samedi 13 novembre 2010

Mysterious skin, de Gregg Araki (Etats-Unis, 2005)



mysterious skin



 



Note :
star.gif

star.gif

star.gif

star.gif



 



Si « Mysterious skin » apparaît comme le chef-d’œuvre incontesté de son auteur, force est de constater qu’il y emploie pourtant un style qui ne lui est pas habituel. Bien sûr, on y retrouve ses
thématiques et ses obsessions attendues, comme le désenchantement de la jeunesse ou les pensées morbides associées à la sexualité, mais la forme y semble plus posée, moins destroy ou « trashy »
qu’à l’accoutumée… Un film plus adulte, plus mature peut-être, mais sans pour autant manquer de la fougue ou de l’impertinence qui caractérise le cinéma d’Araki !

A travers les destins emmêlés de deux garçons qui ont subi le même traumatisme durant leur enfance (violés tous les deux par la même personne), le cinéaste traite le sujet difficile de la
pédophilie comme personne. Sans aller jusqu’à dire que sa mise en scène est « joyeuse » ou « jouissive », comme elle pouvait l’être dans ses précédents films (« Doom Generation », « Nowhere », etc.), elle se révèle tout du moins emprunte d’un profond lyrisme… Malgré la
noirceur de son sujet, Araki parvient pourtant à nous émerveiller : la situation la plus horrible s’avère mystérieusement belle !

Ce décalage entre le thème et son traitement est dû principalement à la façon dont les personnages du film fantasment le réel. En se plaçant quasiment constamment de leur point de vue, captant
ainsi parfaitement leur subjectivité intérieure, Gregg Araki nous montre le monde tel qu’ils l’imaginent ou le rêvent, sans doute pour mieux en masquer l’abominable vérité… « Mysterious skin »
est ainsi un superbe film sur le ressenti du réel, alternant les perspectives différentes sur un même événement. Si le personnage de Brian (Brady Corbet) a effacé de sa mémoire la scène du viol,
il finit par croire qu’il a en réalité été enlevé par des extraterrestres durant ce laps de temps. Quant au personnage de Neil (sublime Joseph Gordon-Levitt), plus inattendu, il croit avoir vécu
sa plus belle histoire d’amour avec cet adulte qui a abusé de lui enfant ! Deux personnages unis par un même tragique événement, et deux façons de relire (ou réécrire) le passé avec le passage du
temps…

La psychologie des personnages est ici exceptionnellement fouillée et subtile ! Le regard d’Araki sur ses « héros » est incroyablement fin et intelligent… Avec le temps, Brian, comme obsédé par
son intérêt pour les OVNI, a perdu tout désir sexuel. Neil, lui, a vu au contraire sa sexualité décupler, finissant par se prostituer avec n’importe qui : beau comme un Dieu, tous ceux qui le
croisent tombent amoureux de lui, alors que lui est devenu incapable d’aimer qui que ce soit, condamné alors à ne pouvoir offrir que son corps en partage…

Araki filme encore une fois les errances de l’adolescence avec une puissance et une poésie indépassable. « Mysterious skin », malgré sa crudité et ses séquences parfois atroces, est une œuvre
d’une beauté et d’une grâce inoubliable… Mais c’est aussi un film qui ne cessera plus de hanter celui qui s’y sera laisser prendre entièrement. Car au plus profond de lui, le long métrage
dissimule cette mélancolie noire, ce regard si triste sur le monde, forcément douloureux, mais amené pourtant avec une douceur troublante… Les personnages y sont envahis d’une solitude tragique
et désespérée, et pourtant tellement humaine et palpable pour le spectateur. La noirceur du dénouement s’impose en contrepoint terrible et lacrymal à la fantaisie émouvante et parfois drôle qui
émaillait jusque-là le récit : qui a vécu l’horreur au cours de l’enfance sait combien il aimerait « trouver un moyen de défaire le passé... mais c'était impossible », comme le dit Neil en
serrant Brian contre lui à la toute fin du film. Tout simplement sublime…



 



Mise en perspective :



- The Doom Generation, de Gregg Araki (Etats-Unis, France, 1995)



- Kaboom, de Gregg Araki (Etats-Unis, 2010)



- Smiley face, de Gregg Araki (Etats-Unis, 2008)



- Nowhere, de Gregg Araki (Etats-Unis, France, 1997)



- Splendor, de Gregg Araki (Etats-Unis, 1999)































  • Plus










5 commentaires:

  1. A coup sûr, un film terrible. Mais le film, me semble-t-il, n'est pas un film sur la pédophilie (le point de vue n'est jamais celui du violeur) mais bien plutôt sur les dommages causés par le
    traumatisme et comment on se reconstruit ou on essaye de se reconstruire après avoir été violé(e) par un prédateur sexuel. Sujet casse-gueule et Araki s'en sort très bien, mieux que d'autres qui
    ont tenté de traiter le sujet (voir la morale un peu douteuse la fin de Mystic River). Il faudrait revoir Sleepers. L'analyse des rapports aux adultes, absents au bout du
    compte, finit de rattacher le film d'Araki aux grandes productions sur l'adolescence nord-américaine de ces dernières années (Sofia Coppola époque Virgin Suicides, Larry Clark ou GVS).
    Enfin, de façon plus anecdotique, on peut aussi noter une bande-son impec : sur disque Robin Guthrie (ex-Cocteau Twins) et Harold Budd + dans le film : quelques pétites de l'indie-pop
    des années 90 (Slowdive notamment). Mais c'était déjà le cas avec la trilogie. Araki sait toujours bien "enrober" musicalement ses films.

    RépondreSupprimer
  2. Il y a en effet plus de "sagesse" et de mélancolie dans ce film que dans les autres Araki. La forme qui semble plus "raisonnable" s'adapte parfaitement au sujet complexe. Il faut dire que le film
    est une adaptation d'un très beau roman de Scott Heim. Araki a su en tirer la substantifique moelle pour en faire un film rigoureux, mélancolique et douloureux, presque atemporel, donc en
    définitive très moderne, servi par un duo d'acteurs exceptionnels.

    RépondreSupprimer
  3. "la situation la plus horrible s’avère mystérieusement belle" : Oui ! C'est du jamais vu, en tout cas, je n'ai jamais ressenti ceci dans un autre film. Esthétiquement, c'est tellement beau et,
    dans les faits, si atroce que ça crée un chamboulement d'émotions paradoxales dont il est difficile de se remettre une fois le film terminé.


    Peut-être un film impersonnel pour certains, mais à mon goût, le coup de maitre d'Araki.

    RépondreSupprimer
  4. Un chef d'oeuvre qui ne ressemble à aucun autre. Bouleversant de voir une harmonie si parfaite entre scénario et mise en scène.

    RépondreSupprimer
  5. oui ce film est vraiment unique... on en ressort transformé...

    RépondreSupprimer