mardi 20 août 2013

[Critique] Jeune et Jolie, de François Ozon



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(France, 2013)



Sortie le 21 août 2013




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coeur


Non, « Jeune et Jolie » n’est pas un film sur la prostitution. Il n’est pas non plus une version modernisée de « Belle de jour », où une bourgeoise allait faire la pute pour passer le temps : à
l’ironie et à la provocation d’un Luis Buñuel, François Ozon répond par un réalisme sensible et désarmant… et transforme son nouveau film en portrait vibrant d’une jeune fille d’aujourd’hui,
sensuelle et pleine de désirs, « en 4 saisons et 4 chansons » comme le clame son synopsis. "Le premier désir de « Jeune et Jolie » vient de cette envie de filmer la jeunesse d’aujourd’hui. Et
comme je venais de filmer des garçons [avec « Dans la maison »], j’ai eu envie de
filmer une jeune fille", déclare le cinéaste.

En été, Ozon film la naissance du désir pendant les vacances, avec une crudité comme toujours malicieuse : Isabelle, l’héroïne qui fête ses 17 ans, s’étale topless sur la plage pour se faire
remarquer, se masturbe allègrement dans sa chambre (sous le regard espion de son petit frère), et vit sa première expérience sexuelle – forcément foireuse – avec son amourette estivale… Puis
vient l’automne, où Isabelle a bien changé et ne ressemble plus à la jeune fille que l’on avait laissé ‘sur’ le sable : elle se prostitue dans des hôtels, cherchant des clients grâce aux
facilités qu’offre aujourd’hui internet et les téléphones portables… C’est en hiver que le secret éclate, provoquant l’incompréhension de sa mère, mais certainement aussi d’Isabelle elle-même,
qui ne sait expliquer pourquoi elle a fait ça, ni qui elle est vraiment, au fond… C’est au printemps qu’une première véritable relation prend forme, mais que les démons intérieurs d’Isabelle
rejaillissent, aussi, pour finir comme ils ont commencé : dans une chambre d’hôtel…

Pour chaque saison, une chanson de Françoise Hardy, qui se met à résonner avec la situation et les émois adulescents d’Isabelle… "Ce que j’aime particulièrement dans ses chansons c’est qu’elle
retranscrit l’essence de l’amour adolescent : un amour malheureux, de désillusion, romantique… Je trouvais intéressant de synchroniser cette vision iconique sur un portrait plus cru de cette
adolescente", commente le réalisateur. Il est amusant aussi d’établir des liens étranges entre les paroles de la chanson et les actes de l’héroïne : « L’amour d’un garçon » devient presque une métaphore du dépucelage (et de l’entrée dans un corps d’adulte, avec la pratique de la sexualité ?) et « Je suis moi » se révèle un hymne victorieux sur la propre compréhension de qui l’on est (l’entrée cette fois dans une âme d’adulte, avec l’assurance que cela
recouvre).

Joueur, François Ozon sait comme toujours l’être à plus d’un titre, tout en flirtant avec ses désirs de provocateur indéfectible… Mais la provocation n’est jamais gratuite, tout comme l’humour
qui vient souvent tempérer la gravité de certaines scènes. Sa comparaison du travail d’un psychanalyste à celui d’une pute est plaisante, mais ce sont plus souvent les images mêmes qui véhiculent
à la perfection les intentions du cinéaste : la nudité et la crudité apparaissent comme des obsessions, mais elles font ici rire le spectateur, même si la gêne affleure derrière le rire,
notamment quand le beau père surprend involontairement Isabelle nue sous la douche ou son petit frère en train de se masturber dans sa chambre… imitant par là même sa sœur qu’il avait surprise
auparavant ? Le trouble est palpable, et il décrit à merveille le gouffre que peut être parfois le désir adolescent… Ozon se risque même à une expérience semi-documentaire intéressante dans le
déroulement même de sa fiction, comme toujours si calibrée : il filme de véritables élèves de lycée en train de commenter le poème "On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans" d’Arthur Rimbaud.
"J’avais envie d’un ancrage dans le réel, et d’entendre les voix et les interprétations de ces jeunes d’aujourd’hui. Peut-être pour savoir s’ils avaient les mêmes interprétations que moi à
dix-sept ans."

Comme toujours mis en scène avec une précision millimétrique et écrit avec une maîtrise incroyable (le sens des enchaînements et de l’ellipse chez Ozon serait un sujet passionnant !), « Jeune et
Jolie », au titre faussement racoleur, est ainsi une envoûtante éducation sensuelle et sentimentale : une tentative de compréhension d’une adolescente d’aujourd’hui… Pour l’incarner, le
réalisateur a su trouver l’interprète idéale sous les traits de Marine Vacth : "Dès que je l’ai rencontrée, j’ai vu une extrême fragilité et en même temps, une puissance. Et surtout une
photogénie qui n’était pas seulement une photogénie de mannequin. J’ai retrouvé avec elle ce que j’avais ressenti en filmant le grain de peau et le visage de Charlotte Rampling pour « Sous le
sable » : il se passe quelque chose derrière leur apparence". Il se passe aussi quelque chose d’intense et de bouleversant dans la rencontre finale entre la jeune actrice et Charlotte Rampling,
justement : quelque chose de l’ordre de la transmission, mais aussi de la génération… Quand le personnage de Rampling déclare regretter ne pas avoir réalisé ses fantasmes de jeunesse comme
Isabelle l’a fait, on se demande si ce n’est pas là la clé du film, dont le cheminement apparemment simple se révèle comme dans tous les films d’Ozon bien plus profond et subtil qu’il n’y paraît…
L’expérience d’Isabelle, bien que dangereuse et discutable, lui a pourtant beaucoup appris sur la vie (ne serait-ce que pour être plus épanouie au lit avec son copain, comme une scène d’amour des
plus réjouissantes nous le démontre !), et elle finit par accepter cet écart de parcours comme un bien précieux, comme le plan final le laisse deviner, alors qu’Isabelle peut enfin se regarder
pleinement et avec assurance dans le miroir qui lui fait face !



Autres films de François Ozon :



Dans la maison (2012)



Potiche (2010)



Le refuge (2010)































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2 commentaires:

  1. Très belle chronique pour ce film simplement sublime. Il a refermé en beauté les portes de mon été cinématographique.

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  2. oh merci ! oui c'était une belle surprise au milieu de l'été, d'habitude si terne dans les salles obscures... ;)

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