mercredi 24 mars 2010

Bad Lieutenant : escale à la Nouvelle-Orléans, de Werner Herzog (Etats-Unis, 2010)

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Note :
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Prétendant ne pas avoir vu le film original d'Abel Ferrara, Werner Herzog n'a
donc pas fait un "remake" de "Bad Lieutenant" à proprement parler. D'ailleurs, il ne reste pas grand chose de l'histoire initiale dans cette « escale » : une vague histoire de policier drogué et
au-dessus des lois, avec quelques dettes de jeux, non plus à New York mais à la Nouvelle-Orléans, juste après le passage de l'ouragan Katrina... Voilà pour les grandes lignes, le reste est
radicalement autre et fatalement plus proche de l'univers d'Herzog, qui sait imprimer sa « patte » sur le celluloïd avec une férocité exaltante !

Ici, le « bad cop » mène l’enquête sur les meurtres d’une famille d’immigrants africains, en même temps que sa vie est menacée par des dealers à qui il doit de l’argent… Mais au fond, peu importe
l’intrigue ! D’ailleurs, Herzog nous la fait suivre plus ou moins nonchalamment, privilégiant un regard total sur son personnage… Nicolas Cage est impressionnant dans ce rôle monumental, détraqué
et cassé, multipliant les tics et les expressions de douleurs. D’une intensité extraordinaire, à la fois détestable et drôle, il trouve peut-être là son meilleur rôle !

Optant pour une mise en scène plus "classique", loin de l'hyperréalisme quasiment documentaire de Ferrara, Herzog émaille cependant son film d’étranges visions hallucinées à base d'iguanes chantant
ou de poissons... Si certaines de ces séquences semblent clairement le résultat des trips sous acide du lieutenant, comme les iguanes posés sur l’ordinateur que ses collègues lui disent ne pas
voir, il y a pour d’autres scènes de biens étonnantes incertitudes : l’alligator les tripes à l’air sur la chaussée préfigure-t-il une personne humaine ? La métaphore animalière est filée tout au
long du film : reptiles ou poissons, souvent prédateurs, du serpent d’eau au requin, en passant par l’alligator, cette animalité sauvage et libre est cependant peu à peu détruite, comme cadrée et
canalisée par une civilisation étouffante… Le serpent évolue à la surface de l’eau, mais entre les barreau d’une prison inondée ; l’alligator gît sur une route bétonnée, renversé par une voiture ;
le requin tourne en rond à la fin du film, prisonnier d’un aquarium. Est-ce le symbole de la situation du personnage principal, être impulsif et animal, qui évolue pourtant dans une prison urbaine
? Une urbanité à la dérive, certes, après le passage d’un ouragan destructeur, en proie aux réflexes primaires et animaux des hommes… La boucle est ainsi bouclée entre l’humain et l’animal ! Reste
un petit poisson inoffensif que le lieutenant trouve abandonné dans un verre d’eau sale au cours de son enquête : l’animal est en train certainement de suffoquer, d’étouffer dans un espace où
l’oxygène vient à manquer… Un poème est inscrit sur un papier juste à côté. Dans la dernière réplique du film, le personnage de Nicolas Cage se demandera si les poissons rêvent : de multiples échos
s’étendent ainsi entre les scènes…

Cette nouvelle version de "Bad lieutenant" s'avère peut-être enfin l'un des premiers grands films sur ce qui sera très probablement le grand "mal du siècle" à venir : le mal de dos. Tout le film
est d'ailleurs construit autour de ce détail physique du personnage interprété avec frénésie par Nicolas Cage, grimaçant et éructant la douleur d'un bout à l'autre du long métrage à cause de ses
problèmes lombaires. Le film s’ouvre d’ailleurs sur l’origine de son problème, comme s’il s’agissait là du point déterminant, de la clé pour la compréhension de toute cette histoire : après avoir
parié sur le temps que prendra un détenu dans une cellule inondée avant de se noyer, il finit quand même par sauter à l’eau pour le sauver… Ellipse, puis plan suivant : les radios de sa colonne
vertébrale endommagée par l’incident. C’est à partir de cet acte de bravoure et de bonté pour lequel il est finalement puni, que le lieutenant devient complètement accroc à la vicodine, à la coke
et à une multitude d’autres paradis artificiels, probablement pour soulager sa douleur permanente, qu’il devra d’ailleurs conserver à vie… Etonnant coup du destin, la fin du film le fait retomber
par le plus grand des hasards et par un étonnant jeu de miroir inversé sur celui qu’il a sauvé au début du film, qui depuis est sorti de prison et s’est rangé de la criminalité en décrochant un
emploi dans un hôtel. Le mal de dos du personnage aura peut-être permis un bien pour quelqu’un d’autre. Le lieutenant aura entre temps vu sa vie radicalement changer : fini la drogue, une vie de
couple plus paisible avec celle qui jusque là se prostituait pour lui… et surtout une belle promotion dans son travail : de « bad lieutenant », le personnage serait-il devenu un « good captain » ?
Les dernières séquences ne répondent pas définitivement à la question et orientent le film non pas vers une rédemption mystique à la façon de Ferrara, mais plutôt vers une fausse rédemption, très
humaine et terre à terre, et donc en cela éminemment décevante… On voit le lieutenant passé capitaine rejouer une même scène qu’un peu plus tôt dans le film : l’arrestation d’un couple à la sortie
d’une boîte de nuit pour détention de drogue. Sauf que cette fois-ci la scène est interrompue et l’on ne sait pas si son comportement sera celui du mauvais flic qu’il était ou celui d’un véritable
homme de loi honnête et intègre qu’il est peut-être devenu. Après avoir supporter  et « oublier » son mal de dos par la drogue et la pratique du mal absolu, est-il désormais en mesure de se
résigner et d’endurer le mal sans le soigner lui-même par le mal ? « Les poissons rêvent-ils ? » Peuvent-ils seulement dormir alors que le mal rôde autour d’eux en permanence ? Le capitaine a
peut-être enfin compris qu’accepter la douleur sans anesthésie, sans pouvoir s’endormir et en demeurant par là même vigilant, était peut-être la seule façon de ne pas mourir… Garder les yeux grands
ouverts sur le monde sale et violent : même si ça nous fait atrocement souffrir…

Mise en perspective :
- Bad Lieutenant, d’Abel Ferrara (Etats-Unis, 1992)






























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4 commentaires:

  1. 3 étoiles ! Ben moi c'est plutôt 1 étoile...

    Sur plus de 20 films depuis 2000 Nicolas Cage aura fait 2 films réussis ! A part "Les associés" de Ridley Scott et "Lord of War" de Andrew Niccol que des râtés !... Mais le Werner Herzog est tout
    aussi coupable, après sa géniale période des années 70-80 que lui est-il passé par la tête de vouloir faire un remake du chef d'oeuvre de Abel Ferrara ?!... Herzog offre un policier classique où
    le flic est aussi pourri que ceux qu'il poursuit mais à cause d'une blessure, il est vraiment amoureux et en plus le film est optimiste... On est bien loin de la VRAI descente aux enfers âpres,
    sombres et sans concessions avec Harvey Keitel bien moins caricatural que Cage. Sans être un gros navet (il s'agit de Herzog tout de même !) ce film n'apporte rien d'original et sera vite oublié.
    Revoir la version d'Abel Ferrara devien ttout un coup un besoin vital !

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  2. Magnifique intéprétation du film. J'ai pas fait gaffe à l'aspect sauvage du film avec les alligator et iguanes.
    Et je m'etait pas poser la question pour l'alligator sur la route. Aprés tout, tout est possible en Louisiane.

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  3. Bah perso, j'ai trouvé ce polar très classique même si Cage se révèle très bon. Je préfère 100 fois la vision de Ferrara.

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  4. les deux films sont assez différents mais je préfère largement le traitement opéré par Ferrara

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