lundi 6 juin 2011

[Critique] Lolita, de Stanley Kubrick



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Lolita, de Stanley Kubrick (Grande-Bretagne, 1962)



Note :
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Adaptation du roman de Vladimir Nabokov publié en 1955, qui avait déjà fait forte sensation en son temps, la version filmée de Kubrick n’échappa pas au scandale elle non plus, spécialement dans
les milieux puritains, en dépit pourtant d’une censure préalable qui avait contraint le cinéaste à couper certaines scènes… Même si le film s’éloigne en partie du texte et de la première version
du scénario signée par Nabokov lui-même, beaucoup admettent cependant qu’il conserve l’esprit et le sous-texte de l’œuvre initiale, dont le caractère dérangeant n’avait rien d’évident dans le
contexte du début des années 60. Il faut dire que l’histoire de ce professeur épousant sa logeuse pour mieux rester auprès de sa jeune fille sur laquelle il a des vues possède encore aujourd’hui
une aura particulièrement sulfureuse et un parfum d’interdit quelque peu amoral…

Dès le départ, Stanley Kubrick installe à la perfection les enjeux de son film, par une série de scènes à la force et à la précision vertigineuse ! Rien que le mystérieux prologue, ou encore la
visite de la maison de Charlotte Haze par le professeur Humbert valent leur pesant de celluloïd : dans cette seconde scène, s’il reste parfaitement hermétique aux avances appuyées de la
propriétaire, Humbert s’apprête surtout à renoncer poliment à lui louer la chambre lorsqu’elle lui présente le jardin (d’Eden ?), où il découvre la jeune et délicieuse Lolita, nonchalamment
allongée sur l’herbe. Cette provocation de ces sens d’homme mûr lui fait opérer un retournement soudain de discours, convaincu désormais que cette chambre sera parfaite pour lui… Le destin des
personnages est ensuite scellé en quelques plans exemplaires ! On pense notamment à ces jeux de mains licencieux devant un film à sensation dans un drive-in, alors que Humbert est entouré de la
mère et de sa fille dans la voiture. C’est un ultimatum de la mère qui l’obligera en outre à l’épouser, à lui faire croire qu’il l’aime alors qu’il n’est intéressé que par les charmes juvéniles
et provocateurs de sa fille…

Les personnages, tous passionnants, sont incarnés comme jamais ! Shelley Winters joue avec conviction la mère éplorée et désespérée de ne pas être aimée, finissant folle lorsqu’elle apprend la
vérité, tout juste prête à se jeter sous la première voiture venue, comme elle s’était jetée d’ailleurs dans les bras du premier homme venu… James Mason est très fin et ambigu dans le rôle du
professeur, mais Peter Sellers incarne un personnage plus vicieux et malsain encore, tous les deux se disputant les attraits de l’avenante Lolita : plus qu’un concurrent pour Humbert, le
personnage de Sellers, qui s’insinue sournoisement auprès de lui par toute une série d’identités au fil du long métrage, symbolise bien au-delà sa conscience ou ses fantasmes en quête de
réalisation… Il est un peu le facteur déclencheur de la dépravation du personnage et sa façon d’assumer l’interdit. Quant à Lolita, qui donna son nom à toutes les jeunes filles un peu trop
matures et entreprenantes pour leur âge, elle rayonne sous les traits de Sue Lyon ! Troublante, on ne sait jamais si elle est abusée par les hommes ou si elle les abuse : toute l’ambiguïté du
film est en fin de compte probablement là… Pourtant, après avoir conduit deux hommes plus âgés qu’elle à la folie complète, poussant l’un à tuer l’autre, on la quitte auprès d’un mari tout à fait
banal, prêt à vivre une existence extraordinairement normale, exactement ce que l’on n’aurait jamais pu imaginer…

Si « Lolita » accuse une petite chute de rythme et de tension dans sa seconde partie, on restera pourtant très enthousiaste à sa vision, d’autant que tout le film est traversé par un cynisme et
une ironie hallucinante, qui lui confère une modernité apparemment éternelle… L’humour apparaît sous toutes ses formes : depuis les ridicules de la mère limite nympho jusqu’à Lolita portant un
morceau de jambon à la bouche ouverte de Humbert, sans oublier cette réplique tordante de Peter Sellers lorsque le personnage de Mason vient pour le tuer et lui demande qui il est (« Je suis
Spartacus ! », écho direct au film précédent du cinéaste, bien sûr). Du burlesque de certaines scènes à des répliques cinglantes que l’on pourrait qualifier de « cultes », le film de Kubrick est
bel et bien un autre chef d’œuvre dans une carrière admirable qui en regorge !



 



Mise en perspective :



- Exposition : Kubrick à brac ! (à la Cinémathèque française)



- Les sentiers de la gloire, de Stanley Kubrick































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10 commentaires:

  1. "beaucoup admettent cependant qu’il conserve l’esprit et le sous-texte de l’œuvre initiale"


    Pas du tout à mes yeux en fait, ce qui est d'ailleurs un des plus gros reproches que j'ai à faire à ce film que je n'ai pas aimé.

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  2. Ah c'est donc celui-ci que tu avais vu...
    Il est assez fascinant, je suis d'accord avec toi, à la fois ambigü et très maîtrisé.
    Moi le personnage de Clare Quilty me fiche la trouille ; il est d'ailleurs encore plus sombre dans le roman je crois.

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  3. Je souscris entièrement à cet hommage à un des films les moins plébiscité de l'oeuvre du grand Stan ! Ce film est génial, à commencer par son prologue précédent un long flash-back. On y découvre
    un Peter Sellers chauffant son numéro comique (prêt à endosser les multiples rôles du "doctor strangelove") qu'un journaliste des Inrocks a très justement comparé au T-1000 protéiforme, cherchant
    une parade face à la menace en essayant toutes sortes de combinaison. Mason est impeccable, Winters, tout autant et Sue...rrrh Sue, une lionne.

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  4. J'imagine bien les quolibets qui ont dû fuser suite à une critique élogieuse de l'adaptationde Lyne (ene même temps je suis assez pour la défense de certaines causes perdues). La fracture entre
    ardents défenseurs de l'intégrité de l'oeuvre littéraire et aficionados de la mise en scène cinématograpghique se fait jour sur "Lolita" comme elle divisa les amateurs de Stephen King lorsqu'il
    s'en prit à "Shining". L'adaptation cinéma n'est, à mon sens, pas là pour être le reflet le plus fidèle du livre, mais d'apporter sa propre vision, quitte à laisser dans l'ombre certaines zones
    explicatives. Libre à nous de nous faire un portrait psychologique de Humbert selon les données fournies par Kubrick (puisque Nabokov, crédité comme scénariste fut en réalité largement
    court-circuité par le cinéaste), et de savourer le flou artistique des motivations profondes de Lolita.

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  5. Mais je suis tout à fait d'accord avec toi. Sauf que si un livre s'inspire d'un livre, je trouve qu'il doit soit s'en détacher assez pour pouvoir exister en dehors de lui, soit - s'il décide de
    coller à l'histoire (et le film de Kubrick colle points par points au récit général, si ce n'est au détail le plus important, ce qui rend l'histoire beaucoup moins intéressantes à mes yeux, non
    parce qu'elle ne respecte pas le livre, mais parce qu'elle devient moins complexe et perturbante), essayer de ne pas faire du récit quelque chose de moins intéressant.

    Mais je dois dire que la réalisation de Kubrick ne m'a pas non plus tourneboulée dans ce film. Il utilise des trucs plutôt bateau pour l'époque après tout, et fait de ce film une réalisation de
    facture classique, sa mise en scène ne m'a pas marquée en tout cas. Lyne joue sur des détails et sous-entendus, Kubrick joue sur des plans d'ensemble avec un côté thriller plus que drame
    psychologique. Je préfère le jeu des sous-entendus donc je suis plus cliente du film de Lyne.

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  6. Au contraire, c'est le manque d'ambiguïté du personnage de Lolita et de celui d'Humber Humbert. Tout d'abord, pas un mot sur les "raisons" d'Humbert Humbert. Une partie du roman est consacré à
    expliquer pourquoi cet homme est ce qu'il est, un être humain coincé entre l'adulte qu'il est physiquement et l'adolescent qu'il est sexuellement. Il est attiré par les "nymphettes" à cause d'un
    amour déçu adolescent (la fille qu'il désirait et qu'il allait possédée est morte). Ce qui ne l'excuse pas du tout, mais qui rend son personnage plus complexe, plus profond. Ce n'est pas "un
    simple pédophile", c'est une personne qui arrive à réfléchir sur son attraction, qui comprend en quoi elle est condamnable mais qui va se laisser submerger par elle.
    Pourquoi, parce que face à lui se trouve une jeune fille qui ne maîtrise pas encore sa sexualité, qui a des coups de coeur comme toutes les jeunes filles de son âge, qui désire vraiment et
    intensément Humbert mais qui se retrouve complètement dépassée par la situation une fois que son béguin s'affaiblit (comme tout béguin).


     


    Le film de Kubrick me semble faire l'impasse sur la "sincérité" de la situation, sur la complexité de la "faute", et sur la douleur d'Humbert à la fin quand il réalise ce qu'il a fait à Lolita.
    On n'est plus que face à une jeune fille aguicheuse et joueuse sans aucune profondeur qui séduit un homme attiré par des jeunes filles. C'est dénaturer l'histoire en ne s'en éloignant pas assez
    pour la faire exister indépendamment. De ce point de vue-là, je trouve l'adaptation de Lyne beaucoup plus subtile et aboutie, même si cette remarque a provoqué de vives réactions indignées sur
    mon blog.

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  7. Vu en rétrospective, grosse déception, c'est pas tant sulfureuxXx qu'on ne l'a décrit. Ou alors l'époque était furieusement moribonde.

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  8. « en parler, c'est le réduire, le mettre en mots, c'est l'appauvrir, alors qu'il y a là des atmosphères, des images et des sentiments qui
    ne vous quitteront plus. » David Lynch

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  9. Vu l'année dernière sur Lille. Et il repasse encore cette année. Soit le proprio du ciné est un kubrickien convaincu, soit c'est un foutu vicieux.

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  10. s'il ne repasse QUE lolita, il y a de quoi se poser des questions... ;)

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