samedi 6 octobre 2012

[Critique] Into the abyss, de Werner Herzog (vu par R.C.)



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(Canada, Allemagne,
2011)



Sortie le 24 octobre 2012




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R.C. a été les yeux de Phil Siné à la projection d'"Into the abyss" et vous en livre ci-dessous ses impressions...



Un an après « La grotte des rêves perdus » Werner herzog
revient au documentaire avec un thème qui lui va comme un gant : la peine capitale. S'il s'agit ici encore de « plonger dans l'abîme », ce serait plutôt pour aller au fin fond de l'âme
humaine (ça a toujours été le sujet de ses films), d'où le sous-titre : « un conte de mort, un conte de vie », témoignant du caractère métaphysique de l'entreprise.



Le prologue donne le ton : le révérend chargé de recueillir les derniers instants explique que pour lui la vie d'un homme (ou d'un écureuil) est précieuse. Herzog lui demande s'il comprend
pourquoi Dieu autorise les exécutions, ce à quoi il répond négativement. Dieu est partout dans le film, à chaque instant on sent sa présence anxieuse ou réprobatrice, on pourrait presque sentir
son absence. Derrière le révérend, des croix blanches couvrent l'horizon : ce sont tous les condamnés qui n'ont pas pu être pris en charge par leur famille. Ils sont anonymes, seuls figurent
leurs dates et un numéro. À la fin du film, un autre intervenant se demandera ce qu'il a fait du trait d'union entre sa date de naissance et celle de sa mort, ce qu'il compte en faire, de quoi ce
trait sera-t-il le résumé lapidaire.



Petit problème personnel : le révérend pleure. En fait, tout le monde pleure. La propension du réalisateur à extirper les larmes des personnes qu'il interroge est une fois de plus agaçante. C'est
une habitude chez lui, comme certains procédés de mise en scène à la limite de l'indécence : montrer aux interviewés des photos de leurs proches disparus, et surtout bien mettre en évidence ces
photos dans le cadre, mettre en valeur des éclaboussures de sang, le nounours abandonné, les cookies que la victime n'a pas eu le temps de mettre au four.



Ces procédés malhonnêtes pourraient gâcher le film. D'où vient alors qu'on lui pardonne ? D'abord, contrairement par exemple à un Michael Moore, Herzog ne triche qu'à moitié, puisqu'il ne prend
pas vraiment la peine de dissimuler sa méthode au public. Sa franchise en devient même sidérante lorsqu'il s'adresse à Michael Perry, un des responsables du massacre, et dont la mise à mort doit
avoir lieu la semaine suivante, en lui disant qu'il ne l'apprécie pas, en lui faisant clairement comprendre qu'il considère que ce qu'il a fait est monstrueux mais que pour autant il ne remet pas
en cause son droit de vie. C'est aussi comme ça qu'il faut comprendre le titre, comme dans cette citation de Nietzsche : « Quand ton regard pénètre longtemps au fond de l'abîme, l'abîme, lui
aussi, pénètre en toi. » Ainsi le cinéaste donne d'emblée son point de vue afin de dissiper les doutes : on ne combat pas les monstres en en devenant un. Et peut-être a-t-il intérêt à
clarifier les choses, car il donnera la parole à tous sans juger personne, ce qui est l'autre (et très importante) raison pour laquelle on lui pardonne ses excès : il conservera tout au long du
film un respect, une distance, une approche irréprochable sur la question de la peine de mort.



Partant donc du cas de Michael Perry et de son acolyte, Jason Burkett (condamné lui à la prison à perpétuité), et ayant construit son documentaire en chapitres, on pourrait d'abord penser à une
version filmée des « Derniers jours d'un condamné », et donc à un plaidoyer « contre ». Herzog utilise d'ailleurs la même rhétorique que Hugo en n'innocentant pas le condamné,
en relatant son passé, ses raisons, en expliquant longuement son crime, bien réel, bête et atroce. Mais il part ensuite dans une autre direction : qui sont ces gens qui tuent ou qui sont tués,
qui sont leur famille, leurs amis ? Où est la vie pour ces gens ? Où est la mort pour ces gens ? Et pour l'État ? Les témoignages multiples se contredisent parfois ou procèdent par ouï-dires, ce
qui n'est pas la moindre des qualités du film. Il n'est pas rare chez Herzog qu'on soit amené à remettre en cause le degré de réalité ou de vraisemblance de ce qui est dit ou montré. Pour preuve,
cet homme qui prétend s'être fait enfoncer sous l'aisselle un tournevis de la taille d'une sardine marseillaise (sans être allé à l'hôpital ensuite, bien sûr). Mytho ou pas mytho ? Et qu'en
est-il alors de Michael Perry qui se dit innocent ? Si le spectateur se sent capable de relativiser tout, tout le temps, il percevra que la souffrance est partout. Coupables et victimes partagent
le même abîme.



À travers ces témoignages poignants (quand les grosses ficelles n'apparaissent pas), le cinéaste offre surtout une lecture pertinente de la criminalité aux États-unis dans ce qu'elle a...
d'humaine. C'est un vrai portrait de l'Amérique (comme seuls les cinéastes allemands savent le faire). Et c'est aussi une grande épopée mystique. En prenant l'exemple du duo Perry/Burkett, Herzog
dresse un parallèle troublant entre deux criminels, deux humains qui s'ignoraient monstres, tous deux plongés dans le temps de l'abîme, un temps infini, perpétuel et glaçant, dans lequel l'un
trouvera la mort et l'autre la vie. En conclusion, l'auteur nous dit que cette vie ne sera peut-être pas géniale, mais c'est la vie quand même.



Autres films de Werner Herzog :



Bad Lieutenant : escale à la Nouvelle-Orléans (2010)



La grotte des rêves perdus 3D (2010)



Autre critique de R.C. :



Les adieux à la reine, de Benoît Jacquot































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2 commentaires:

  1. "La grotte des rêves perdus" reste un des moments forts de l'année ciné 2011, j'ai hâte de découvrir le nouveau Herzog !!!

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  2. oui moi aussi pour le coup ! ;)

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