jeudi 10 novembre 2011

[Critique psy] Le vilain petit canard, de Garri Bardine



vilain_petit_canard.jpg



Le vilain petit canard, de Garri Bardine (Russie, 2010)



Sortie le 2 novembre 2011



Note :
star.gif

star.gif

star.gif



Black Swan 2




Quand j’étais petit, l’un de mes premiers livres illustrés fut celui du « Vilain petit canard ». Seul et abandonné, rejeté de tous, passant le plus clair de mon temps à l’obscurcir dans la
pénombre solitaire d’une chambre froide, l’histoire adaptée du célèbre conte d’Andersen possédait pour moi un fort retentissement… Autant dire que le principe d’identification avec ce pauvre
petit être sorti de l’œuf là où il ne fallait pas, là où personne ne voulait de lui, fonctionnait à plein régime ! Parce qu’il était différent des autres, personne ne le reconnaissait comme l’un
de ses pairs et le petit canard était pour le coup exclus de tous les groupes… Non que les choses aient complètement changé aujourd’hui, mais du moins la douleur n’est plus la même avec le temps,
après avoir vécu de longues années de rejets et de solitude... L’habitude de la douleur la rend d’une certaine façon plus supportable, voire plus douce et parfois presque rassurante : effet
pervers du mal qui nous consti-tue. Inapte à la vie sociale et à ses codes où chacun finit par trouver sa place, je me suis toujours souvenu de ce vilain petit canard, dont l’envol final, sous
les traits du plus beau des oiseaux, m’a souvent redonné un peu d’espoir… Et malgré mon indifférence feinte au monde qui m’oublie, je n’en ai pas moins pleuré à chaudes larmes tout le long de
cette merveilleuse adaptation du « Vilain petit canard » par le réalisateur russe Garri Bardine : j’avais un peu honte, au fond, de chialer comme un petit garçon dans le noir rassurant de la
salle… Heureusement que j’étais dans le fond (pour fuir les enfants des premiers rangs), et que personne ne m’a vu !

Comment ne pas succomber et littéralement fondre, en effet, devant cette animation en pâte à modeler (et matériaux divers) du fameux conte du mélancolique auteur danois ? La fantaisie du film et
sa technique « marabout de ficelle » lui confère un charme profondément émouvant… Nos yeux sont émerveillés devant un spectacle plein de trouvailles et d’audaces formelles, mêlant avec une
infinie subtilité les choses les plus belles (le spectacle de la vie avec l’éclosion simultanée de tous les œufs… sauf un, bien évidemment !) aux choses les plus laides (le petit canard qui va de
poule en oie et de canard en dindon à la recherche d’un peu d’affection en suppliant « maman »… et qui se voit systématiquement rejeté). La simplicité technique, à mille lieues du tout numérique
contemporain, donne au film un statut à part, à l’image de son héros… Comment résister aux plaintes mélancoliques de ce canard mal fagoté, au regard désespéré, chantant sa détresse, sa solitude
et son mal de vivre sur l’air du « Lac des cygnes » de Tschaikowsky ?!

Mais la « caution » russe du long métrage n’est pas uniquement musical, elle apparaît aussi dans la fable politique qui se dessine en sous-texte de l’histoire aux apparences enfantines. Le
poulailler où naît le vilain petit canard fonctionne comme un régime autoritaire autarcique et fermé sur lui-même, où le patriotisme commence dès l’aube avec les chants nationalistes devant la
montée du drapeau : rappel d’une URSS encore pas si lointaine ? Pour autant, la description que fait le cinéaste de « l’autre monde », ces immensités qui résonnent comme un appel vibrant de
liberté derrière les planches droites du poulailler, n’en reste pas moins ambiguë : rencontrant un papa oie sauvage apprenant à son fiston à voler, notre vilain petit canard d’abord admiratif
sera très vite terrifié par le spectacle de leur mort pure et simple, sous les coups de fusil d’un chasseur… Si le prix de la liberté est la mort, alors comment apprécier la vie ? C’est la
dialectique du film, tour à tour cruel et joliment poétique, qui devrait ravir un large public, de 7 à 77 ans… et plus !

Reste cette fin, qui est certes magnifique pour ce si malheureux petit canard transformé en cygne, mais qui m’a toujours parue être une sombre arnaque, et bien plus encore aujourd’hui ! Comment
Andersen, qui nous a quand même fourni certaines des fins les plus atroces dans d’autres contes (voir « La petite sirène », « La petite fille aux allumettes »…), peut-il terminer son histoire
avec un tel espoir ? Certes, « Le vilain petit canard » demeure une ode merveilleuse à la différence et un pamphlet radical contre l’intolérance et le conformisme, mais que fait-il de tous ces
vilains petits canards qui ne deviennent jamais des cygnes ? Je demeure, et demeurerai, hélas, ce canard mélancolique, perdu à jamais dans la noirceur de son vague à l’âme, hérité de ce temps
disparu dont il ne se souvient plus…































  • Plus










7 commentaires:

  1. Très belle et touchante chronique, en espérant que le rejet et l'isolement dont tu parles soient rompus par l'exercice de ton blog mais pas seulement.


    Amicalement

    RépondreSupprimer
  2. Voilà une chronique bien émouvante! Sache cher Phil Siné que tout le monde se retrouvera à un moment donné dans les états d'âme de ce pauvre "vilain petit canard"; il en va ainsi de la dualité de
    nos sentiments...

    RépondreSupprimer
  3. Mooooh c'est mignon ! J'ai grave envie de le voir ce film maintenant. Bravo ! J'ai toujours aimé cette histoire aussi malgré la morale de l'histoire qui dit en gros qu'il faut que tu sois beau
    pour mériter être aimé ... Biz

    RépondreSupprimer
  4. papa tango charlie5 février 2012 à 10:07

    Vu hier, voilà un conte qui m'avait beaucoup marqué enfant (la fin me donnait toujours de l'espoir). j'ai même relu le conte. 

    RépondreSupprimer
  5. papa tango charlie11 février 2012 à 04:29

    Phil,


    La seule chose qui m'a déçu dans l'adaptation est d'avoir mis le vilain petit canard chez les poussins alors que pour moi il était quand même chez les canetons. Sinon, les scènes sont très belles
    et m'ont rappelé les animations de mon enfance... même que j'ai fait un gouter après le film, comme avant ^^!   C'était un peu enfantin quand même, mais tu dois être très sensible à cette
    thématique, moi ça m'a pas mal insensibilisé de ce coté là... ^^

    RépondreSupprimer
  6. Salut Phil, c'est toi qui m'a donné envie de voir ce film. Je ne l'ai pas aussi bien noté que toi, mais va voir mon billet si tu as un moment ... @+

    RépondreSupprimer
  7. héhé, je suis content quand des gens me disent qu'ils voient des films à cause des mes billets... ;) je vais voir ça de suite !

    RépondreSupprimer