jeudi 22 août 2013

[Critique] Peau d’âne, de Jacques Demy



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(France, 1970)



Passez un été "en chanté" avec Phil Siné !




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Jacques Demy songeait à adapter le conte « Peau d’âne » depuis de nombreuses années, mais les producteurs doutaient d’investir autant d’argent (car les visions du cinéaste avaient toujours besoin
de beaucoup d’argent !) dans un film qui ne s’adresserait apparemment qu’aux enfants… L’enthousiasme de Catherine Deneuve pour le projet et l’aide de la productrice Mag Bodard finissent par
rendre le projet possible, ce qui permet au cinéaste de prouver que son film s’adresse tout autant aux enfants, qui sont émerveillés par les couleurs et la fantaisie baroque de l’ensemble, qu’aux
adultes, qui demeurent bluffés, voire troublés, par le second degré de l’histoire, notamment la façon dont la question de l’inceste y est traitée…

Emballé par un long métrage qui lui tient véritablement à cœur, Demy se permet comme souvent toutes les folies pour venir à bout de son adaptation merveilleuse d’un « conte de fées charmant »… On
pense bien sûr à « La belle et la bête » de Jean Cocteau, dont la poésie et le faste semblent ici servir de modèle au cinéaste. L’emploi de Jean Marais dans le rôle du Roi n’a d’ailleurs sans
doute rien d’innocent et appuie la référence… Le reste du casting relève lui aussi de la grande classe : Catherine Deneuve dans les rôles de la Reine qui meurt et de la princesse sa fille
(histoire d’accentuer encore un peu le trouble sur la question de l’inceste), Jacques Perrin dans le rôle du « prince charmant », Delphine Seyrig en cultissime et espiègle Fée des Lilas…

Entre l’emploi de couleurs pétantes et le kitsch des décors ou des objets, « Peau d’âne » s’impose comme un pur fantasme onirique, qui mystérieusement a su traverser les époques, tant son charme
reste purement et simplement unique et atemporel… On est émerveillé par la fantaisie d’un « âne banquier », d’un cercueil en verre, d’un « bateau lit » enflammé ou d’une rose qui parle, ou par
l’éclat des robes « impossibles » que demande la princesse à son père pour éviter de l’épouser (les fameuses robes couleurs du temps, de lune et de soleil). On est amusé par les charmes de
l’anachronisme décalé (l’hélicoptère, le pouvoir de la fée qui s’userait « comme une pile » ou ces « poètes des temps futurs » que le roi récite à sa fille… et là encore, la référence à Cocteau
par le biais d’une citation poétique !) ou par les nombreux jeux de mots et d’esprit dont se délectent les personnages (notamment le couturier, médusé par les robes qu’on lui demande de réaliser
: « Une robe couleur du temps ? on n’aura pas le temps, c’est embêtant ! » ou « Voilà qu’il demande la Lune à présent » à propos de la robe couleur de Lune). On est emporté enfin par les mélodies
miraculeuses des chansons (signées une fois encore Michel Legrand), entre « Amour amour » mettant en scène Deneuve devant son orgue bleu, les pimpants « conseils de la fée des Lilas », la mythique « recette du cake d’amour », l’hilarant « massage des doigts
» montrant des pauvres filles tout essayer pour se faire mincir le doigt pour que l’anneau du prince leur aille, ou encore le quasiment hippie (c’est
d’époque !) « rêve d’un prince »
dans lequel Deneuve et Perrin s’en donnent à cœur joie dans un comportement enfantin, à faire des galipettes dans les champs en entonnant « Nous ferons ce qui
est interdit / Nous fumerons la pipe en cachette [allusion sans commentaire…] / Nous nous gaverons de pâtisseries »… Bref ! Demy met en somme tout en œuvre pour réaliser le conte de fées idéal,
presque une compilation de contes, tellement le scénario et les dialogues réservent des allusions à d’autres contes que celui de « Peau d’âne » : une vieille crache des crapauds à chaque fois
qu’elle parle, l’essayage de la bague rappelle celui d’une certaine pantoufle dans « Cendrillon », on parle ici du « Petit chaperon rouge » ou là du « Marquis de Carabas », et les noms plus «
modernes » de la « Ségur » ou de la « Clèves » sont nommés en tant que princesses…

Un conte de fées proprement charmant, auquel le cinéaste ne peut bien sûr s’empêcher de greffer ses propres thèmes et ses propres obsessions… On relève bien sûr l’inceste, qui, s’il est bien
présent dans le conte originel, est proposé ici d’un point de vue bien particulier. Au fond, la fille du roi est troublée lorsque son père la demande en mariage, mais ne semble pas scandalisée à
l’idée d’accepter. C’est sa marraine la fée des lilas qui va lui mettre en tête de refuser à tout prix cette union contre nature… Sauf qu’à la fin, c’est cette même fée qui va se retrouver sur le
point d’épouser le roi, et l’on sent la princesse tiquer lorsqu’elle l’apprend, comme s’il y avait au fond un sentiment de jalousie, que le fantasme de la fille d’épouser son père n’était pas
vraiment éteint et qu’elle s’était finalement bien faite manipuler – et avoir – par la fée ! On reste pour le moins troublé devant cette vision, qui demeure pourtant extrêmement discrète à
l’écran. Le mystère à ce sujet demeurera très probablement éternel, Jacques Demy lui-même, à chaque fois qu’on l’interrogeait sur ce point, répondait en silence d’un subtil mouvement d’index sur
les lèvres, comme si le silence était de toute façon la meilleure des réponses possibles à certaines questions…



Perspectives :



- Les Parapluies de Cherbourg, de Jacques Demy



- Les demoiselles de Rochefort, de Jacques Demy



- Trois places pour le 26, de Jacques Demy































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2 commentaires:

  1. Sublime, merveilleux, tu as tout dit ! si ce n'est évoquer ce prince venu de Californie sans doute pour chanter au mariage à Chambord : This is the end... non, non non messire Morrison, le début
    seulement

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  2. oui, un merveilleux conte de fées charmant !

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