mardi 24 mai 2011

[Critique] La conquête, de Xavier Durringer


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La conquête, de Xavier Durringer (France, 2011)



Sortie le 18 mai 2011



Note :
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Avec « La conquête », Durringer signe un film bien curieux. Pour la première fois en France, un cinéaste « ose » proposer un long métrage sur un président encore en exercice : outre la difficulté
de trouver des financements (notamment par des chaines de télévision toutes à la solde du pouvoir actuellement en place), l’exercice devait demeurer vigilant à ne pas se laisser aller à la
critique trop facile ou à la diffamation qui l’aurait trop vite condamné… On demeure surpris, du coup, de découvrir un scénario finalement assez sage de la part d’une équipe de cinéma plutôt
réputée à gauche, et qui reste surtout dans le cheminement balisé de ce que l’on savait déjà sur les cinq années qui ont permis à Nicolas Sarkozy d’accéder au pouvoir suprême en 2007 ! « La
conquête » permet cependant une synthèse pertinente sur un fait de l’histoire hyper récente, même si ses auteurs revendiquent plus que tout le statut de « fiction » de leur œuvre : une fiction
dont les personnages conservent pourtant les noms de leurs modèles du monde réel, et une fiction surtout très largement et brillamment documentée !

Ce qui frappe en tout premier lieu dans « La conquête », c’est le mimétisme quasi-parfait des acteurs avec leurs « personnages ». Qu’il s’agisse d’effet de maquillage ou d’imitation verbale et
gestuelle, le degré de ressemblance physique est souvent bluffant ! Affublé d’une moumoute longuement fignolée, le d’habitude si chauve Denis Podalydès reprend les tics nerveux de Sarko avec
conviction. Bernard Le Coq singe à la perfection Jacques Chirac, jusqu’à un travail d’imitateur sur son accent et son phrasé… Quant à l’acteur jouant Villepin, il a tout de celui qui, l’air raide
et pincé, avance avec un balai dans le cul ! De cet étrange jeu de miroir ressort un effet comique lorgnant largement vers la caricature. En accentuant les tensions entre les individus et en
offrant surtout des dialogues salés (les répliques cultes sont légions !), Durringer verse dans la pure farce politique, à la fois drôle et enlevée ! On penserait presque à un Molière qui en son
temps se moquait des petites afféteries des grands personnages au pouvoir…

Mais passé cette première couche, en outre parfaitement savoureuse malgré une impression de parodie très superficielle, « La conquête » nous invite aussi à creuser la vie et les mœurs des
politiques d’aujourd’hui… Et le spectacle ne manque alors pas de piquant ! On reste d’abord interloqué (quand ce n’est pas choqué, à moins d’être un lecteur régulier du « Canard enchaîné ») par
les registres de langue, bien souvent d’une vulgarité sans nom, qui sortent de la bouche de ceux-là même qui nous gouvernent. L’ironie, le cynisme et la méchanceté éclaboussent chacune de leurs
phrases, qui tombent comme des répliques parfaitement écrites. On les voit en train de blaguer les uns avec les autres, à imiter les journalistes qui leur lèchent le cul pour se préparer à une
interview à la télévision, voire à imiter leurs confrères socialistes… La palme dans ce domaine revient probablement à Dominique Besnehard, imitant joyeusement Ségolène Royal pour simuler le face
à face politique que Sarkozy aura avec elle entre les deux tours des élections : on y sent comme une revanche de la part de celui qui fut justement « remercié » par la candidate « de gauche »
alors que l’acteur la conseillait sur sa campagne politique la même année… On assiste en outre à une description sans fard des jeux de connivence particulièrement malsains que les hommes
politiques entretiennent avec les journalistes et l’ensemble de la sphère médiatique : Villepin se rend compte notamment un peu tard que Sarkozy gagnera l’élection justement parce qu’il a tous
les médias dominants dans sa poche ! Des allusions qui en disent finalement assez longs sur l’illusion de la séparation des pouvoirs en France, notamment quand les intérêts économiques
apparaissent comme bien plus importants que l’information : car Sarkozy est ami avec les chefs de tous les employés du « quatrième pouvoir », les Bouygues, les Bolloré, et compagnie… qui n’ont
alors d’autre choix que de lui manger dans la main pour conserver leurs jobs, quitte à faire quelques taches fâcheuses sur leurs principes d’intégrité !

Tout ne semble alors réduit qu’à un jeu : le jeu politique, le jeu médiatique… Une scène nous montre le futur président Sarkozy en train de répéter son discours pour « le grand soir » sur les
planches d’un théâtre, exactement à la façon d’un Denis Podalydès, « sociétaire de la Comédie française », qui répète son texte avant une représentation. Faut-il alors en conclure qu’en
politique, tout serait faux et tout ne serait que jeu ? Et finalement rien d’autre qu’une vaste supercherie ou qu’une suite de manipulations diaboliques ? Perspective effrayante ! Rendue palpable
pourtant par les procédés de Nicolas Sarkozy dans « La conquête ». Certes, le film travaille à le rendre un peu plus « humain » qu’il ne le semble au peuple de France, notamment en le montrant
vulnérable par rapport à sa femme Cécilia, sur le point de le quitter… Mais même lorsqu’il cherche à la récupérer, on sent bien que la dignité et le jeu de la conquête passent devant tout
sentimentalisme ! Le candidat à la présidence agit surtout pour ne pas perdre la face et pour garder le pouvoir… En l’humanisant, Durringer parvient paradoxalement à le rendre encore plus
méprisable et inquiétant : car au fond, le personnage apparaît ici surtout comme un homme avide de puissance, prêt à tout pour y parvenir, y compris les mensonges et les coups bas ! Il apparaît
aussi comme un être inconstant, toujours nerveux et s’emportant parfois violemment pour la moindre broutille : incapable de garder son sang-froid et pourtant désormais président des français…
Troublant, non ? Sans compter cette allusion de Cécilia sur ses innombrables tromperies, qui nous ramène aux rapports particuliers entre sexe et politique, et qui fait pour le coup écho à
l’actuelle « affaire DSK », honteusement offerte en pâture au monde par l’obscénité de l’emballement médiatique et d’un journalisme de vautours…































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7 commentaires:

  1. Je te trouve bien généreux : le film ne m'a pas convaincu du tout. Il aurait peut-être mieux fallu faire un documentaire, ou un téléfilm, mais je n'ai aps vu l'intérêt d'en faire un film de
    cinéma. En plus je trouve qu'ils passent très vite sur des sujets qui auraient mérité plus d'attention : le CPE, Clearstream...

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  2. Comme Neil, je n'ai pas été vraiment convaincue. J'entends beaucoup le mot "farce" pour qualifier le film, mais cela fait partie de mes reproches justement, une sorte de farce manquée, qui ne
    provoque pas le rire tant elle reste fidèle (j'ai l'impression que seule la musique a voulu marquer le décalage) et que la réalité, quelque part, est déjà cette farce (sur médiatisation, etc).
    Rien de plus, rien de moins, bref, je me suis ennuyée ^^


    Les répliques étaient un peu artificielles quand même, je pense que c'était voulu, de jouer sur des phrases qu'on reconnaissait mais du coup, ce n'était plus très fluide dans les dialogues à mon
    goût, peut-être trop visible dans leur écriture en fait.


    En ce qui concerne la "supercherie" etc, c'est là un parti pris plutôt bien vu je trouve, d'agraver en quelque sorte la réalité en lui retirant aussi tous les enjeux. Mais encore une fois,
    j'aurais aimé plus de prise de risque (pas forcément d'engagement quel qu'il soit), plus de "fiction" ou... J'arrive pas à mettre un mot dessus mais j'avais l'impression qu'il manquait quelque
    chose.

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  3. Merci pour cette critique de ce film qui piquait ma curiosité, que je n'ai pas vu et que je ne verrai probablement pas - contente de lire donc ton point de vue !


    j'espère que tu as raison quand tu écris "En l’humanisant, Durringer parvient paradoxalement à le rendre encore plus méprisable et inquiétant" - parce que c'est justement ma GRANDE CRAINTE : que
    ce film le rende sympathique.


    Tout comme les Guignols avaient rendu Chirac sympathique en 1995.


    Alors on peut qu'espérer... mais j'avoue que j'ai peur (beaucoup de peurs amoncelées sur cette question...)


    [Juste un mot sur le DSK-gate : attention à ne pas confondre : il s'agit d'une affaire CRIMINELLE qui relève du pénal, et non d'une affaire de "moeurs", ça n'a donc rien à voir avec
    l'adultère...! ]

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  4. Contrairement à ton habitude je te trouve un brin naïf sur l' univers du film, la politique c' est un combat de coq : on les pose sur la table et on voit qui a les plus grosses..... ;-)


    Voila le genre d' avis que je voit un peu partout : http://cinemaisnotdead.fr/2011/05/la-conquete-critique/

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  5. Mimétisme quasi parfait des acteurs ? Des putain de caricatures, oui. Le film est détestable et égocentré, à l'image de celui qu'il dépeint.

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  6. Excellente description des coulisses du pouvoir où le verbe est l'arme par excellence. De bons acteurs même si Sarko-Podalydès est par exemple un peu trop caricatural, trop mimétique pour
    s'effacer derrière son personnage. 2/4

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  7. Durringer se voulait sa satire digne d'un drame Shakesperien, il n'accouche que du Bébête Show.

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