vendredi 2 septembre 2011

[Critique] Hors Satan, de Bruno Dumont


hors satanHors Satan, de Bruno Dumont (France, 2011)



Sortie nationale le 19 octobre 2011



Note :
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Depuis « La vie de Jésus » jusqu’à ce « Hors Satan », Bruno Dumont parcourt la symbolique chrétienne en parfait athée, pour mieux l’ancrer là où elle prend véritablement son sens : au plus près
de « L’humanité ». Pour la première fois cependant, il pousse les limites de son cinéma au-delà du seul symbolisme et filme divers éléments surnaturels, des « miracles » en quelque sorte, mais
dont on se saura jamais véritablement s’ils tiennent de Dieu ou du Diable… ou peut-être les deux à la fois, tant ils sont les deux faces d’une même « médaille » : l’homme lui-même, saisi dans sa
plus prosaïque vérité.

Formellement, Dumont creuse encore ce sillon si particulier qu’il approfondit de film en film. La grandeur et la solitude des paysages « nordiques » (ici, ceux de la Côte d’Opale) servent des
plans larges précis et somptueux, où l’on voit la figure humaine parfaitement isolée, comme enfermée dans l’immensité, et finalement décrite dans toute sa petitesse misérable… Aidé par la crudité
du jeu de ses acteurs « non professionnels », le cinéaste offre à voir un cinéma sobre et glaçant, où la sécheresse et la simplicité apparente de la mise en scène confère une rudesse et une
puissance unique. Ici, le lyrisme inonde chaque plan, mais il n’est jamais celui qu’on attend : il s’agit d’un lyrisme « vrai », à la poésie brute, celle de la nature humaine à l’état sauvage… On
sent constamment la netteté et la précision du geste filmique de Dumont, qui transforme son long métrage en pure « expérience » pour le spectateur, qui pourra parfois se sentir tout petit, voire
assommé par la grandeur et les particularismes du spectacle, mais qui ne pourra que reconnaître et s’incliner devant l’intelligence et la profondeur d’un objet au style certes exigeant, mais
incomparable.

Perdus dans l’immensité de la nature, exaltée par ses quatre éléments perçus tantôt comme un cocon protecteur (le feu auprès duquel s’endormir le soir), tantôt comme une menace (le vent faisant
ployer la végétation à perte de vue), les personnages semblent constamment en mouvement, avançant et marchant encore, mais sans direction fixe ni destination déterminée… Submergés parfois par la
grâce et la beauté, ils s’agenouillent devant le soleil et semblent prier à la gloire de la nature tout entière. Dumont le philosophe nous offre-t-il une vision panthéiste de la divinité ?

On reste en tout cas dans le doute le plus absolu à l’égard du personnage principal, cet homme mystérieux, SDF « errant » au milieu des paysages désolés, qui a pris sous son aile une jeune fille
de ferme… Il semble accomplir des miracles et des guérisons, mais ses méthodes sont pour le moins discutables : il « exorcise » une petite fille dans un corps à corps ambigu ; il viole une
passante un peu trop « nature » et libérée (qui a « le diable au corps », si l’on peut dire) pour la punir de ses instincts de pécheresse (?) ; et il tue quiconque s’approche d’un peu trop près
de la chair de sa protégée (son père qui visiblement l’abusait, un homme qui l’a embrassé sans son consentement…) Chaque fois, on assiste à des moments de pures violences, filmés avec une crudité
dérangeante, qui possèdent une ambivalence ontologique et questionnent profondément la nature humaine… « Nature humaine » dont la présence de cet homme étrange, mi-ange mi-démon, semble être là
littéralement pour la « révéler », dans tous les sens que ce terme suppose !

Ainsi, le mysticisme apparent de « Hors Satan » n’est probablement pas à prendre au pied de la lettre. Dumont propose un symbolisme plus métaphysique que chrétien et s’attache plus volontiers à
nous parler de l’homme que de figures divines… Il conserve toujours dans sa démarche un fort rapport au réel. Quand le « héros » éteint les « flammes de l’enfer » (en réalité un incendie dans les
champs derrière eux) en faisant « marcher sur l’eau » la fille de ferme, il y a une astuce : elle marche en fait sur un muret séparant deux plans d’eau… Même chose avec la résurrection finale :
elle n’est appréhendée que par rapport à la réaction humaine qui s’ensuit…

Si le cinéma de Bruno Dumont demeure exigeant et déstabilisant aux yeux de spectateurs inaccoutumés à sortir des sentiers battus de réalisations par trop conventionnelles, sa force et son audace
en font pourtant l’un des cinéastes les plus passionnants de notre temps, digne héritier d’un Bresson, poursuivant une route solitaire, difficile et escarpée, qu’il serait pourtant dommage de ne
pas suivre pour tous les cinéphiles dignes de ce nom…



 



Mise en perspective :



- Hadewijch, de Bruno Dumont (France, 2009)



- Retour sur Hadewijch : la mort du cinéma d’auteur ?



- Flandres, de Bruno Dumont (France, 2006)































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5 commentaires:

  1. Ouep, dans la digne veine d'un Luc Bresson !

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  2. Un poil trop escarpé le chemin à suivre cette fois ci. Et c'est pas faute d'avoir essayé. Mais en fait, je préfère quand il filme la terre SANS LES GENS !

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  3. Excellente critique, bonne continuation!


    Julien


    Critique de films sur le blog http://lescritiquesducritique.blogspot.ca/

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  4. merci de ton passage !


    bonne continuation à toi aussi... ;)

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