lundi 26 août 2013

[Critique] La vie d’Adèle, d’Abdellatif Kechiche



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(France, 2012)



Sortie le 9 octobre 2013




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Adapté d’une bande dessinée de Julie Maroh, « Le Bleu est une couleur chaude », « La vie d’Adèle » a obtenu cette année la Palme d’or au Festival de Cannes. Un prix exceptionnel à plus d’un
titre, puisqu’en plus de récompenser la qualité cinématographique indéniable du film, il a été remis également aux deux actrices principales du long métrage, Adèle Exarchopoulos et Léa Seydoux,
pour saluer leur implication totale, corps et âme si l’on peut dire, dans le processus artistique… Prise de risque audacieuse, leur véritable « don de soi » devant la caméra (on les voit toutes
les deux nues dans des scènes de sexe crues et explicites) est aussi fascinant qu’impressionnant, et se révèle au fond payant, quand on pense à l’enthousiasme qu’a généré le film lors de ses
premières présentations !

Après sa médiocre et racoleuse « Vénus noire », quel soulagement de voir
Abdellatif Kechiche revenir à un cinéma que visiblement il maîtrise bien mieux, dans la veine de « L’esquive » ou de « La graine et le mulet » : celui d’un naturalisme contemporain aux
problématiques sociétales ancrées dans le monde d’aujourd’hui… Avec « La vie d’Adèle : chapitres 1 & 2 » (puisqu’il ne connaît que ces épisodes de la bande dessinée originelle et qu’il ne
désespère pas de proposer un jour un chapitre 3), le cinéaste filme au plus près des visages – et des corps ! – les émois adolescents d’une jeune fille, Adèle, que l’on voit devenir jeune femme
au cours des trois heures que dure le long métrage, sans que jamais l’ennui pointe.

La première partie est une pure merveille, où l’on découvre Adèle au lycée, avec ses camarades de classe, passer d’un cours sur Marivaux à la découverte « pratique » du désir dans la vie réelle.
Pour cela, elle commencera par la case « garçon », avant de se rendre compte que ça ne fonctionne pas pour elle, faisant au passage pleurer un beau jeune homme. Quant elle croise le regard d’une
mystérieuse fille aux cheveux bleus dans la rue, le souffle de la passion va doucement l’emporter en elle : après le fantasme d’une nuit d’amour avec cette inconnue, la réalité va combler ses
désirs puisqu’elle retrouvera cette fille, Emma, dans une boîte gay où l’emmènera l’un de ses copains. Kechiche filme alors leur amour naissant avec une fougue extraordinaire, magnifiant dans des
plans sublimés la puissance de la passion : d’un baiser en gros plan laissant le soleil irradier l’écran à chaque fois que leurs lèvres s’écartent à des scènes torrides dans une chambre, le
cinéaste n’hésite pas, comme à son habitude, à faire durer les plans, à la fois pour montrer l’intensité du moment, son impression d’éternité, et la force du sentiment des personnages, persuadés
qu’un tel amour doit pouvoir durer toujours…

« La vie d’Adèle », c’est un peu une « éducation sentimentale » moderne, avec ses doutes mais au fond toujours cette même certitude, atemporelle, du sentiment amoureux… Le désir ne se discute
pas, et si Adèle peut coucher avec des garçons, elle sait qu’elle ne peut les aimer comme elle aime Emma. Emma, plus âgée qu’Adèle, sera en outre comme son professeur en terme de sexualité et de
désir : elle lui transmet le plaisir lesbien, un peu comme Adèle sera à son tour celle qui transmet, lorsqu’elle deviendra institutrice… L’« éducation » d’Adèle passera par des séquences
difficiles (la dispute interminable avec une camarade devant l’école, l’obligeant notamment à nier cruellement sa sexualité) mais aussi par des scènes très drôles (le repas chez les parents
d’Emma, qui apprend à Adèle à aimer les huîtres, alors même que celle-ci était persuadée de ne pas aimer ça : la métaphore est triviale, mais plaisante). Pourtant, la notion d’homosexualité ne
semble pas au cœur des débats dans la relation d’Adèle et d’Emma et ne paraît même pas vraiment poser problème. Pour une camarade hystérique quand elle apprend la sexualité d’Adèle, la plupart
des autres semblent s’en foutre un peu, comme si Kechiche dressait au fond le portrait d’une société qui finit quand même par évoluer sur certaines questions de mœurs, notamment par le biais de
sa jeunesse…

« La vie d’Adèle » va même plus loin en proposant presque une vision normative d’une relation homosexuelle. Car malgré leur différence sexuelle, les deux personnages principaux finissent par
obéir aux mêmes modèles que les autres couples et par s’imprégner des valeurs d’une société « hétéronormée ». Leur relation rejouera ainsi par mimétisme les fondements d’une histoire d’amour
hétérosexuelle, chacune d’entre elles se retrouvant condamnées à reprendre des codes sociologiques connus : Emma se retrouvera progressivement dans la situation de l’homme (celle qui a le travail
le plus important, celle qui impose son point de vue, celle qui domine), quant Adèle prendra celle de la femme (accomplissant seule les tâches ménagères, incarnant la fragilité et la soumission
dans le couple). Si cette hétéronormalisation de l’homosexualité pourrait être reprochée à Abdellatif Kechiche, elle demeure pourtant une réflexion intéressante à l’heure du « mariage pour tous »
et constitue au fond tout le tragique de l’histoire d’Adèle avec Emma ! Le cinéaste montre ainsi l’impossibilité de fuir les modèles imposés ou de réformer la société par sa différence : les
différences sont au contraire digérées par un système qui les dépasse… Ainsi, le couple du film subit les mêmes problématiques qu’un couple hétérosexuel : le principe de dominant / dominé, les
non-dits, les soupçons d’adultère qui incitent à la jalousie, les incompréhensions qui mènent à l’incommunicabilité… Tout ce qui rend en somme la vie entre deux êtres si compliquée et la fusion
véritable impossible. On aurait donc beau croire être les deux mêmes au sein d’un couple (l’homosexualité n’est en ce sens qu’un leurre !), on ne l’est en définitive jamais ! Le problème d’Emma
et Adèle n’est pas leur sexualité (phénomène progressivement digéré par la société), mais leurs différences intrinsèques, apparaissant au fil des ellipses discrètes du long métrage et montrant
les différentes étapes d’un amour qui s’effrite. L’ambition d’Emma, évoluant dans un monde artistique factice et prétentieux (apparemment pas très aimé du réalisateur), aura raison de la modestie
et de la discrétion d’Adèle…

La passion consommée – et consumée –, la vie continue chacun de son côté et le spectateur intensément bouleversé par ces bourrasques de sentiments qu’il a vécu au plus près des personnages… Un
cinéma puissant et vital !



Perspective :



- Vénus noire, d’Abdellatif Kechiche































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3 commentaires:

  1. Tiens et celui ci aussi mais p'tt en BD ... Bon je verrais bien.


    Bises

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  2. Bonjour Phil, tu est la "xième" personne à déclarer que ce film est génial. Mais je n'ai tellement pas aimé "Vénus noire" que j'hésite. Je verrai quand il sortira. Bonne journée.

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  3. Trop démonstratif, voir prétentieux de la part de Kechiche dans une mise en scène qui oscille entre génie et maniaquerie, voir voyeurisme car la longueur des scènes n'est jamais une nécessité
    pour la dramaturgiee t le fond de l'histoire. Outre les scènes de sexe (de l'esbrouffe) je pense aussi au diner de famille, à la manif... Trop en longueur et sans réel intérêt. Ce qui est dommage
    car ça reste un très beau film d'amour avec deux jeunes actrices éblouissantes... 2/4

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