mercredi 3 novembre 2010

Fin de concession, de Pierre Carles (France, 2010)



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Note :
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Agitateur impertinent dans la critique des médias depuis qu’il s’est fait viré de toutes les chaînes de télé et qu’il a réalisé « Pas vus pas pris » en 1998, qui déjà dénonçait les connivences
honteuses entre pouvoirs politique et médiatique, Pierre Carles s’était permis quelques détours non moins passionnants en s’interrogeant comme personne sur les questions de société (ses
perspectives « obliques » sur les concepts de travail ou de capitalisme s’avèrent salvatrices et presque nécessaires à la vue de films comme « Attention danger travail » ou « Volem rien foutre al
païs »). Ses films sont des bols d’air pur aux antipodes des pensées habituelles ou sclérosées : il est un journaliste de l’alternative, plus enclin à poser des questions sans réponses qu’à
attendre des réponses trop faciles. Il sait malmener les images et semer le doute et le trouble dans nos esprits, afin de nous montrer le monde en faisant un « pas de côté » libérateur, capable
de nous ouvrir de nouvelles voies…

Il revient aujourd’hui à ses premières amours, la critique des médias, avec « Fin de concession ». Il commence par se poser une question toute simple, comme une évidence, mais que pourtant
personne ne semble s’être posée avant lui, aussi bizarre que cela puisse paraître : pourquoi la « concession » de TF1, première chaîne nationale privatisée, est sans cesse automatiquement
reconduite pour le groupe Bouygues depuis 1987 ? Car ce qu’il faut savoir, c’est que les canaux de télévision dits « privés » sont en réalité la propriété de l’Etat et du citoyen, qui sont cédés
pour une période limitée à un acheteur privé, qui normalement a obligation de résultats vis à vis de ses engagements… Si à la fin de cette période, les résultats n’ont pas été atteints, il serait
légitime que d’autres candidats puissent prendre l’antenne ! Pour le cas TF1, Pierre Carles démontre parfaitement que le « cahier des charges » pour lequel Bouygues avait été accepté (après avoir
été coaché par un Bernard Tapie à gifler sur place !) n’a jamais été respecté, notamment dans ce qu’ils avaient appelé à l’époque le « mieux disant culturel », encore un gros foutage de gueule
sous la forme d’un grand coup médiatique ! Il utilise les images d’archives habilement, finissant par suggérer des réponses à cette reconduction tacite et apparemment sans « fin » de la
concession TF1, comme à travers la figure d’un certain Nicolas Sarkozy, alors maire de Neuilly, tout de suite prêt à défendre les intérêts de son grand ami Bouygues quand par malheur TF1 est
condamné à une amende pour ne pas avoir diffusé suffisamment de programmes nationaux…

Mais s’il n’y a pas de « Fin de concession » à TF1, c’en est cependant fini des concessions pour Pierre Carles, qui décide de passer à l’attaque en essayant d’interroger les grandes figures du
PAF à ce sujet… Sauf qu’elles se dérobent à tour de rôle, ce qui ne lui facilite pas la tâche. Il arrive bien à coincer Etienne Mougeotte, mais celui-ci sortant affaibli d’un cancer de la gorge,
il ne trouve finalement pas ça très « fair-play ». Du coup, le film se transforme en formidable questionnement sur la façon de faire du journalisme, de mener une enquête ou de bâtir un
documentaire… Pierre Carles se met en abyme et doute de son propre statu, ce qui permet de pratiquer désormais la critique de la critique des médias ! Comme il ne veut pas ressembler à un
missionnaire solitaire de sa propre croisade ou, pire, à un guignol dont les dirigeants médiatiques pourraient se servir à son insu, il décide de mettre en avant ses petits camarades (le
collectif, y’a que ça de vrai !) ou de se déguiser en Carlos Pedro, improbable reporter uruguayen pour tromper l’adversaire…

Vous l’aurez compris, « Fin de concession », s’il est un film sérieux sur le fond, reste pourtant drôle de bout en bout, très riche en petits gimmicks et autres trouvailles comiques, qui non
contents de faire rire ouvrent qui plus est encore une fois le champ des possibles ! Carles rivalisent d’inventivité pour se mettre en scène ou pour monter ses images, et prouve au fond qu’il est
aussi un grand cinéaste… Il a un souci du détail vraiment hilarant : il faut le voir appeler sans relâche ses « victimes » potentielles pour décrocher un rendez-vous, depuis un aquarium ou devant
des squelettes d’animaux morts du Museum d’histoire naturelle pour parler aux dinosaures de la télévision ! Et quand le portable de Charles Villeneuve sonne en faisant retentir la musique du «
Parrain », ça paraîtrait presque un trucage…

« Fin de concession » est une comédie, mais sait toujours rappeler les dérives du monde de l’information sous la comédie… Pris pour cible en tant que « meilleur laquais du pouvoir », David
Pujadas se voit remettre la « laisse d’or » (et repeindre son scooter en doré) pour avoir le mieux retranscrit à la télévision la parole gouvernementale. Avoir choisi Pujadas (ou même Audrey
Pulvar à un autre moment), ça permet de mieux ouvrir les yeux de ceux qui pensaient encore trouver des gens plus « intègres » dans la profession (Pernaut et son journal 100% à droite, ça aurait
été trop facile). Etonnamment, cette cérémonie plutôt bon enfant (on y voit même Pujadas sourire) est retranscrite par la suite dans les médias dominants et « menteurs » comme une attaque
indécente et Pierre Carles et sa bande sont qualifiés d’agresseurs… Mais la véritable indécence n’est-elle pas le copinage de journalistes comme Pujadas avec les « puissants » (économiques et
politiques) de ce monde (l’évocation des dîners du « Siècle » est d’ailleurs intéressante) ? Ou encore la façon dont un Pujadas se permet d’interviewer à l’antenne un syndicaliste victime d’un
plan social, lui demandant de « regretter » quelques carreaux cassés ou la mise à sac de bureaux de la direction plutôt que de commenter la mise à mort que signifie pour lui la perte de son
travail ?

Mais plutôt que de me répandre encore sur ce film nécessaire et vital pour tout citoyen, je ne saurais trop vous conseiller que d’aller le voir au plus vite dans les salles ! Car sachez que les
films de Pierre Carles ne passent jamais à la télévision, dans la mesure où la télévision a peur des films de Pierre Carles… Il en sera de même, peut-être plus que jamais d’ailleurs, pour « Fin
de concession », ce qui rend ce documentaire palpitant, espiègle et passionnant, bien plus précieux encore !



 



Mise en perspective :



- Le site de "Fin de concession"































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4 commentaires:

  1. En effet, un film passionnant dans le domaine souvent usurpé de la critique des media !

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  2. Quel éloge pour un documentaire... C'est si bien que ça ? En tout cas, le sujet est intéressant...

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  3. Je trouve moi aussi la démarche et les films de Pierre Carles très intéressants et souvent très pertinents... Heureusement qu'il y a des gens comme lui !

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