lundi 9 septembre 2013

[Carte blanche] La musique dans l'oeuvre de Sono Sion (vu par Alex Torrance)


sono_sion.PNGPassez un été "en chanté" avec Phil Siné !



Avec son pseudonyme en hommage à des personnages de Kubrick (ceux d'"Orange mécanique" et de "Shining"), Alex Torrance alimente un ciné-blog au nom
tout aussi référencé : l'"Overlook Cinema"
! Il y parle avec passion et talent de ses dernières toiles et des films qui l'ont marqué. Il vous offre aujourd'hui dans le cadre de "l'été en chanté" une analyse de la musique dans les films d'un de ses cinéastes préférés :
Sono Sion...



Dans le cinéma japonais, les réalisateurs les plus prolifiques sont aussi ceux qui se renouvellent le plus dans leur style, comme c’est le cas pour le grand Sono Sion. Ce dernier, fort connu pour
son outrance, est aussi à l’origine de films un peu plus « populaires » ou, à l’inverse, très expérimentaux. Dans ces cas, l’un des rares points communs que l’on pourrait attribuer à
ses œuvres de même paternité serait l’utilisation minutieuse d’une musique qui colle toujours on ne peut mieux à l’image, quelle que soit l’intention recherchée par le cinéaste. Il devient alors
très intéressant de se pencher sur le lien qui unit le cinéma de Sono Sion et la musique qui lui donne le ton...



Commençons par le commencement : « Ore wa Sono Sion da ! » Essai cinématographique d’une demi-heure, ce premier film reste assez limité en termes de musique. Les quelques
morceaux de classique que l’on entend – lorsque ce ne sont pas les hurlements du réalisateur – sont enregistrés avec les moyens du bord et sont certainement là pour provoquer une envolée lyrique
un peu limitée par la qualité. Dans la décennie suivante, les genres musicaux se succèdent et les expérimentations prennent de l’ampleur : de la voix incessante de Keiko dans « Keiko
desu kedo », nous ne retiendrons pas grand-chose en matière de musique. Toutefois, dans les premiers « films à histoire » du cinéaste réalisés dans la même décennie –
« Jitensha Toiki et Heya » (« The Room ») –, c’est le début d’une certaine diversité. Un peu de folk à tendance country pour le premier, tandis que le second ne disposera que
d’un seul et unique thème de jazz – qui n’apparaitra que trois ou quatre fois (le film s’attardant davantage sur les bruits du monde extérieur). La musique n’a donc pas encore sa place dans le
cinéma de Sono.



Le 21ème siècle est un véritable tournant artistique pour Sono Sion, qui mettra fin à ses films purement expérimentaux. En d’autres termes, le cinéma de ce dernier s’ouvre à une audience
légèrement plus grande avec un premier bon long-métrage (même si  « Heya » avait tout de même de nombreuses qualités) : « Utsushimi ». La musique, qui rappelle à
tout instant les reportages que l’on peut voir à la télé, s’inscrit dans une logique implacable – le film étant bel et bien construit comme un faux-documentaire. Premier choix judicieux en
matière de musique. Toutefois, c’est avec « Suicide Club » que Sono Sion accède à la fois à la notoriété et à cette idée – que l’on retrouvera dans d’autres de ses films – de la musique
dans le film (à proprement parler puisque les personnages l’entendent eux aussi). Nous retrouvons ainsi un groupe de jeunes filles qui chantent de la « j-pop » et semblent autant
dérouter le spectateur par leurs paroles que les jeunes lycéens qui se suicident.



Dans cette « transcendance » de bande-originale, qui vient alors se glisser dans l’intrigue au point de lui être indispensable, nous retrouvons deux autres longs-métrages plus
« grand public » : « Into a Dream » et « Kikyu Club, Sono go ». Dans le premier, le thème principal « Yume no naka e » vient carrément fournir la
trame de base au réalisateur, qui semble apporter une image à chaque phrase du morceau au point de nommer son œuvre du même « Yume no naka e » (« Into a Dream », en japonais).
Tout au long du film, les personnages chantent le morceau, pendant que le protagoniste comprend le lien entre ce simple morceau populaire et sa propre vie. Dans « Kikyu Club, sono go »,
c’est encore autre chose : les personnages chantent eux aussi un thème à de nombreuses reprises dans le film, mais le morceau d’Arai Yumi « Kageriyuku Heya » a davantage
l’apparence d’un message porteur d’espoir pour des personnages nostalgiques depuis la mort de leur ami. Lorsque le moment final retentit, cette fois-ci interprété par la chanteuse, on prend ainsi
conscience de la puissance du film. De la manière plus anodine, c’est aussi un morceau de musique populaire qui est utilisé dans « Exte » – d’ailleurs réalisé dans une démarche plus
commerciale qu’à l’accoutumée. L’accordance musique/film fonctionne donc encore…



« Strange Circus » marque la notion de musique dans le cinéma de Sono Sion. Tandis que l’univers du réalisateur japonais se précise autour d’un monde sombre et glauque, nous assistons
aussi à l’explosion de toute une mélomanie jusqu’alors dissimulée par le cinéaste, qui a déjà dix films derrière lui. C’est le début d’une maturité et, par la même occasion, d’une puissance plus
destructrice qu’à l’accoutumée. Dans ce long-métrage, la violence est sublimée par la musique de Bach, Liszt ou Debussy. Du classique sur de l’amoral ? Kubrick et bien d’autres l’ont déjà
fait, certes. Cependant, rares sont les réalisateurs à user de la musique de sorte que celle-ci soit en alchimie totale avec les images : Bach n’a rarement été aussi beau que dans la
descente aux enfers de la protagoniste de « Strange Circus ». À partir de ce film, on s’aperçoit notamment que la musique peut sublimer l’ultra-violence au point de la rendre
extrêmement poétique. De façon similaire, la musique joviale composée par Sono pour l’occasion accentue plus la terreur qu’elle ne l’atténue… Ainsi « Himizu » tourne autour du
« Requiem » de Mozart et de l’« Adagio pour cordes » de Barber, qui lui assignent alors un registre plus dramatique malgré une apparente brutalité dans les images.












Ensuite, c’est Mahler qui donnera le ton à quelques uns des films suivants : la 1re symphonie dans « Cold Fish » – où la violence atteint des sommets de lyrisme et de sang –, la
5ème dans « Guilty of Romance » et l’« adagio » de la 10ème dans « The Land of Hope ». Au-delà du simple thème musical, ces symphonies apportent véritablement leur
empreinte à chaque œuvre de Sono, au point qu’il devient alors difficile de les écouter par la suite sans penser aux bas-fonds de « Guilty of Romance » et son Izumi déchirée, récitant
un poème ; au « climax » époustouflant de « Cold Fish » ou à la danse d’hiver en zone irradiée de Chieko, dans « The Land of Hope ». Tous ces grands moments
musicaux donnent ainsi le ton à des scènes d’anthologie, qui marquent l’esprit comme seules peuvent le faire celles qui sont orchestrées par Sono Sion. Avec tout cela, on peut donc dire de la
musique qu’elle a permis à Sono Sion d’atteindre des sommets de maîtrise…



Enfin, la musique chez ce réalisateur a aussi contribué à faire de « Love Exposure » une grande fresque cinématographique, donnant tout particulièrement un rythme à ces quatre heures
qui défilent à toute allure. Les partitions de cette bande originale sont des plus diverses. C’est d’ailleurs grâce à ce très long-métrage que nous parvient enfin une légende du rock
« underground » japonais : « Yura Yura Teikoku ». Trois thèmes différents, que l’on entend maintes et maintes fois, suffisent à séduire. Par ailleurs, le morceau
« Kudo desu » renvoie vers la notion de musique dans le film : la secte de l’Eglise Zero l’entonne lors d’une « réunion ». Autrement, c’est le second mouvement de la 7ème
symphonie de Beethoven qui se charge d’apporter la puissance aux scènes dramatiques, déjà portées par le brillant couple d’acteurs. Bach, Debussy, Liszt Saint-Saëns, Beethoven, Mahler : Sono
Sion se serait-il servi des plus grands pour devenir lui-même une immense figure du cinéma japonais ?



 Retrouvez Alex Torrance sur son blog !































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