vendredi 27 septembre 2013

[Critique] Les dépravés, de Philippe Barassat


les_depraves.jpgLes dépravés



de Philippe Barassat



(France, 2013)




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« De film en film, j'essaie de dresser le portrait des amours monstrueux, inconnus, étranges. Comment ils s'emparent de nous, contre toute attente, toute raison, et nous mènent, nous projetant
dans des univers mystérieux, inavoués et inavouables » : voilà comment Philippe Barassat présente son travail… Déjà auteur de plusieurs courts et longs métrages visiblement atypiques (aux titres
aussi évocateurs par exemple que « Le nécrophile »), ce réalisateur hors norme propose dans son nouveau projet d’explorer la sexualité des handicapés, sujet tabou s’il en est, par le prisme d’un
personnage qui se propose comme « assistant sexuel » à ces personnes. Autant réflexion sur l’amour ou le désir que questionnement sur une pratique encore à ce jour interdite en France, « Les
dépravés » s’impose ainsi bien vite comme une œuvre tour à tour marginale et importante, drôle et dérangeante, inquiétante et émouvante…

Au fil d’une histoire contée dans un noir et blanc auteurisant, on suit le cheminement d’Aldo, un jeune infirmier fringuant et charmant (incarné par le merveilleux et audacieux Jérémie Elkaïm), qui perd son emploi et n’ose pas en parler à sa copine… Voyant
qu’un véritable travail n’arrivera pas aussi vite qu’il le voudrait, il se laisse un peu entraîner malgré lui dans l’assistanat sexuel auprès d’handicapés, sans le nommer tout à fait au départ et
sans le définir très précisément non plus… D’abord hésitant devant une activité flirtant avec la prostitution, il semble peu à peu se laisser « prendre au jeu », si l’on peut dire, et si ce n’est
en éprouver de la satisfaction (ou du plaisir ?), tout du moins trouver dans ses actions une espèce de fascination qui ne relève pas seulement du « plaisir d’offrir »…

Si parallèlement à ses nouvelles activités, la relation d’Aldo avec son amie évolue (Aldo se transforme et prend progressivement conscience de l’illusion de son couple ?), ce sont ses rapports
avec le groupe de personnes handicapées qui l’entourent qui vont se placer au cœur du film. Si le récit est tout d’abord traité avec humour et légèreté, « Les dépravés » sait se faire plus grave
au fur et à mesure que la fiction progresse… Entre la détresse des handicapés et la tendresse dont fait preuve Aldo, on finit bien souvent par ne plus savoir qui profite de qui ou qui abuse de
qui… L’air de rien, le long métrage pose au fond de vraies questions, sans forcément y apporter des réponses toutes faites. Il impose ainsi un monde complexe et réaliste…

La dernière partie des « Dépravés » surprend encore, comme si le film n’avait pas déjà assez secoué son spectateur jusque-là… L’amertume paraît s’installer parmi les handicapés, qui donnent leur
argent en échange de quelques caresses. Quelle est au fond la légitimité d’Aldo, qui prétend comprendre ce qu’ils ressentent ? S’il est sincère dans ses propos et ses actes, son discours se
heurtent pourtant au principe de réalité, et quand on lui propose comme un jeu de vivre une journée « comme un handicapé », le jeu dérape et ne peut alors que dégénérer… Les rapports de
domination finissent par s’inverser cruellement : Aldo ressent dans sa chair la réalité du handicap et la puissance que peuvent avoir les autres sur sa personne… Tombé à terre, violé par ceux
qu’il a « aidé », on assiste à un spectacle véritablement perturbant, duquel on ressort entre compréhension et incompréhension, autant dire profondément chamboulé… Le groupe d’handicapés qui
s’acharnent alors sur Aldo ressemble aux « monstres » du « Freaks » de Todd Browning, qui finissent par se venger violemment de celui qui les exploite… Si l’on a de la compassion pour leurs actes
barbares dans ce cas, on se retrouve ici dans un entre-deux plus mitigé : mais après tout, Aldo aurait-il compris la vérité de leur univers si les handicapés ne le lui avaient pas renvoyé en
pleine face aussi brutalement ? Certainement pas… Et le film rappelle au fond combien nous sommes tous plus ou moins des handicapés : pas nécessairement physiquement, mais de la vie assurément !



"Les dépravés" a été présenté
à "L'étrange Festival 2013"































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