vendredi 27 novembre 2009

Hadewijch, de Bruno Dumont (France, 2009)




Note :









Disons-le tout net, sans avoir peur des mots : "Hadewijch" est un ravissement. Au sens mystique du terme : on est saisit et transporté par l'extase ! Mais attention, il ne s'agit pas de n'importe
quel mysticisme : il s’agit d’un mysticisme proche de celui d’Hadewijch d’Anvers, une poétesse flamande du XIIIe siècle qui appartenait au mouvement des béguines, un courant spirituel et politique
de femmes qui se vouaient à Dieu en assimilant l’amour divin à l’amour terrestre. Une forme d’amour de Dieu quasi incarné, en quelque sorte, auquel adhère pleinement le personnage de Céline dans le
film de Bruno Dumont, dont le patronyme d’Hadewijch lui sert justement de nom religieux dans le couvent où elle se trouve quand on la rencontre.
Dans ce couvent, elle fuit une vie trop riche dans la bourgeoisie parisienne, coincée entre un père diplomate presque mutique et une mère au bord de la dépression refoulée, isolée sur l’île de la
Cité. Le couvent est certes une autre forme d’insularité, mais il va lui permettre de s’adonner pleinement à son adoration du Christ, au sens littéral du terme. En extase devant des grilles
derrière lequel se trouve un figuration de Jésus, le cinéaste nous la montre clairement devant une impossibilité : celle d’accéder au corps du Christ. Ce désir d’incarnation de l’amour de Dieu – on
va y revenir – la pousse à l’excès dans sa foi et dans sa dévotion et poussent justement les sœurs du couvent à la rejeter dans le monde extérieur…
Là, elle va se laisser emporter par tous ceux qui croiseront sa route, portée peut-être par une forme de naïveté ou d’insouciance, ou une foi tout simplement… Elle fera ainsi la connaissance de
Yassine, puis de son grand frère Nassir, qui va l’emmener sur la voie du fondamentalisme religieux, jusqu’à provoquer la violence et la mort au nom de Dieu. Mais au fond, même s’il nous montre la
bêtise et les excès du fanatisme religieux, de loin et très froidement, la question, vite expédiée, ne semble pas beaucoup intéresser le cinéaste…
Ce serait ainsi une erreur d’interpréter « Hadewijch » dans une perspective politique ou sociologique et d’établir un  parallèle avec les dérives communautaires de la société actuelle. Ce que
Dumont cherche avant tout, c’est le beau ! Porté par une mise en scène radicale et précise, le film livre des plans d’une rare beauté. La précision des mouvement de caméra, l’angle choisi avec un
soin particulier, participent à nous offrir des plans parfaits et sublimes, souvent dépouillés, dans lesquels chaque détail fait sens. Le plus surprenant, c’est que tout le génie de la réalisation
passe ici par une extrême et sidérante simplicité. Il y a une forme d’économie chez Dumont : économie des scènes, économie des plans, économie du discours… On assiste notamment à ce concert au bord
de la Seine, au cours duquel Céline et Yassine se séparent sur un malentendu : on n’entend que la musique, jamais ce qu’ils disent, et pourtant tout est là, pas besoin d’en dire plus pour
expliquer... Jamais de surenchères ou d’effets tape-à-l’œil inutiles dans ce cinéma magistral, qui a pour parents Pialat ou Bresson !
Parmi les nombreux partis pris de mise en scène (on pourrait en parler des heures durant tellement le film est riche, mais tâchons de faire quelques choix), citons notamment cette omniprésence de
la verticalité, qui paraît traverser tout le film et tous les lieux que parcourt Céline. Il y a la grue dans le couvent au début du film, il y a les arbres, il y a toutes ces tours dressées vers le
ciel dans Paris, les réverbères, et jusqu’à ces barres démesurées des immeubles de banlieue… Faut-il y voir l’idée de transcendance par la figuration d’un pont entre la terre et le ciel ? Faut-il y
décrypter plutôt une métaphore de la virilité, Céline errant en fin de compte dans un monde de pénis en érection ? Ce doute sur l’interprétation des signes résume parfaitement bien tout le parcours
vers l’incarnation de l’amour de Céline tout au long du film. Elle est d’ailleurs constamment dans l’ambiguïté et le paradoxe par rapport à ça : elle affirme par exemple vouloir rester vierge pour
se consacrer au Christ juste avant de prendre la main de Yassine et de l’étreindre…
On voit bien alors toute la démarche du cinéaste, qui utilise finalement le religieux pour mieux en sortir. De la part d’un incroyant, on en attendait pas moins… « Hadewijch » passe en fin de
compte de la théologie à la philosophie au fur et à mesure que son personnage principal prend conscience de son besoin de l’homme et tout spécialement de son besoin du corps de l’homme… De retour
au couvent à la fin du film – une fin sublime et poétique tant elle est elliptique et tant elle ouvre les interprétations –, Céline va avoir la « révélation » qu’elle attendait tant : alors qu’elle
s’apprête à se noyer, un maçon descend d’une échelle (d’un toit céleste ? figuration de Dieu faisant l’expérience de la chair en s’incarnant dans son fils Jésus ?), torse nu (comme un Christ
crucifié ?), et vient la sauver… Elle l’étreint alors de toutes ses forces et l’on suppose que son amour du corps ne s’arrêtera pas là ! Dumont vient sous nos yeux d’inventer une nouvelle mystique,
déchargée du poids détestable du religieux. Il l’explique d’ailleurs lui-même : "[Céline/Hadewijch renaît], pleine de grâce et de larmes, à une humanité nouvelle et spirituelle. Une humanité où les
religions auront regagné les théâtres et retrouvé leur juste représentation, c'est à dire leur pure poésie. Au fond, Dieu n'existe qu'au cinéma, là où l'on peut dignement chercher et croire".
Chercher, c’est justement son but en faisant du cinéma. Pour lui, l'athéisme ne suffit désormais plus. « L’humanité » a besoin d’autre chose, peut-être d’une nouvelle « Vie de Jésus »…






























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2 commentaires:

  1. Avec un peu de retard à l'allumage, juste pour vous dire que je partage votre appréciation de ce film que j'ai adoré...

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  2. merci pour votre commentaire... un très grand film d'un immense réalisateur, malheureusement trop peu vu... (moins de 20000 entrées lors de sa sortie en salle, c'est d'une tristesse...)

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