dimanche 21 mars 2010

Bad Lieutenant, d’Abel Ferrara (Etats-Unis, 1992)

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Note :
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« Bad Lieutenant » est d’abord la description hyper réaliste d’une terrifiante descente aux enfers. Celle de ce si « mauvais lieutenant » donc, policier aux méthodes pas très légales, drogué,
alcoolique, mauvais père de famille, et parieur invétéré ! Tout au long du film, on suit ses errances dans New York, ville de tous les excès, de tous les péchés et de tous les crimes. En tant
qu’homme de loi, il enquête à sa façon et se considère finalement au-dessus des lois : s’affirmant catholique, il use de pratiques finalement pas très catholiques, détournant de la drogue sur les
lieux de crime pour la refourguer à des dealers, réglant les conflits un peu comme ça l’arrange… Ce personnage est incarné à l’écran avec une intensité folle et désespérée par Harvey Keitel, qui a
visiblement mis tout ce qu’il pouvait dans ce rôle. Il est énorme dans cette incarnation à la fois rageuse et fragile, oscillant entre excès de colère et pleurs incontrôlés…

Pour rendre avec force la pente vertigineuse sur laquelle le personnage est en train de glisser et de s’effondrer à une vitesse démesurément folle, Abel Ferrara use d’une mise en scène
incroyablement brutale dans le regard qu’elle offre sur la ville, lieu sale et désespérant, où évolue la lie de l’humanité. Par une image sans fioriture, il cadre un décor et des personnages très
réalistes. Pour l’intensité du rendu, la légende dit que le tournage s’est d’ailleurs souvent fait à la sauvage, que les scènes de prises de drogues sont authentiques et que le dernier plan, où le
personnage se fait assassiner dans sa voiture en pleine rue, est en prise de vue « réelle », filmant les véritables réactions des passants… et le spectacle est d’ailleurs effrayant, triste
spectacle d’une humanité qui exhale la veulerie et l’indifférence !

Mais en filmant l’acheminement crasseux du lieutenant vers la mort, Ferrara en propose une vision étonnamment mystique. Des plans de Christ crucifié sont incidemment insérés au cœur de certaines
séquences clé, mais c’est aussi les positions que peut prendre le personnage principal à plusieurs reprises qui évoquent cette figure christique du sacrifié ou du damné. On retient bien sûr
essentiellement ce plan mythique, où Harvey Keitel nu, drogué et débauché auprès de prostituées, s’avance les bras en croix en se mettant à pleurer… Alors, le « bad lieutenant » serait donc un
Jésus moderne ? Tout n’est cependant pas si simple… Si le Christ biblique fréquentait lui aussi plus volontiers les hommes et les femmes des bas-fonds, les voleurs, les prostitués et tous les
marginaux qu’il pouvait trouver, il ne participait pourtant pas lui-même à leurs débauches (du moins, à ce qu’on en dit). Pourtant, notamment par le biais de l’histoire d’une nonne violée sur un
autel par deux jeunes voyous, on s’apercevra que le personnage de Keitel possède un pouvoir proche de celui de Dieu. Comme la bonne sœur qui parvient à pardonner à ses agresseurs, il finira en
effet par faire comme elle, et même à aider les criminels à s’en sortir… Ce sera le dernier effort vers la rédemption, le dernier geste salvateur de cet homme qui vivait jusque là dans les
ténèbres. Il peut désormais mourir, élevé enfin par la grâce de ses derniers instants, capables de racheter toute une vie… Contre toute attente, Ferrara signe peut-être là un film profondément et
indiscutablement chrétien, loin de l’hypocrisie de ceux qui ne conserve de la religion que son apparat et ses rituels. On pourrait ainsi le rapprocher de « La dernière tentation du Christ » de
Martin Scorsese, qui fut très mal interprété à sa sortie et qui fut condamné pour de mauvaises raisons. Scorsese a d’ailleurs très bien évoqué le film de Ferrara : « C’est un film clef, j’aurais
aimé que La Dernière Tentation du Christ lui ressemble. Mais je n’ai pas obtenu certaines images, sans doute parce que je traite directement de l’image du Christ. […] C’est un film exceptionnel,
extraordinaire, même s’il n’est pas au goût de tout le monde. […] C’est également un film pour lequel j’ai la plus grande admiration. On y voit comment la ville peut réduire quelqu’un à néant et
comment, en touchant le fond, on peut atteindre la grâce. C’est le film new-yorkais ultime. […] Si on ose, il faut suivre le personnage jusque dans la nuit. C’est pour moi l'un des plus grands
films qu’on ait jamais fait sur la rédemption… Jusqu’où on est prêt à descendre pour la trouver… »






























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11 commentaires:

  1. Je comprends pas comment on peut donner un aussi mauvais titre à un film...
    Heureusement que je lis ta critique sinon je serais sans doute passé à côté d'un bon film. Je vais en profiter tant que c'est le printemps du cinéma pour aller le voir :)

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  2. Tu fais tout pour nous tromper :)

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  3. En même temps c'est ma faute, j'avais qu'à lire le titre en entier :)

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  4. Je n'ai pas vu cez film mais le "remake" qui est vraiment très bon, mise à part quelques longueurs.

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  5. Chef d'oeuvre absolu... Juste j'aimerais bien que tu me donne quelques films auxquels tu mettrais 4 étoiles... Juste pour voir :)

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  6. Enorme ce film ! J'adore le personnage de ce flic crade, pourri, drogué mais finalement en quête de rédemption. L'un des meilleurs rôles de Keitel.

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  7. J'aime aussi beaucoup ce film sur lequel il est aujourd'hui de bon ton de cracher...
    Surtout avec la sortie du Herzog qui semble absolu extra...

    Pour La dernière tentation du Christ, tu as raison, il a été mal jugé pour de mauvaises raisons: le film n'est pas l'antéchrist... il est juste un des plus mauvais Scorsese, Ahhh Bowie ou Keytel,
    parlant latin avec l'accent anglais, j'en rigole encore...

    Par contre je me souviens bien de la tension dans la salle après l'attentat...
    Il aurait du jeter des tomates sur l'écran, ça fait moins mal et c'est plus juste.
    Mais encore eut-il fallu que ces intégristes jugent APRES avoir vu le film.
    Ce qui n'était visiblement pas le cas. comme d'hab'...

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  8. Un must!! Keitel en homme brisé et sans scrupule...une ordure qui ne laisse vraiment pas indiffèrent...et que dire de l'apparition du christ!!Ferrara en a vraiment trop pris sur ce coup
    là!!

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  9. ben et la nouvelle version alors? On attends ça ! t'assure pas là ^^

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  10. je suis précisement en train de lire sur Flandres.
    Et sinon j'ai pas encore vu la version Herzog. Merci pour le spoilers ;) (non je blague, je me fous qu'on me raconte la fin)

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  11. oups... héhé

    moi c'est pareil, en fait la plupart du temps l'histoire - et donc sa fin - n'est pas forcément ce qui m'intéresse le plus dans un film...

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