mercredi 11 mai 2011

[Critique] Où va la nuit, de Martin Provost



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Où va la nuit, de Martin Provost (Belgique, France, 2010)



Sortie le 4 mai 2011



Note :
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Une jeune fille se fait renverser par une automobile mal contrôlée : son corps reste étendu, inerte, sur la route... Première image choc et brutale d'un film âpre et noir. La suite immédiate ne
sera guère plus gaie : dans une petite ferme de la campagne belge profonde, une femme (Rose) se fait brutaliser par son mari alcoolique. Il la bat violemment, apparemment sans raison, comme si
c'était devenu une habitude, finalement... Un soir, elle décide enfin de prendre son destin en main et renverse cet homme qu'elle supporte depuis trop longtemps, exactement de la même façon qu'il
a tué la jeune fille au début du film... C'est amusant de constater que le seul fait de se mettre à conduire (le mari se voit retirer son permis après l'accident, ce qui oblige sa femme à
apprendre) s'incarne ici comme un élément d'émancipation majeur, permettant enfin à la pauvre femme battue de "passer à l'acte"...

Après pareille introduction, on peut se demander effectivement jusqu'« Où va la nuit », mais le film s'éclaire enfin : après l'enterrement, Rose part quelques jours à Bruxelles chez son fils,
l'occasion de se rapprocher de lui, après son départ prématuré du domicile familial il y a bien longtemps, le père n'ayant pas supporté son "style de vie" (le fils est homosexuel). On suit en
parallèle l’enquête de la police et les déambulations bruxelloises de Rose, qui essaie de profiter au mieux de ses derniers moments de liberté… Ce personnage, comme toujours formidablement
interprété par une magistrale Yolande Moreau, dans son éternelle robe à fleurs, mélange paradoxale de grandeur et de simplicité, s’avère psychologiquement assez fascinant : ambigu, on a parfois
bien du mal à savoir ce qu’elle pense, dans quelle mesure elle se sent coupable de son crime, dans quelle autre mesure elle en est satisfaite… L’actrice sait la rendre parfaitement humaine, et
sans nous la présenter comme totalement « positive », sans en faire non plus une victime totale (n’a-t-elle pas au fond sa part de responsabilité dans son aliénation à son mari pendant si
longtemps ?), elle parvient à nous la présenter comme fondamentalement attachante.

Tout le film de Martin Provost peut être vu comme une grande fuite en avant : une libération, bien sûr, celle d’un sombre passé, mais aussi celle d’une émancipation, qu’elle soit féministe ou
psychanalytique ! Le clin d’œil final à « Thelma et Louise » par exemple,
lorsque Rose prend la fuite devant la police avec une autre « veuve heureuse » (savoureuse Edith Scob), tend à placer « Où va la nuit » dans une logique de rébellion des femmes. Mais le long
métrage lorgne aussi du côté de la tragédie œdipienne : en tuant le père, la mère croit un moment libérer le fils, qu’elle avait d’une certaine façon elle aussi abandonné… Sauf que ce dernier
finit par lui reprocher ce meurtre, non pas parce que c’est mal, mais parce que ça aurait du être à lui de le tuer ! Le rapport de filiation demeure ainsi complexe (d’Œdipe ?), sinueux et assez
émouvant en même temps : le fils se refuse à la mère dans la mesure où il n’a pas eu la virilité pour vaincre le père… Si l’on prend en compte son homosexualité, sa part de « féminité » si l’on
se vautre dans le cliché, on pourrait alors continuer abondamment la psychologie de bazar…

Mais le film est aussi un voyage de la pénombre à la lumière. Tout le long métrage est d’ailleurs subtilement structuré à partir d’un excellent travail sur les éclairages : si tout commence dans
la nuit (la femme sous l’emprise de son mari), il se termine en plein jour, avec un magnifique dernier regard de Rose vers le soleil au-dessus de la mer… On obtient alors une réponse à la
question que pose le titre du film : « Où va la nuit ? » Il semblerait qu’elle mène parfois au jour suivant, tout simplement… Et en sortant de cette nuit, la femme, enfin libérée, s’est
complètement transformée ! Une évolution que Martin Provost explique très bien : "Pour l’anecdote, je me souviens alors qu’on approchait des séquences de la fin, qu’Agnès Godard, la
chef-opératrice, pour plaisanter surnommait Yolande Gena Yolande en référence à Gena Rowlands et aux héroïnes des films de Cassavetes... C’était vraiment ça ! Dans le tout dernier plan du film,
quand on la découvre au bout du quai avec ses cheveux dénoués, vivante et totalement présente à elle-même, Yolande est impériale. C’était notre objectif, emmener ce personnage là où elle ne
pouvait pas aller […] C’était une autre femme !"



 



Mise en perspective (spéciale Yolande) :



- Mammuth, de Gustave Kervern et Benoît Delépine
(France-Groland, 2010)



- La meute, de Franck Richard (France, 2010)































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7 commentaires:

  1. Je reviendrais lire en entier ton article car je suis une fan de Yollande Moreau donc pas du tout objective !!! Je vais aller voir le film que je vais trouver "Génial" et je viendrais voir
    pourquoi tu ne lui a mis que 2 étoiles !!!

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  2. Je tiens à préciser que ce film est adapté d'un roman : Mauvaise pente de Keith Ridgway que je viens de lire. D'après ta chronique, le réalisateur a beaucoup interprété le livre (mais j'imagine
    que c'est le principe quand on adapte un livre en film) et notamment le personnage du fils ; dans le livre il est bien plus ambigü et bien plus paumé je dirais. Il en veut terriblement à sa mère
    mais n'aurait jamais envisagé de tuer son père à sa place. Enfin j'aime pas quand tu dis qu'elle a quasiment "abandonné" son fils.


    En tout cas, l'ambiance sombre et âpre du livre a l'air d'y être. Et la transposition du cadre campagne irlandaise-Dublin au cadre campagne belge-Bruxelles m'intéresse en fait ! Je finirai
    peut-être par aller le voir, il est à l'affiche à l'Alhambra de Calais la première semaine de juin...

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  3. Bon alors si 2 étoiles c'est bien, ça va !! Je lis que sur le dernier commentaire que ce film est tiré d'un livre "Mauvaise pente" et bien je suis comblée je vais lire le livre et voir le film.
    J'aime beaucoup ton blog, je le trouve très attractif.

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  4. Super article pour un film belge que je n'attendais pas.


     


    Ber

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  5. Tout à fait entre nous, la Edith elle a crevé son jules (et s'en est sortie) non ? ^^

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  6. Très sobre, et pourtant très émouvant, on arrive pas à complètement aimer le personnage de Yolande, ni son fils, mais on les comprend. Le film évite le pathos, et même l'allusion tragique à
    Thelma et Louise, comme toute la dernière séquence est lumineuse dans un film bien sombre.


    Que son fils soit venu lui suffit pour être apaisée et laisser venir la suite.


    Le film ne répond pas aux questions qu'il pose ( pourquoi se résigne-t-on à la violence si longtemps? Un meurtre peut-il être juste? ) mais montre des personnages dans toute leur
    humanité. Tout cela servi par un excellent jeu d'acteur et une lumière toujours appropriée.

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  7. jolie analyse ! tu devrais te mettre à bloguer toi aussi ! :)

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