vendredi 20 septembre 2013

[Critique] Jeanne et le garçon formidable, d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau



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Jeanne et le garçon formidable



d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau



(France, 1997)



C'est la fin de l'été "en chanté" avec Phil Siné !




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coeur


« Jeanne et le garçon formidable » est l’un de ces films authentiquement et sincèrement « magique », grâce à la fraîcheur et au tempérament de ses auteurs. En racontant les aventures de leur
héroïne Jeanne, qui passe nonchalamment d’un amant à l’autre à la recherche de l’amour, les cinéastes Olivier Ducastel et Jacques Martineau redessinent avec talent une « carte du tendre » à l’ère
de l’émancipation des mœurs et du Sida, et rendent par là même occasion un vibrant hommage à un cinéma qu’ils admirent : celui de Jacques Demy… Et comme dans les films de ce dernier, il y a dans
le destin de Jeanne cet étrange équilibre entre tristesse et joie de vivre, entre légèreté et tragédie : celle-ci va en effet finir par tomber sur la perle rare, le garçon qui fera battre son
cœur pour de bon et de qui elle tombera furieusement amoureuse, mais cet amour sera bien vite assombri par le sceau de la mort, puisque Olivier – le garçon formidable du titre – est en train de
mourir de sa terrible maladie « d’amour » justement – le Sida. Mais surtout, les réalisateurs utilisent la forme même qui a fait la force du cinéma de Demy, celle de la comédie musicale !

La référence à leur maître va bon train tout au long de « Jeanne et le garçon formidable » ! Comme chez Demy, on assiste à un incessant ballet de destins qui se croisent et se décroisent, de
rencontres manquées ou simplement retardées, de gens qui se frôlent ou se parlent sans toujours savoir qu’ils se connaissent, ou du moins qu’ils ont en commun les mêmes amis… Comme chez Demy, il
y a aussi ici un vrai soin accordé aux détails et à l’animation de l’arrière plan : les couleurs vives, les petits pas chaloupés des acteurs au premier plan ou les passants qui valsent un instant
en fond de scène, juste derrière les personnages principaux… Tout cela confère un vrai rythme à l’ensemble, d’autant que la mise en scène, toujours comme chez Demy, sait se faire ludique et
audacieuse ! La caméra bouge, virevolte et réussit des séquences aussi folles que techniquement hallucinantes : il suffit d’observer ce plan séquence composé d’un seul panoramique et résumant la
journée d’un dimanche en famille pour s’en convaincre ! Quant au scénario, il assume pleinement ses dérives parfois complètement kitsch : la chanson de la « vendeuse de bouquins » à la librairie,
celle de « la vie à crédit » de la sœur de Jeanne et de son mari qui s’activent en mode « burlesque » dans leur appartement plein d’objets inutiles (critique subtile de la société de
consommation), un plombier en train de déboucher des chiottes qui déclame joyeusement « quel beau métier » à propos de sa profession… Tout cela pourrait être ridicule – et certains ne manqueront
peut-être pas de penser que ça l’est – mais cet équilibre sur le fil parvient pourtant à toucher ceux qui se laisseront emporter par l’énergie du film et rappelle surtout tout le sel même de
l’univers de Jacques Demy, qui ne cessait lui aussi de tenter et d’oser des « trucs » dans son cinéma, juste par envie et sans se soucier du « qu’en dira-t-on » !

Au fond, on pourrait qualifier « Jeanne et le garçon formidable » de « film de Jacques Demy qui s’assume complètement ». Réalisé par un couple d’hommes cinéastes (aussi bien « ensemble » à la
ville qu’à la scène), le film aborde des sujets graves et politiquement engagés (à l’instar de la guerre d’Algérie dans « Les parapluies de Cherbourg » ou de la répression policière des ouvriers dans «
Une chambre en ville », par exemple), mais en approfondissant pleinement
le sujet ici, à une époque – la fin des années 90 – assurément plus libre et libérée qu’au temps de Demy ! Avec le film de Ducastel et Martineau, l’univers de Demy fait en outre clairement son «
coming-out » et les références carrément « gay » de ce cinéma-là sont complètement exposées, jusque dans le scénario, avec notamment la présence de personnages homosexuels et « fiers » de l’être…
Comme le « garçon formidable » a le Sida, il milite à Act-Up et croise ainsi une population « arc-en-ciel » ; Jeanne a de son côté un ami homo, qui lui chante d’ailleurs une touchante complainte
sur la mort de son copain et tous les problèmes sociétaux que cela a généré (indifférence et rejet de la famille, stigmatisation des malades du Sida…)

Militant, « Jeanne et le garçon formidable » l’est assurément ! Et le film ne se cantonne pas au problème du VIH et de la libération homosexuelle (il a été tourné un peu avant l’apparition du
PACS, où une sexualité différente n’avait encore rien d’évident pour tout le monde). En effet, les chansons permettent souvent d’aborder de front de véritables problématiques sociales : on l’a vu
avec la chanson sur « la vie à crédit » (qui interroge l’endettement des ménages et une société matérialiste en pleine surconsommation), et on le voit aussi avec la « Chanson des employés du
nettoyage » (donnant la parole à des balayeurs immigrés et sans papier, qui travaillent pour la France mais continuent d’être stigmatisés), « Le tango du malaise » (où Jeanne évoque son mal-être
à flirter avec un jeune bourgeois, qui la sort dans des lieux trop huppés où elle ne se sent pas à sa place : « on n’est pas de la même classe », chantonne-t-elle sur un air mélancolique…) ou «
La vie au régiment » (évoquant le service militaire comme seule échappatoire à des jeunes un peu paumés, comme le petit frère de Jeanne).

Mais malgré son engagement évident, le film ne perd pas de vue son sujet « fil rouge », propice aux plus belles des comédies musicales : celui d’une histoire d’amour belle et tragique. La plupart
des chansons du film sont ainsi là pour illustrer les sentiments des personnages et l’évolution de leur relation… La saveur coquine et joyeuse de la chanson « Le garçon formidable » (dans un
restaurant asiatique où tout le monde se met à danser), la mélancolie grave de « La java du séropo », la douceur sensuelle et ludique d’« Un dimanche au lit » (où le « Passe moi le sucre c’est
trop amer » résonne comme une défense du cinéma de Demy, ses détracteurs se moquant de sa façon de faire chanter ses personnages pour se dire des choses aussi prosaïques que « Passe moi le sel »
à table), ou le tragique bouleversant de « Ca n’a plus d’importance », composent par le chant les étapes de l’histoire d’amour entre Jeanne et Olivier…

Toutes ces chansons sont bien sûr mises en musique, mais contrairement à l’univers essentiellement symphonique et cohérent de Jacques Demy et Michel Legrand, duquel « Jeanne et le garçon
formidable » s’affranchit alors, elles forment toute une galaxie de partitions et de compositions variées, laissant alors le film « s’enchanter » à des rythmes et sur des tempos souvent très
différents et contrastés ! World music, tango, musette, valse, aria, java, acoustique, a cappella… tout y passe, participant à une belle variété d’atmosphères et de sentiments ! Pour faire vivre
ce monde festif et remuant, qu’il soit enjoué ou plus sombre, tous les acteurs du film sont proprement « formidables »… Les seconds rôles sont épatants, de Jacques Bonnaffé à Valérie Bonneton, en
passant par Denis Podalydès. Mais le couple vedette se révèle surtout miraculeux et éclatant : Virginie Ledoyen incarne avec une belle insouciance la légèreté solaire de Jeanne et Mathieu Demy
(fils du grand Jacques, ajoutant encore de la filiation au film) reste un Olivier parfait, formidable garçon aux regards plein de charme et à la gravité douce… Il ne nous reste plus qu’à tomber
littéralement amoureux d’un film qui sait toujours garder l’âme légère en dépit du caractère tragique de son sujet et de son dénouement. Il faut dire que Jeanne sait se montrer suffisamment
aérienne pour nous convaincre sans cesse que la vie est comme un jeu et qu’elle peut toujours continuer, malgré la tristesse et la mort… « Eh merde ! », s’exclame-t-elle en tombant sur le pavé à
la fin du film, ratant l’enterrement d’Olivier à cause de son éternel retard : son visage se fait alors insaisissable, entre rires et larmes, persuadée sans doute que tout peut éternellement
recommencer, comme pour ses parents qui ont eu d’autres enfants avant elle, morts tragiquement, ce qui ne les a pourtant pas empêché d’en avoir à nouveau, parce que la vie vaut la ‘peine’ – c’est
le cas de le dire – pourvu qu’on la prenne toujours avec philosophie.

Bonus :
Trailer d’un court-métrage passionnant et instructif sur le film : « Stéphane et le brouillon formidable », de Stéphane Gérard



Autres films d'Olivier Ducastel et Jacques Martineau :



L’arbre et la forêt (2010)



Nés en 68 (2008)































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2 commentaires:

  1. Oh, il y a quelqu'un d'autre qui connait ce film!!!! Je l'aime beaucoup. En même temps, je l'ai vu il y a un bout de temps (et revu, mais aussi il y a un bout de temps).

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  2. oh mais oui, c'est quasiment un film culte pour moi ! je l'ai même vu en salles, dans le petit cinéma de province de ma ville natale... il m'a forcément été d'une grande aide, ce film là ! ;)

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