son évocation… Cette forme de malédiction est d’autant plus dommage que sa seule prestation dramatique connue, dans le
trop peu vu et injustement moqué et sous-estimé « Giorgino », demeure un éblouissement de tous les instants : ses apparitions à l’écran possèdent un magnétisme et une fascination peu commune, que
l’on ne décèle généralement que chez très peu de comédiennes ! Amusant pied de nez à son égard, le cinéma s’est néanmoins inspiré de sa vie même, certes à mots couverts, à travers le superbe film d’Emmanuelle Bercot : « Backstage », dans lequel Emmanuelle Seigner incarne un personnage de chanteuse, dont le succès et la
fascination des fans rappellent de façon troublante ceux de Mylène Farmer…



* Extraits de l’interview dans Studio Magazine à l’occasion de la sortie du film « Giorgino » (Janvier 1994)



Mylène Farmer fait son cinéma chez Phil Siné !



mylene farmer 3































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5 commentaires:

  1. papa tango charlie5 décembre 2012 à 03:59

    Ton article me rappelle avec nostalgie l'acquisition de mes trois premiers volumes des clips de Mylène Farmer (en K7 vidéos à l'époque, j'avais cassé ma tirelire!). seul ou avec ma cousine
    préférée, fan également de mylène, nous les repassions en boucle en les analysant comme de véritables oeuvres cinématographiques!  


    Tiens , je vais me repasser l'introduction de sans contrefaçon: Ado j'étais intrigué par les travestis qui jettent dans la boue la poupée mylène, qui reprend vie avec Zouk. ^^

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  2. Oooh mais c'est absolument fascinant tout ça, dire que je n'avais pas idée... merci pour cette superbe synthèse ! Et que de choses à explorer à présent pour moi qui découvre tout, je n'ai pas
    encore vu tous les clips mais purée, les lives, les lives!!! J'aurais complètement loupé leur dimension cinématrographique sans ton analyse mais je me dis qu'elle "paroxysme" vraiment sur
    scène... ;)

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  3. Chouette article de fond et très bonne plume, bravo!
    Juste une coquille: le nom de Mylène, c'est "Gautier" sans h me semble-t-il.
    Je suis tout à fait d'accord avec tes analyses et je trouve que tu décris très bien le rapport qu'entretient Mylène avec le cinéma.
    Je ne désespère pas de la revoir un jour sur grand écran, même si je commence à penser que c'est peut-être trop tard... Ou alors il faudrait qu'elle aille vraiment là où on ne l'attend pas
    ("L'ombre des autres" avec son univers sombre et ésotérique, bonjour l'originalité!), de préférence avec un second rôle (elle serait bcp trop attendue au tournant avec un 1er rôle). Pourquoi
    pas un film un peu léger (son rire est divin, non?)!


    PS: J'ignorais pour la réplique de Malkovich, moi qui croyais tout savoir, merci!

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  4. Ah mais oui, je suis persuadé que si un réal connu lui proposait un second rôle (pas de la figu bien sûr, mais un joli second rôle), elle accepterait! Je pense qu'elle a une vraie humilité (voire
    une timidité désormais) face au métier d'actrice, surtout si elle est entourée de gens reconnus dont c'est le métier. Encore une fois, je n'y crois plus trop mais on peut rêver!

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  5. ah "rêver", oui, c'est le mot... ;)

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