lundi 19 août 2013

[Critique] Dancer in the dark, de Lars von Trier


dancer in the dark(Danemark, 2000)



Passez un été "en chanté" avec Phil Siné !




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coeur


Sitôt après avoir érigé son fameux « Dogme » comme nouveau modèle de vertu cinématographique avec « Les idiots », Lars von Trier s’amuse à le faire exploser avec son film suivant, dont le genre
même – la comédie musicale – se révèle incompatible avec les « règles » de « l’école » qu’il venait de créer un peu pompeusement, comme celles de refuser l’artifice et de se contenter de capter
les images et les sons sans les retoucher ensuite… Avec « Dancer in the dark », il se vautrera bien sûr dans la post-synchro, notamment pour les séquences chantées ! Une « auto-trahison », en
somme, très symptomatique du cinéaste, aussi espiègle qu’expérimentateur de formes, ce qui ne pouvait lui permettre de se brider très longtemps avec un ensemble de règles strictes, si ce n’est
pour mieux les contourner…

Dernier volet de sa trilogie « Cœurs d’or », après « Breaking the waves » et « Les idiots », « Dancer in the dark » raconte une nouvelle fois le calvaire d’un personnage que l’on pourra
considérer comme « naïf » ou « pur » en fonction du regard que l’on porte sur lui. Ici, nous suivrons le destin de Selma, une émigrée tchèque et mère célibataire, morale et intègre, bien décidée
à se débrouiller seule et sans abuser de qui que ce soit… Si l’on ajoute qu’elle devient peu à peu aveugle et qu’elle travaille très dur pour pouvoir payer une opération à son fils pour lui
éviter à son tour de perdre la vue, on comprendra que l’on nage en plein mélo. Même le meurtre que Selma se retrouve « obligée » de commettre, malgré sa dureté et son extrême violence, est filmé
comme un acte angélique, répondant aux supplications de la « victime »… Victime qui n’en est d’ailleurs pas vraiment une, tant elle est à l’image de la plupart des personnages du film, qui
véhicule une image sombre et vile de l’humanité, contrastant ainsi avec « l’innocence » de Selma, allant jusqu’à refuser de se défendre alors qu’elle est condamnée à mort, simplement parce
qu’elle a fait une promesse à celui qui l’a justement trahi… « J’écoute mon cœur », dira simplement Selma. C’est le mystère de ces « cœurs d’or », inspirés à Lars von Trier par un conte pour
enfants dont l’héroïne l’a toujours fasciné, au point qu’il pourrait sans doute dire, à l’image d’un Flaubert avec sa « Madame Bovary » : « Selma, c’est moi ! »

Bien sûr, le cinéaste charge la mule et le mélodrame social au maximum, de façon presque excessive, pour faire pleurer dans les chaumières mais aussi pour jouer avec les limites du cinéma. Son
image « caméra à l’épaule » aux couleurs ternes souligne une nouvelle fois la tristesse et la laideur du monde qu’il décrit. Et cette fois-ci, il s’attaque à l’Amérique ! Sans jamais y avoir mis
les pieds (il a une peur panique de l’avion), il la voit comme un « mythe », mais un mythe qu’il faudrait au fond détruire tant il respire le mal… Son portrait des Etats-Unis dans « Dancer in the
dark » (entièrement filmé au Danemark !) est celui de l’exploitation de l’homme par l’homme (notamment dans l’usine où travaille Selma), du mensonge et des trahisons. Il décrit un pays où l’on
rend les étrangers coupables malgré eux, puisqu’il faut bien des bouc émissaires : l’exemple de Selma est appuyé mais recevable. Mais il montre surtout un pays où le meurtre est légitimé par
l’Etat, un pays où le désir de vengeance supplée à la justice véritable : Lars von Trier termine alors son film en brutal réquisitoire contre la peine de mort !

Pourtant, la vision du réalisateur n’est pas complètement sombre. D’abord parce que des personnages semblent vouloir aider, sincèrement et gratuitement, le personnage de Selma : un amoureux
transi et un peu bêta sans doute, qui l’attend tous les jours après le travail malgré les systématiques refus polis de celle-ci, et surtout Cvalda (fabuleuse et audacieuse Catherine Deneuve, une
nouvelle fois là où on ne l’attend pas !), une employée de l’usine qui paraît comme un « ange gardien » bienveillant pour Selma… Ensuite parce que le film s’enchante à travers les fantasmes de
l’héroïne : passionnée de comédies musicales hollywoodiennes (superbes scènes où elle va au cinéma et que Cvalda lui décrit le film à l’écran alors que sa vue baisse : d’abord en parlant puis en
mimant les mouvements des danseurs sur ses mains, à cause d’un spectateur qui exige le silence), elle va peu à peu s’imaginer dans un film où l’on chante et où l’on danse, transformant
progressivement « Dancer in the dark » en une forme de « tragédie musicale » aussi belle que bouleversante !

Le premier morceau chanté intervient assez tardivement dans le film (il faut attendre environ 40 minutes), mais c’est sans doute parce que la tragédie n’est pas encore assez prégnante et nouée,
et que l’héroïne n’a pas encore besoin de « réenchanter » sa vie misérable… Bien que ce soit souvent à deux doigts, et la première chanson semble vouloir démarrer à plusieurs reprises,
interrompues à chaque fois de justesse, avant de partir pour de bon ! Chaque chanson démarre par les bruits du quotidien de Selma, qui se révèlent comme autant d’amorces rythmiques propices à ses
rêveries musicales… Par exemple, c’est à l’usine qu’a lieu la première chanson, musicalement composée par le bruit des machines industrielles et dont les
paroles criées par Selma/Björk reprennent d’ailleurs de nombreuses onomatopées. Plus loin, le son du passage d’un train lancera le superbe et désespéré « I’ve seen it all », le craquement d’un disque vinyle terminé celui de « Scatterheart », et ainsi de suite… Comme si la
perte de la vue rendait Selma plus sensible aux sons qui l’entourent, et comme si surtout être aveugle à la laideur du monde qui l’entoure lui permettait d’en construire une vision plus belle et
« merveilleuse »…

Ce contraste entre le réel et les séquences chantées, proprement « oniriques » (laissant notamment un mort ressusciter pour pardonner sa meurtrière), est en outre marqué par un glissement
chromatique : les couleurs deviennent tout à coup plus vives lorsque les chants et les danses commencent… Un procédé technique consistant à placer 100 caméras fixes lors du tournage des scènes
chorégraphiées a permis également d’opérer une vraie rupture dans la forme, non seulement par rapport au reste du film, plus « naturaliste », mais surtout par rapport aux codes habituelles des
comédies musicales : là où la mise en scène de spectacles dansés se veut dynamique et virtuose (avec mouvements de grue et travellings à foison), Lars von Trier a choisi d’en prendre le
contre-pied à travers un grand nombre de plans fixes, proposant un montage singulier et passionnant, et laissant même une large part à l’aléatoire, certains plans obtenus, souvent sublimes,
demeurant alors le fruit du hasard…

« Je ne comprends pas les comédies musicales : pourquoi les personnages se mettent à chanter et danser d’un coup ? Moi, je ne me mets pas à chanter et danser… », dira un personnage, qui pourtant
se mettra à chanter et à danser un peu plus tard, dans les « visions d’aveugle » de Selma… « Quand je travaillais à l’usine, je rêvais que j’étais dans une comédie musicale, parce que dans une
comédie musicale rien d’affreux ne peut arriver », fera dire Lars von Trier à son héroïne, juste avant de nous prouver le contraire en la condamnant à mort… Juste avant son exécution atroce, Selma se met à chanter a capella sa stratégie pour ne jamais se laisser finir une comédie musicale : celle de partir à
l’avant-dernière chanson
. « Ce n’est la dernière chanson que si on s’y résigne » conclut alors le film dans un silence purement et abominablement assourdissant !

« Dancer in the dark » demeure ainsi un travail visuel et émotionnel passionnant, porté par un réalisateur visionnaire et par une « non-actrice » époustouflante, Björk, qui rendit d’ailleurs le
tournage du film pour le moins chaotique. Qu’à cela ne tienne, ce genre d’histoire demeure ce qui fonde les légendes ! Une légende qui reçut en outre la récompense suprême en 2000, celle de la
Palme d’or au Festival de Cannes, accompagnée d’un prix d’interprétation pour son interprète principale… Grandiose pour l’éternité !



Perspective :



- Melancholia, de Lars Von Trier































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2 commentaires:

  1. Et donc, maintenant que j'ai enfin oser regarder un film de ce réalisateur (Melancholia, puis Antéchrist), peut-être tenterai-je celui-ci... (tu donnes forcément envie).


     


    PS: je ne t'ai pas oublié, j'ai même déjà commencé le billet (qui me semble déjà trop long, je vais essayer d'un peu couper dedans), juste que comme j'écris déjà énormément pour mon travail de
    fin d'étude, je n'ai plus trop envie d'écrire d'autres trucs, j'attends que le besoin vienne (ça se voit d'ailleurs sur le blog, qui n'a jamais été aussi peu mis à jour de toute son existence).
    Encore 2-3 jours de travail au moins (un pour terminer, un pour couper, un pour relire), et ça devrait être prêt ^_^.

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  2. Dancer in the Dark est un long-métrage que j’ai eu la chance de découvrir parmi les œuvres disponibles dans le répertoire de cette application films en streaming :
    https://itunes.apple.com/fr/app/playvod-films-et-series-en/id689997717?mt=8. Je suis fan de Björk et cela m’a fait plaisir de la retrouver dans cette réalisation très réussie de Lars Von Trier.

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