mardi 11 juin 2013

[Critique] Oh Boy, de Jan Ole Gerster



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(Allemagne, 2012)



Sortie le 5 juin 2013




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« Oh Boy », c’est 24 heures dans la vie d’un garçon à l’âge incertain (celui, assez flottant, compris entre la fin des études et la difficile entrée dans l’âge des « responsabilités ») qui
voudrait bien boire un café que le destin semble s’acharner à lui refuser… Le film diffuse avec délice cet humour tour à tour absurde et attachant, tout en noyant son personnage dans une aura de
mélancolie douce… On aime le noir et blanc poétique et atemporel de Jan Ole Gerster, sa mise en scène à la facture très « indie » (quand le cinéma allemand s’inspire du cinéma indépendant
américain…), ses airs jazzy et son caractère arty. Et puis on aime aussi l’acteur principal, Tom Shilling, dont les airs d’adulescent nonchalant favorise le principe d’identification à son
personnage « éponge », qui absorbe à peu près tout ce qui lui arrive l’air de rien, comme si la vie passait sur lui sans qu’il en soit véritablement affecté…

Pourtant, qu’est-ce qui lui arrive comme galères au cours de cette journée pour le moins étrange et chargée. Chargée en symboles sans doute, mais c’est justement là tout le « concept » du long
métrage : faire tenir sur une journée les étapes d’une prise de conscience, celle du temps qui passe et de la réalité du monde... Largué par sa copine au réveil, infantilisé par un inspecteur
chargé de déterminer s’il peut récupérer son permis de conduire, abandonné financièrement par son père (qui a découvert qu’il avait arrêté ses études sans le lui dire), le pauvre Niko est plus
que pris au dépourvu, même si son désarroi ne semble jamais se manifester… Son comportement reste au contraire étonnamment constant, comme si les heurts et malheurs de son existence n’avaient au
fond aucune prise sur lui. Sans ambition, sans désir d’avenir, sans perspective, il se laissait porter par le temps qui passe et il se voit peu à peu dépouillé de ce qui lui permettait justement
de ne rien faire…

Au fur et à mesure que la journée avance, « Oh Boy » se fait plus grave. Les retrouvailles avec une fille qu’il a connu enfant montre les désastres psychologiques provoqués par la cruauté de
l’enfance. Niko file de lieu en lieu, de rencontre en rencontre, toujours égal à lui-même, adoptant toujours un comportement neutre et pacifique, constamment désengagé. Une absence de choix
(notamment dans ses réactions) qui semble parfois paradoxalement comme le meilleur choix possible… De sombres souvenirs de l’Histoire allemande finissent par ressurgir, mais avec un regard
toujours distancié, à l’image de Niko, incarnation même du « lâcher prise » : ici un juif et un nazi fumant en toute cordialité une cigarette sur un plateau de tournage, et puis là un vieil homme
évoquant un souvenir d’enfance dans un bar… Ce dernier raconte « la nuit de cristal », moment clé de la stigmatisation des juifs qui aboutit à la Shoah, au cours duquel des berlinois détruirent
des commerces tenus par des juifs : sauf que le vieillard en parle selon sa seule perspective d’enfant à l’époque, avec ses seules préoccupations – égoïstes ou innocentes, selon ce qu’on en pense
– de l’époque… Après un malaise de celui-ci, Niko accompagnera ce symbole de « mémoire voilée » à l’hôpital, où il trouvera la mort… Si au petit matin, notre anti-héros finit par se faire servir
ce café tant désiré au cours des 24 heures précédentes (et de toucher au but qu’il s’était fixé ?), que va-t-il désormais faire de sa vie ? Va-t-il d’ailleurs trouver, à la vue de cette sombre
journée écoulée, qu’il vaille la peine d’en faire quelque chose ou ne serait-ce que de la vivre ? Ou qu’il y ait le moindre intérêt à « grandir » ou à ouvrir les yeux sur la réalité des choses ?
Le cinéaste s’abstient bien de répondre à la question, dont la réponse appartient forcément à chacun…































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3 commentaires:

  1. Bonsoir Phil, c'est un film qui m'a beaucoup plu pour tout ce que tu en dis: le noir et blanc ainisi que la musique "jazzy" donne un ton particulier et le comportement très "zen" de Niko
    dans toutes les situations. Une jolie surprise qui semble rencontrer un bon succès d'estime. Bonne soirée.

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  2. J'ai moi aussi passé un chouette moment aux côtés de Niko! ;) J'avais peur que sa nonchalance m'agace, mais pas du tout. Ce personnage est très attachant, désabusé mais pas idiot, on lui
    envierait presque son flegme vu tout ce qui lui arrive. Tom Shilling, qui lui prête ses traits, est très juste, avec un regard empreint de douce mélancolie.
    Un joli film à l'image soignée qui reflète assez bien l'état d'une société encore hantée par son passé et intimidée par son avenir.
    Pour info, "Oh boy" devrait passer le cap des 50.000 entrées malgré sa faible distribution: beau score pour un premier film, indé, allemand, en noir et blanc et sans stars!

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  3. je suis d'accord sur tout ce que tu dis ! un film et un personnage vraiment attachant... et je suis content si le film "marche" (dans la limite de sa diffusion, bien sûr...)

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