lundi 1 juillet 2013

[Carte blanche] Tabou (Gohatto), de Nagisa Ôshima (vu par Not-Zuul)



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(Japon, 1999)



Passez un été "en chanté" avec Phil Siné !



Carte blanche "enchantée" de Not-Zuul, qui propose des coups de coeur musicaux quotidiens sur son blog méli-mélomane !

Vous souvenez-vous par hasard du film « Gohatto » (parfois intitulé « Tabou » chez nous puisque c'est tout à fait la traduction du terme japonais de son titre) réalisé à la toute fin des années
90 par Ôshima Nagisa ? Inexplicablement, cela fait des années que j'essaie d'en parler autour de moi et personne ne semble l'avoir vu. Parce que c'est un film japonais ? Mais enfin, s'il est
resté à l'affiche plusieurs semaines dans ma province, c'est qu'il a eu son petit succès pourtant, il aurait même été présenté au festival de Cannes à l’époque de sa sortie ! Plus rare encore (et
miraculeux !), son scénario avait été édité en version bilingue dans la Petite bibliothèque des Cahiers du cinéma, ce qui en fit jadis mon tout premier livre écrit en japonais. Bref, malgré tout
cela et en dépit de la renommée de son génial et sulfureux réalisateur ou de la présence au casting de Kitano Takeshi, « Tabou » ne semble pas avoir franchement marqué son public… Sauf moi donc,
notamment à cause de ses étranges musiques composées par Sakamoto Ryûichi (« Furyo ») : indissociables des images du film dans mon esprit, elles avaient littéralement imprégné mes souvenirs.
 
Le générique de début lance un thème musical que l'on n'aura de cesse de retrouver par la suite, décliné selon le contexte sur divers instruments, plus ou moins variés et appuyés : celui du personnage central, Sôzaburô. Alors que l’on assiste lors de la première scène du film à quelques combats d'entraînement car le Shinsengumi (la milice
officielle du shôgun dans la période trouble du Kyôto de 1865) recrute de jeunes soldats, la musique n’intervient pour la première fois que lorsque c’est au tour de Sôzaburô de démontrer son
habileté au sabre. Pour accompagner le gros plan sur son visage pâle et androgyne, le thème au piano seul délivre quelques notes subtiles et mystérieuses et le personnage capte ainsi
immédiatement l'attention des autres protagonistes comme celle du spectateur. Les capitaines qui s'apprêtent à l'accepter au sein de leur troupe semblent à la fois fascinés et méfiants face à ce
jeune éphèbe au regard glacial qui s'avère être un sabreur de talent. Son recrutement, ainsi que celui de son futur amant, Tashiro, est le point de départ d'un scénario qui explore pêle-mêle la
question de l'homosexualité au sein de la milice et ses différentes actions militaires en cette période de grands bouleversements politiques.
 
Le premier aspect prendra assez vite le pas sur le second alors que tout le monde s’interroge de plus en plus sur ce qu’implique la présence de Sôzaburô dans le groupe. Celui-ci, conscient du
trouble qu'il provoque chez ses collègues, devra affronter d'une part la convoitise maladive de multiples amants et d'autre part les moqueries, le rejet ou les tentatives de conversion à
l'hétérosexualité (!) de la part des autres hommes du groupe... Toutefois, comme on le soupçonnait depuis sa première apparition à l’écran, on aura vite fait de remarquer aux variations de
la musique thème, très belle « Gohatto Opening Theme », que le jeune homme est loin d'être innocent ou naïf dans l'histoire. Au contraire, on devine
qu'il joue la séduction, insistant par exemple pour garder sa frange d'adolescent (qui le rend plus jeune et sans doute aussi un peu plus féminin aux yeux des autres) et amplifiant volontairement
les rumeurs à son sujet, notamment en feignant la soumission face à ses amants au cours de combats dont l’issue n’aurait pourtant dû faire aucun doute. A d’autres occasions en revanche, il
procède à des exécutions avec une froideur implacable et ne fait preuve d’aucune fragilité lorsqu’il avoue à l'un de ses lieutenants qu'il n'est entré dans la milice que pour avoir l'autorisation
de tuer en toute légitimité… Peu à peu, Sôzaburô sème la discorde au sein de son unité et le doute plane sur ses motivations jusqu’à une scène finale qui m’avait fait forte impression à l’époque.
C’est en effet la même musique, triste et teintée de mystère, qui accompagne toute la fin du film indifféremment de ce qu’il se passe à l’écran. S’y succèdent pourtant des séquences très
différentes les unes des autres : de réflexion, de dialogues ou de combat… dans cette ambiance presque onirique, l’ensemble m’avait paru de toute beauté.

Finalement, en dehors du thème principal qui a sa propre mélodie, les compositions énigmatiques de Sakamoto Ryûichi qui parcourent le film sont ainsi plutôt des musiques d’ambiance, qu’on serait
bien incapable de fredonner mais qui s’avèrent redoutablement efficaces et laissent un souvenir diffus. Je songe par exemple à une scène au cours de laquelle Sôzaburô reste à l’auberge tandis que
l’un de ses espions est chargé de prendre en filature un groupe d’hommes louches : une musique indescriptible rythmée au métronome semble sonner dans le vide et cela rend son attente (et la
nôtre) assez interminable (surtout qu’on avait bien raison de s’inquiéter du retard du pauvre bougre…). Le compositeur a de plus cherché à réconcilier ici le contexte historique avec des
sonorités et constructions musicales parfaitement contemporaines. Le résultat est parfois saisissant, comme lorsque le jeune homme arrive au temple : l’atmosphère se fait mystique et
traditionnelle, entre percussions sourdes et instruments à cordes, mais évoque aussi peut-être par petites touches des chants d'oiseaux dans le jardin (dans mon esprit tordu en tout cas…). Quoi
qu’il en soit, alternant ainsi les occurrences d’une musique thème centrale aux multiples variations, les ambiances discrètes et aussi les silences parfois (le contraste des trois prenant tout
son sens à l’écran), la musique de « Tabou » me laisse un souvenir aussi implacable que le sous-texte du film lui-même me laisse quelque peu perplexe... Ça n’est pas une OST que je réécouterais
volontiers sur disque, mais parce qu’elle est si parfaitement complémentaire avec les images du film qu’elle accompagne, il s’agit sans aucun doute d’une véritable et très belle bande originale.



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