lundi 15 juillet 2013

[Critique] Les demoiselles de Rochefort, de Jacques Demy



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(France,
1967)



Passez un été "en chanté" avec Phil Siné !




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coeur


Après avoir chanté la tristesse des amoureux séparés qui jamais ne se retrouvent dans « Les parapluies de Cherbourg », Jacques Demy se lance à cœur perdu dans une
forme de film « inverse », qui chantera les joies de l’amour et du désir, qui filmera des couples d’amoureux qui longtemps se croisent et se frôlent sans se voir pour mieux finir par se trouver
dans le dernier acte. Ce film, peut-être le plus réputé du cinéaste, c’est – ou « ce sont », tellement il est nombreux – « Les demoiselles de Rochefort », où le destin, éternel joueur espiègle,
s’amuse à nous mener en bateau pour au final nous persuader qu’il sait ce qu’il fait et qu’il réunit toujours ceux qui s’aiment ! Comme dans les contes au fond, l’histoire s’arrête à l’apogée du
bonheur, une fois que chaque personnage a trouvé (ou retrouvé) son chacun ou sa chacune, même si la suite de leurs unions, incertaines, reste encore à écrire…

« Les demoiselles de Rochefort », c’est aussi une façon pour Demy de rendre enfin hommage aux comédies musicales américaines qu’il aime tant : après avoir créé lui-même sa propre forme de film «
en chanté » avec « Les parapluies », voilà qu’il s’inspire des films
musicaux de l’âge d’or hollywoodien pour livrer un spectacle infiniment riche et étincelant, « à l’américaine » comme on pourrait dire… Pour cela, il n’hésite par à aller chercher Gene Kelly,
emblème majeur du genre, ou encore Georges Chakiris, l’un des jeunes acteurs de « West Side Story »… Mais outre les références, c’est le gros travail sur la
forme et l’exigence technique incroyable du film qui le rend si magistral et comparable aux réussites américaines comme « Chantons sous la pluie » ou « Un Américain à Paris » ! L’équilibre entre les chansons et les moments
plus quotidiens est constamment parfait, les chorégraphies des numéros musicaux sont fougueuses, précises et inspirées… et les mouvements de caméra, époustouflants, permettent des envolées
lyriques exaltantes ! Les premières minutes du film servent sur ce point de véritable manifeste : la première séquence, résumé des différents thèmes musicaux du film, commence par montrer des
forains prenant un pont suspendu, les faisant flotter dans les airs, comme pour nous prévenir que le long métrage va nous permettre de nous envoler… et juste après, un plan séquence virtuose
(dont le film ne manque d’ailleurs pas !), nous emmène comme par magie depuis la grande place de Rochefort avec les forains jusqu’à l’intérieur de l’appartement des deux sœurs jumelles donnant
une leçon de danses à des enfants… ce « passage de la fenêtre » à la grue est tout simplement renversant, même s’il demeure d’une discrétion absolue aux yeux du spectateur, comme si le talent
technique devait finalement toujours s’effacer pour le plaisir illusionniste du cinéma !

Cependant, même si l’on y chante et si l’on y danse dans les rues comme dans un « musical » américain, « Les demoiselles de Rochefort » conserve une large part d’identité française et plus encore
demeure à 100 % un film de Jacques Demy ! Par un travail remarquable sur la couleur, celui-ci rend notamment le film très très « gai », allant même jusqu’à faire repeindre les façades des maisons
des rues de la ville pour obtenir le rendu qu’il désire… On assiste alors à une explosion de bleu, de jaune, de rouge… et surtout de rose ! Du rose, encore du rose, absolument de partout : sur
les murs, sur les vêtements des personnages, sur les objets, sur les volets des maisons… et jusqu’aux bouches d’incendies repeintes pour l’occasion !

Entre de nombreuses références au cinéma français (une citation des « Enfants du
paradis
» et des allusions à la nouvelle vague : « Tiens, voilà Jules et Jim » dira Solange pour désigner les deux forains, « Chanter l’amour ou Le Mépris » entendra-t-on en chanson un peu
plus loin…), « Les demoiselles de Rochefort » propose en outre de nombreux jeux sur la langue française et des tournures de styles aussi subtiles qu’abondantes. S’il y a beaucoup de jeux de mots
faciles « à quatre sous » (mais néanmoins drôles et plaisants : « Bonjour Monsieur Dame », « Je vais en perm’ à Nantes », « Je ne me suis pas encore rocheforté »…), la poésie affleure bien plus
souvent (le « Je me sens quotidienne » de Catherine Deneuve, le mélodramatique « Je n’sais pas… Je n’crois pas ! » de Françoise Dorléac à un Gene Kelly qui lui demande s’il peut la revoir…)
L’écriture des textes, qu’il s’agisse des chansons ou des simples dialogues, s’impose toujours comme une vibrante déclaration d’amour à la langue de Molière : tout est chanté en alexandrins, et
même parfois parlé en vers, comme la scène du dîner chez la mère des jumelles, scandée comme au théâtre classique…

Il est étonnant de constater aussi combien Jacques Demy accorde une place discrète mais néanmoins visible à l’évolution des mœurs, peu de temps avant mai 68 : l’émancipation des femmes (Solange
et Delphine vivant seules dans un appartement, Yvonne, leur mère, ayant élevé seule ses enfants…), la liberté de montrer son corps (Solange chantant à Delphine à propos de leurs robes de scène :
« Tu n’as pas peur qu’on fasse un peu putes », et Delphine de lui répondre innocemment : « Tiens c’est drôle mais je n’avais pas pensé à ça »), la liberté sexuelle (les mœurs relâchées des
forains, avec leurs copines qui les quittent pour des marins ou leur demande aux jumelles s’ils peuvent coucher avec elles).

Avec « Les demoiselles de Rochefort », Jacques Demy livre ainsi un chef-d’œuvre foudroyant au septième art, habité par des acteurs épatants, aux personnages tous éminemment attachants : Catherine
Deneuve et sa sœur Françoise Dorléac (qui mourra tragiquement quelques mois après la sortie du film), Jacques Perrin en « blonde » platine (fantasme de Demy ?), Danielle Darrieux, Michel Piccoli…
Tous participent à la magie et au charme atemporel d’un film toujours aussi vivant près de 50 ans après ! Il faut dire que les compositions de Michel Legrand demeurent toujours aussi
entraînantes, nous laissant prêt à chanter la vie, danser l’amour et s’optimistiquer pour tout… On sort de là sur un nuage, avec le sentiment d’avoir vu un film qui fait du bien !



Perspectives :



- Les Parapluies de Cherbourg, de Jacques Demy



- Le monde enchanté de Jacques Demy (Exposition à la
Cinémathèque française)































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2 commentaires:

  1. Les Demoiselles de Rochefort est une très belle comédie musicale qui a marqué ma mémoire de cinéphile. Mieux encore, c’est un pur chef-d’œuvre !

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