lundi 5 août 2013

[Critique] Trois places pour le 26, de Jacques Demy



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(France,
1988)



Passez un été "en chanté" avec Phil Siné !




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Dernier film de la carrière de Jacques Demy, produit à la demande d’Yves Montand et Claude Berry alors que le cinéaste pensait ne plus jamais trouver les moyens de refaire du cinéma, « Trois
places pour le 26 » est une vraie curiosité, malgré le peu d’impact qu’il a eu à sa sortie. Le long métrage propose pourtant une histoire tout à fait intéressante, a priori parfaitement anodine,
mais révélant progressivement différents degrés de lectures et d’intrications, notamment dans les rapports entre les personnages…

Il y a d’abord une réelle fascination à voir ainsi mêlées la fiction et la réalité, le film mettant en scène Yves Montand dans son propre rôle, ou tout du moins dans le rôle d’un Yves Montand
fictif, qui aurait décidé de monter un spectacle musical, « Montand de notre temps », qui retracerait les grands moments de sa propre vie. Mais entre la biographie et la fiction, Demy propose une
forme d’entre-deux, où tout se mélange, conduit toujours par un désir de mise en scène et de cinéma ! D’autant que l’imaginaire rattrape toujours le réel, le film laissant se greffer au spectacle
de Montand l’histoire d’une jeune fille travaillant dans une parfumerie (Mathilda May), prête à tout pour devenir artiste, et celle d’un ancien amour du comédien, raison de son retour à Marseille
pour la première du spectacle, ville qu’il a quitté voilà 20 ans, juste avant de « monter à Paris ».

Quitter sa province pour « vivre de son art à Paris », voilà une thématique hautement liée au cinéma de Jacques Demy, tout comme la façon dont l’histoire nous est progressivement racontée : les
personnages se croisent, se séparent pour mieux se retrouver, gardent en eux des non-dits embarrassants… et le tout en musique, en chantant et en dansant ! Les numéros musicaux sont scindés en
deux genres : ceux qui ont lieu vraiment, sur la scène du théâtre où Montand et sa troupe répètent le spectacle, et ceux qui sont là pour « en chanter » le quotidien, comme bien souvent chez le
réalisateur. Demy se permet d’ailleurs plein de choses étonnantes et folles dans ces scènes, qui paraissent toujours sur un fil, comme à deux doigts de dérailler complètement sans pour autant le
faire : cette chorégraphie des journalistes autour d’Yves Montand descendant les escaliers devant la gare au début du film sur une musique presque dissonante, Mathilda May dansant comme une
fofolle dans son appartement, ou encore cette apparition de Montand sous forme d’hologramme imaginaire – ou de fantôme – dans la parfumerie alors que la jeune Marion chante son envie de
rencontrer le chanteur à ses amies… On sent que le cinéaste croit en ce qu’il fait et ose des choses en-dehors de toutes les modes et parfois même du bon sens : il choisit simplement de faire ce
qui lui plait, quelque chose qui lui ressemble et auquel il croit… et ça marche la plupart du temps ! Comme dans ce fameux spectacle sur scène, dont certains numéros dans un style très «
music-hall » de Broadway demeurent très réussis, plein de joie, de jeux ou de citations… et Yves Montand semble y prendre réellement du plaisir !

Et puis il y a la question de l’inceste, amenée de façon à la fois étrange et très inhabituelle. Décidé à aller bien plus loin que dans le conte « Peau d’âne » qu’il avait déjà mis en scène,
comme s’il avait l’audace d’aller enfin au bout de ses obsessions, Jacques Demy brise tous les tabous en laissant l’inceste entre un père et sa fille se consommer inéluctablement. Certes, les
deux personnages ne savaient pas encore la nature de leur relation, à cause de non-dits nonchalants et pesants, mais l’acte est bien là, sous les yeux d’un spectateur incrédule, qui lui est bel
et bien au courant ! Pourtant, pas le moindre outrage dans la vision du cinéaste, et même lorsque les personnages comprennent ce qui leur est arrivé, le non-dit et les sourires complices sauvent
tout, même le malaise qui semblait alors poindre… Par un jeu de glissement final, celui d’une mère qui reprend la place de sa fille (qui avait mine de rien suppléé sa mère aussi bien sur la scène
que dans le lit de son père), tout rentre dans l’ordre et le scandale n’aura pas lieu : des choses se sont passées, mais Demy préfère montrer le triomphe de l’amour… et qu’il soit filial ou
sensuel, au fond, importe peu !



Perspectives :



- Les Parapluies de Cherbourg, de Jacques Demy



- Les demoiselles de Rochefort, de Jacques Demy































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