mardi 23 mars 2010

Flandres, de Bruno Dumont (France, 2006)

flandres


Note :
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Avec "Flandres", Grand prix du Jury à Cannes en 2006, Bruno Dumont signe un puissant réquisitoire anti-guerre, ainsi qu'un film d'une richesse que l'on pourrait croire inépuisable ! En plaçant sa
guerre dans une forme d'abstraction géographique et temporelle, mêlant les tanks et les chevaux, il permet à son long métrage d'accéder au rang de fable universelle. En effet, les décors de
"l'ailleurs", le lieu où se passe la guerre, alternent les tranchées évocatrices de la première guerre mondiale, le désert de la guerre d'Algérie ou la jungle - pourquoi pas - de la guerre du
Vietnam... En quelques scènes archétypiques, frôlant l’abstraction, Dumont propose une vision concise, précise et terriblement affûtée de l'atrocité humaine par temps de conflit armé : le viol
d'une indigène, le massacre de deux enfants soldats, une exécution sommaire purement gratuite, la vengeance froide de l'ennemi... La vision de la guerre dans "Flandres" suit en fait le parcours
mental de Demester, le jeune "héros" du film, déraciné de sa terre natale pour partir au front, la peur au ventre. D'un garçon doux et calme, la violence et l'absurdité militaire va faire un être
parcouru de pulsions bestiales et primaires. La libération de cette violence aura pour le garçon des conséquences désastreuses à son retour en Flandres : peut-on encore aimer ou espérer en l'homme
après avoir vécu de pareilles atrocités aux frontières de la folies humaines ?

"Flandres" s'avère ainsi une véritable réflexion sur les violences enfouies en chaque homme. Parallèlement au voyage au bout de l'enfer de Demester, le cinéaste monte habilement la vie en terre de
Flandres, où le film avait commencé, où le personnage principal a laissé sa vie et où l'attend toujours Barbe, celle qu'il aime et qui lui accordait un peu de chair... à lui comme à d'autres,
d'ailleurs. De troublantes superpositions entre le lieu de la guerre et celui de la vie agricole en Flandres envahissent ainsi peu à peu l'écran. Comme un écho à la descente dans la folie guerrière
de Demester, Barbe va elle aussi sombrer, internée un moment dans un hôpital psychiatrique. Enceinte, elle décide également d’avorter et de faire mourir ainsi l’enfant qui est en elle, tout comme
Demester perd son enfance en se confrontant à l’absurdité militaire. Les scènes où l'on voit Barbe faire l'amour avec des hommes, et particulièrement celle de l'étable au cours de laquelle le coït
est animalisé à son paroxysme, résonnent d'une étrange façon avec la terrible séquence du viol d'une femme par les soldats. Enfin, lorsque Demester revient "au pays" dans les derniers temps du
film, les décors semblent comme autant d'échos à ceux de la guerre qu'il voudrait pourtant oublier : les arbres sont soudainement filmés comme ceux de la jungle, un terrain de motocross rappelle
tout à coup des étendues de désert... Le paysage devient le ressenti émotionnel de Demester, marqué par la guerre, devenu incapable désormais de s'en abstraire tout à fait.

Avec ce film absolument remarquable, Bruno Dumont poursuit également tout un travail de recherche sur la forme, qu'il avait déjà bien amorcé dans ses œuvres précédentes. Ici, la recherche
chromatique se double d’une utilisation « invisible » des effets spéciaux qui permettent un rendu des couleurs saisissant, notamment lors des scènes dans le désert. Il faut observer encore la
précision des cadrages, de la composition des plans, les mouvements des personnages, l’intensité de la lumière… Le réalisateur parvient à une forme d’épure visuelle, dont la crudité passe à la fois
par l’utilisation d’acteurs non professionnels plutôt « brut » et « primitifs » et par l’économie des dialogues, peu présents et surtout rendus en prise de son direct, gênant parfois la
compréhension du texte mais offrant au film son atmosphère si particulière… « Flandres » atteint alors presque constamment une forme de « grâce cinématographique », tellement rare dans la
production audiovisuelle d’habitude.

« Flandres » est en fin de compte un film polymorphe, qu’il s’avère finalement assez difficile de cerner complètement, tant la richesse de sa mise en scène ou des thèmes qu’il aborde le rend
extensible à l’infini. Ainsi, s’il apparaît d’emblée et de façon presque évidente comme un réquisitoire contre la guerre, il est à noter aussi qu’il peut être lu comme un grand film d’amour, aussi
paradoxal que cela puisse paraître. Après le temps du chacun pour soi et des pulsions animales en chacun, après ce temps de la guerre où Demester est entre autre horreur psychologique contraint
d’abandonner son ami à terre s’il veut avoir une chance de s’en sortir, cela en dépit même de toutes ses supplications, le retour du jeune homme dans sa ferme marque le temps du réapprendre à vivre
parmi les hommes, et surtout comme un homme… Est-ce seulement possible ? Oui, semble nous dire Bruno Dumont, en faisant apparaître l’amour comme un secours salutaire. Si le film nous avait
jusque-là présenté l’amour comme un acte charnel plutôt bestial et primitif, interrogeant également les rapports de sensualité et de désir entre les personnages, réfléchissant aussi à la notion de
fidélité, la fin nous présente un Demester et une Barbe prêts à s’aimer vraiment et pleinement, à deux. Si l’on hésite à lire le long métrage comme une œuvre pulsionnelle et primaire ou comme un
pur film d’amour, la dernière scène et la déclaration ultime qu’elle contient, ce « je t’aime » clair et pur prononcé par Demester, semble cependant nous mettre sur une voie…

Mise en perspective :
- Hadewijch, de Bruno Dumont (France, 2009)
- Retour sur Hadewijch : la mort du cinéma d’auteur ?
- 21 films pour le 21e siècle






























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12 commentaires:

  1. Les 4 étoiles sont rares, et Bruno Dumont y a eu droit au moins deux fois. Apparement tu es fan de ce réalisateur ?
    Ca mérite que je m'intéresse à lui.

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  2. tu te souviens que j'avais beaucoup aimé ce film mais ta description transcende encore mon ressenti. Tu le décris très bien.
    Si je te rejoins sur le parallelisme entre campagne vert et campagne militaire, ma petite reserve vient quand même des scènes de guerre. Elles ne sont ni assez abstraite (genre Apocalyse Now) ni
    assez naturelles et brute de pomme. Cet entre les deux affaiblit-légèrement- la force de Flandres. je me sens bien plus dérangé, envouté, ému par ce qui se passe dans cette douce campagne aux
    réalités à la fois crues et sensibles.

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  3. Non, je ne connaissais pas Bruno Dumont avant de lire ton article !
    Et oui, je suis jeune et foufou, et j'ai encore plein de choses a découvrir ^^

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  4. L'un de mes réalisateurs que je n'aime en rien... Pour ce film moi c'est la bulle :

    Comme tous les films de Dumont : il a le talent, un son magnifique et pur, une superbe photographie mais un scénario vide pour une histoire sans intérêt avec des scènes chocs comme pour combler
    le vide de ses films. Une fille facile voit ses deux poulains partir à la guerre. On voit pas pourquoi mais elle est interné pour ses nerfs (pourquoi ?!?!), la guerre pourquoi ?!?! L'un des 2
    poulains revient la routine sexuelle reprend... Si c'est la définition de l'amour c'est glauque et répugnant. Il n'y pas de véritable histoire car il n'y a aucune émotion pour soutenir son
    scénario. La fille écarte les cuisses a qui le demande avant de voir revenir de l'enfer 1 seul des gars... En gros elle n'a plus le choix se sera lui !!!? Ce sont surtout des personnages sans
    caractères, au cerveau limité qui vivent comme des bêtes... Inintéressant !

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  5. TWENTYNINE PALMS est tout de même nettement plus radical (et moins touchant et réussi) que les autres opus de Dumont. Le film est dépouillé au possible et explicitement expérimental (selon les
    dires mêmes du réalisateur) : étendues désertiques, scènes de sexe et de violence extrême, quasi absence de dialogues... Pour un public averti !

    Ta critique de FLANDRES est très bonne, dans la mienne j'avais moins souligné ces parallèles entre les scènes de guerre et celles centrées sur l'attente de Barbe. Mais ton analyse est pertinente !
    Je pense, comme tu le dis à la fin, que c'est là un vrai film d'amour, où le "je t'aime" ne vient qu'au tout dernier plan, comme si le film n'était qu'une recherche d'un amour pur et vrai, après
    que les personnages aient sans cesse répondu à l'appel de la chair et connu la destruction, des autres (à la guerre), de soi (ou de son enfant pour Barbe)...

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  6. oui j'adore dumont!! je crois que j'ai vu tous ces films (enfin sauf le dernier, j'avai spas le courage), et celui la m'a le plus marqué. 29Palms était encore plus sec et dérangant, mais un peu
    trop experimentl pour mes gouts petit-bourgeois.
    mais non je ne considere pas dumont come le plus grand cinéaste vivant on earth, puisque c'est mike leigh, digne héritier populaire de cassavetes (qui est le plus grand cinéaste tout court) et de
    dickens le mordant portraitiste.
    et oui, l'appel de la nourriture est plus fort que tout.

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  7. romain raconte sa vie25 mars 2010 à 07:09

    Un certain après midi à Paris, j'ai été voir Flandres au cinéma. J'ai été voir Flandres et j'ai eu très faim. J'ai été très angoissé et j'ai eu très faim. Mon amie qui m'accompagnait avait
    elle aussi très faim. Mon amie, très portée sur la psychanalyse, les neuro-sciences, enfin la connaissance du comportement, m'a expliqué que c'était normal : face à un sentiment de mort, de
    danger imminent, l'homme a deux réactions possibles : envie de sexe ou envie de nourriture. (je crois que c'est tout bonnement l'instinct de survie). Bref, de cul ou de bouffe, mon cerveau a
    choisi la bouffe, et, à mesure que le film s'écoulait, mon angoisse grandissait et ma faim devenait bruyante.
    Depuis, à chaque fois que j'ai faim dans un moment où je ne devrais pas, je repense à ce film qui m'a ouvert les yeux sur l'instinct de survie, une sacrée expérience quoi!

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  8. Je te confirme, si tu avais encore des doutes, il s'agit bien du Romain n°11. Il a signé en parlant de Mike Leigh ;)

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  9. titouuune!! tu surgis là où je ne t'attends pas!
    bon, pour "happy go lucky" je crois que c'est son film le moins interessant quand même, enfin ca reste vachement bien. il faut absolument voir Carrer Girl, petite pépite assez difficile à trouver
    (DVD inexistant), je crois que le loueur de films assez cinéphile vers Luxembourg l'a en VHS. En plus il y a Katrin Cartlidge, la plus belle actrice du monde, morte subitement il y a 2 ou 3ans.
    j'en pleure encore....

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  10. Hey Chou !! How are you babe ?
    Miss you !!!

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  11. J'ai vu Flandres. Et quitte à ce que tu penses que je n'ai aucun goût, et ben j'ai pas aimé...


    Pas d'explosions, de feu, ou d'armée d'hommes nombreux comme dans Apocalypse Now par exemple. Dumont nous montre simplement la bestialité de l'homme, et cette bestialité est d'autant plus
    choquante qu'elle est banale et que le film est dépouillé de tout artifice.

    Le scénario n'est pas extra, le film dure seulement 1h20, et pourtant on s'ennuie. Et c'est sans compter les nombreux détails, comme les m16 qui font des bruits de pistolet à pétards, ou la fille
    qui a ses règles parce qu'elle est enceinte (très logique), qui gâchent le film.
    Je rejoins donc le commentaire de sélénie, et suis prêt à me faire detester par toi Phil :)

    (Ah oui, et bizarrement je n'aime jamais les films qui montre une scène de castration : Antichrist, Flandres, ...)

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  12. oh mon dieu, je n'ai jamais lu ce commentaire...


    pardonnez lui seigneur, ce jeune homme ne sait pas ce qu'il dit ! :)

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