mardi 4 juin 2013

[Critique] Le Joli Mai, de Chris Marker et Pierre Lhomme



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(France, 1963)



Reprise en salles le 29 mai 2013




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coeur


Mai 1962 : Chris Marker et Pierre Lhomme déambulent dans les rues de Paris pour enregistrer plus de 50 heures d’images, qui seront finalement condensées en 2 et des poussières afin de constituer
ce « Joli Mai », un documentaire riche et fascinant sur la vie dans la Capitale à cette époque bien précise… Mais bien plus qu’un documentaire, les deux hommes proposent en réalité un objet
filmique kaléidoscopique d’une densité et d’une profondeur impressionnantes ! Composé de deux parties, raconté par la voix d’Yves Montand (dont une chanson sert également d’interlude au milieu du
film), « Le Joli Mai » est une errance tour à tour poétique et réaliste dans un Paris tout autant mythifié que démystifié…

A travers de nombreuses interviews de passants ou d’habitants, le film dresse un portrait sociologique et ethnologique remarquable et passionnant de la ville. On passe d’un milieu à un autre,
d’un vendeur obsédé par l’appât du gain à une famille vivant entassée dans un bidonville. On passe aussi avec la même fluidité d’un sujet léger et futile à un autre autrement plus grave et
sérieux, d’une styliste concevant des vêtements extravagants pour son chat à un ancien prêtre évoquant sa renonciation à la religion pour adhérer à la solidarité ouvrière communiste… La tonalité
du film change constamment, ce qui le rend justement vivant et éclectique, rythmé, agréable et presque magique ! Chris Marker semble y jouer autant qu’y réfléchir profondément sur l’être humain
et les changements en cours dans une société en proie aux prémices de la consommation effrénée… On aime la présence impromptue de tous ces chats qui peuplent Paris (et pour lesquels le cinéaste
voue une affection particulière), on aime aussi entendre le réalisateur pousser les gens dans leurs retranchements pendant les entretiens qu’il a avec eux, ce qui provoque tour à tour drôleries
ou malaises…

Tout prête à réfléchir dans « Le Joli Mai », à commencer par les étranges échos que le film, à cinquante ans d’écart, lance à notre époque, comme si on se posait au fond toujours les mêmes
questions, comme si rien ne changeait vraiment… Si l’on s’amuse d’apprendre que le mois de mai 1962 était lui aussi particulièrement frais pour la saison (comme notre mois de mai 2013), on reste
subjugué par cette même obsession des gens pour l’argent, qui est encore aujourd’hui le poison de notre société. A travers des entretiens graves ou amusés, on nous parle de marchés financiers, de
consommation, de logements sociaux, de droits, de grève, de travail… Des esprits que l’on juge sur un ton de rigolade proposent même une baisse du temps de travail à 30h par semaine et osent même
évoquer l’idée que le travail est peut-être une idéologie qui emprisonne les hommes. Avec la distance de cinq décennies, on se rend compte avec une certaine amertume que l’on n’a fait que creuser
les horribles perspectives que 1962 lançait sur l’avenir !

Et puis « Le Joli Mai » évoque les grands faits historiques de son temps et montre tout ce qu’il reste encore à parcourir pour qu’ils rentrent peut-être un jour dans les mœurs et semblent à tous
acceptables… Si le droit de vote des femmes est aujourd’hui à peu près admis et légitimé (dans le film, on entend les femmes elles-mêmes douter de leur propre capacité à voter, persuadées qu’une
femme, futile, risque de voter pour un tel simplement parce qu’il est beau ou parce qu’il présente bien), les évocations – ou plutôt « non évocations » – de la guerre d’Algérie laissent
malheureusement songeur… Les accords d’Evian venaient alors de marquer la fin de la guerre, mais évoquer le sujet en public – et plus encore devant une caméra – semble être éminemment tabou ! A
mesure que des langues se délient, on sent bien un sentiment de malaise diffus et surtout des relents de racisme latent assez sombres… Les interviews d’immigrés – l’un d’Afrique noire, l’autre
d’Algérie – sont en cela terriblement émouvants, alors qu’ils évoquent leur difficile intégration en France, voire les vexations d’un racisme primaire… Il est désespérant de constater alors que
certains sujets demeurent encore aujourd’hui d’une si brûlante actualité et qu’aussi peu de progrès a pu être fait depuis cinquante ans. On ressort alors de ce « Joli Mai » très troublé et chargé
d’émotions paradoxales, tant le film nous aura aussi bien fait rire que pleurer, en dressant avec une grâce infinie la peinture nuancée et multiple d’une société qui porte en elle les fondements
de ce qui constitue désormais la notre !































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