jeudi 29 avril 2010

Fenêtre sur cour, d’Alfred Hitchcock (Etats-Unis, 1954)



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Note :
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Cette chronique est publiée en hommage à Alfred Hitchcock, qui nous quittait il y a tout juste trente ans aujourd'hui...



 



« Fenêtre sur cour » est un film d’une maîtrise formelle parfaite, en forme de leçon de cinéma indéniable. Chaque plan, chaque mouvement de caméra, chaque détail semble étudié avec une précision
absolue… Rien que le dispositif du film est absolument génial et ludique : Jeff Jeffries, grand reporter photographe qui ne rêve que de parcourir le monde, est malencontreusement bloqué chez lui
à cause d’une jambe dans le plâtre. Pour s’occuper, il va observer ses voisins depuis la fenêtre de son appartement et finir par soupçonner l’un des habitants de l’immeuble d’en face d’avoir
assassiné sa femme. Tout le film montre la vie dans le petit microcosme de la cour intérieure de ce carré d’immeubles, depuis le point de vue de la fenêtre de Jeff. Pour Hitchcock, il s’agit donc
là d’une belle gageure de mise en scène, en même temps qu’un moyen habile d’associer suspense et comédie au sein d’un périmètre défini. Le cinéaste parvient à passionner le spectateur durant
presque deux heures avec un champ de vision pourtant très limité, et c’est là que s’exprime son immense talent ! « Fenêtre sur cour » est une synthèse fabuleuse entre une comédie sentimentale et
une enquête policière subjective, un film à la fois romanesque et palpitant, fondé aussi sur la force de ses comédiens, à commencer par James Stewart et Grace Kelly…

Le personnage de Jeff Jeffries incarne en réalité le point de vue du spectateur. La fenêtre symbolise alors l’écran de la salle de cinéma, d’où il contemple le spectacle incessant des multiples
intrigues qui se nouent et se jouent dans les appartements de ses voisins : le pianiste qui cherche l’inspiration, la jeune femme entourée d’une « cour » de nombreux hommes, le couple avec un
chien, la dame seule à la recherche de l’amour, joliment surnommée « cœur solitaire » par les personnages du film… Comme nous, le personnage est absolument passif devant le spectacle qui se
déroule sous ses yeux, condamné à demeurer dans sa chaise roulante. C’est l’occasion pour le maître du suspense de construire des séquences haletantes, où l’observateur d’une terrible scène se
retrouve condamné à l’immobilité et à l’impuissance. Le spectateur est renvoyé également à son côté un peu voyeur, dans la mesure où il espère sans cesse que quelque chose arrive et qu’il est
pourtant terrifié à l’idée même que ça puisse arriver… Il faut noter en outre l’utilisation par le personnage principal d’un certain matériel pour observer ses voisins : après ses simples yeux,
il se sert de jumelles, puis carrément du plus gros de ses téléobjectifs… Alternant les différentes méthodes de vue, il compose finalement lui-même son film, allant du plan d’ensemble au très
gros plan, se substituant d’une certaine façon au metteur en scène. Dans l’une des dernières scènes, alors que le voisin soupçonné de meurtre pénètre dans l’appartement de Jeffries pour
l’agresser, ce dernier utilise le flash de ses appareils photos pour aveugler son agresseur. Visuellement très réussie, la scène parvient à une tension palpable, grâce à ce nouvel effet de « mise
en scène » du personnage, qui ralentit finalement le déroulé normal de l’action à coups de flashs éblouissants…

« Fenêtre sur cour » peut-il enfin être vu comme un film « féministe » ? Même s’il faut se méfier de la surinterprétation analytique, la théorie n’est cependant pas si stupide que cela. Jeff est
en effet un personnage indépendant, qui souhaite d’ailleurs le rester et refuse en cela le mariage que lui demande sa fiancée. Celle-ci lui prouve cependant assez savoureusement qu’elle peut très
bien s’adapter à son style de vie : alors qu’il lui avait dit que toute sa vie pouvait tenir dans une simple valise, contrairement à elle et à ses nombreuses affaires (essentiellement de mode),
elle vient le soir suivant avec un tout petit sac, bien plus petit qu’une valise, dans lequel elle a pourtant réussi à mettre de quoi rester toute la nuit ! Les idées masculines sur la femme en
prennent ainsi un coup à plusieurs reprises… Mais le plus étonnant est ce phénomène d’inversion qui consiste à rendre la femme « active » face à un homme « passif » et finalement dominé : c’est
ainsi le personnage de Grace Kelly qui se rendra dans l’appartement de l’assassin pour mener l’enquête et faire avancer l’action, l’homme étant coincé à la maison à cause de son plâtre. Les
choses iront même plus loin lorsque la femme trouve un indice dans l’appartement sous la forme d’une alliance qu’elle se passe au doigt afin de la dissimuler : c’est elle-même qui se passe
symboliquement la bague au doigt en vue de son mariage avec son fiancé. Plus fou encore : en montrant discrètement la bague à Jeff par la fenêtre, l’homme que l’on suspecte le remarque et
découvre pour la première fois son voisin en train de l’espionner… Ce qui lui donnera d’ailleurs l’idée de venir l’agresser dans son appartement ! Résultat : c’est l’intervention de la femme qui
condamne son fiancé à une seconde jambe cassée, l’agression du voisin l’ayant fait tomber dans la cour depuis sa fenêtre… En d’autre terme, le personnage féminin est parvenu à « castrer »
métaphoriquement son fiancé en le condamnant à demeurer à la maison et à n’avoir ainsi d’autre choix que d’accepter le mariage…



 



Mise en perspective :



- Lifeboat, d’Alfred Hitchcock (Etats-Unis, 1943)



- L’inconnu du Nord-Express, d’Alfred Hitchcock (Etats-Unis,
1951)































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19 commentaires:

  1. Un film somptueux et une des plus belles actrices du cinéma (son apparition lors du premier réveil de Jeff, c'est comme un ange qui se matérialise).

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  2. Belle analyse qui permet de découvrir de nouveaux aspects à ce classique !

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  3. Ah chouette, mon préféré d'Hitchcock, même si pas loin après il y a Pas de printemps pour Marnie, Les enchaînés et L'homme qui en savait trop... Amusante ta lecture féministe...C'est vrai
    qu'on peut avoir plein de lectures différentes de ce film, le voyeur James Stewart c'est nous, c'est Hitchcock...

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  4. Je me souviens encore des remarques qu'on avait faites en analyse ciné sur ce film et la "symbolique" de l'appareil photo (hum hum, je dois te faire un dessin? Suffit de regarder de loin à quoi
    cet objet ressemble... ^_^).


    Par contre, pour la lecture symboliste, bof, je ne suis pas plus convaincue que ça. Parce que Gravce Kelly est justement posée en objet de regard. Elle ne se libère pas du regard de son homme,
    elle est déjà une icône féminine interprétant une mannequin, doublement mise en avant comme étant la femme objet qui sera dirigée indirectement par son passif de fiancé. Il dicte, elle agit.
    Certes, elle fait avancer l'action et prend le "pouvoir" dans leur relation, mais ce n'est que pour mieux montrer que son désir est, somme toute, juste commun. Mais bon, Hitchock n'est pas un
    très grand féministe à mes yeux...

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  5. Mais justement: son but, c'est de se marier, c'est tout ce à quoi est réduite la femme dans ce film, le désir de mariage, d'une vie banale et "parfaite". Bon, en même temps, c'est aussi l'époque
    qui veut ça, mais les mouvements féministes avaient déjà commencé leurs revendications à l'époque, donc voilà.


     


    Bon, en même temps, je dis ça, mais ça reste un des Hitchcock que je peux encore supporter de voir maintenant (je t'ai déjà raconté comment on m'a dégoûté de ce réalisateur pendant mes études?).

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  6. J'ai eu un cours d'analyse cinématographique qui s'est avéré être un cours d'analyse cinématographique de l'oeuvre d'Hitchock parce que le prof avait pour ambition de faire une sorte
    d'encycolpédie autour du réalisateur, abordant de nombreux thèmes dans son oeuvre. Nous avons donc tous choisir un thème à exploiter (pour moi: les livres et leur symbolique) et étudier ce thème
    dans l'ensemble de son oeuvre (plus de 50 films donc). En plus des analyses faites en cours, j'ai donc dû regarder tous ses films. Plusieurs fois
    (deux fois tous, certains plus).  Et le monsieur n'a pas fait que de bons films. En plus, de les avaler comme ça sur quelques mois de telmps, on frôle (non, on dépasse) l'overdose. Du coup,
    je n'ai plus pu supporter ce réalisateur pendant un certain temps. Ca ne fait que depuis 2-3 ans que j'arrive à revoir ses films, et seulement quelques uns. J'ai été donc littéralement dégoutée
    du monsieur et n'ai pas envie de clamer une forme d'amour pour lui, surtout que quand tu regardes tous ses films à la suite alors que parallèlement tu as un cours de théories anglo-saxonnes (donc
    du féminisme) dans le ciné, ben tu constate que le monsieur n'est pas très tendre avec les femmes, voire pire... D'où ma réaction à ta remarque en fait ^_^.


     


    Maintenant, disons que je pourrais revoir "L'ombre d'un doute" (mon préféré), "Rebecca", "La corde", "Vertigo", "Fenêtre sur cour" et peut-être "Psycho", mais pas un autre pour l'instant (je ne
    supporte pas "Frenzy" qui vient de repasser par exemple, rien que de voir une photo de ce film, ça me hérisse les poils).

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  7. salut


     


    c'esty mon hitcock préféré avec "L'homme qui en savait trop" seconde mouture et "Frenzy"


     


    je trouve formidable qu'un film soit bâti sur le regard d'un homme sur ses voisins depuis une seule pièce


     


    le thème du voyeurisme n'a jamais été traité aussi bien.


     


    Et nous sommes à la fois complices et révoltés par ce procédé


    James Stewart est au fait de sa gloire et Grace Kelly incarne l'image de LA beauté doublée d'un jeu irréprochable


     


    à voir par tous les cinéastes en herbe


     


    une leçon de cinéma

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  8. La première fois je les ai vu pour le cours en général, la seconde en détaillant en effet tous les plans de bouquins, et ceux que j'ai vu une troisième fois sont ceux où la présence de livres
    étaient significative (notamment dans "L'ombre d'un doute" où les livres symbolisent plutôt la manque de savoir, car ceux qui s'abritent derrière sont ceux qui ne voient rien de ce qui se passe
    sous leur nez).


    En fait, il y a deux films d'Hitchcock qui sont introuvable, et j'avais toute une collection de K7 que j'ai revendues après par dégoût (puis c'était des K7 aussi....).

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  9. as-tu déjà chroniqué un autre Hitchcock récemment ?

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  10. Très intéressante lecture "féministe" du film qui ne manque pas de "points de vue". Il faut dire qu'il y a du monde au balcon sous l'objectif de Jimmy. Cette fenêtre ouverte sur un mini théâtre
    social peut aussi refléter l'ouverture de Hitch vers la télévision (organe qu'il investira largement), avec ces petites lucarnes qui rompent la monotonie de sa convalescence. On peut ainsi
    imaginer qu'il pointe la vision étriquée voire tronquée de la réalité qu'elle peut refléter, contrairement au cinéma qui investit l'espace et offre la possibilité au spectateur d'être omniscient
    (sa définition du suspens qui consiste pour le spectateur à avoir un temps d'avance sur les personnages). C'est aussi à mon sens sa meilleure traduction du théâtre au cinéma (jusqu'ici pas très
    heureuse y compris dans "la corde", exercice de style assez lourd).

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  11. merci


     


    je vais m'en délecter


     


    et pour répondre à ta question ; http://loulouti.over-blog.com/article-gladiator-49724096.html

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  12. Je n'arrive pas à m'y faire, et je trouve ce film pédant, vieillot, et pour tout dire, très chiant ! Le duo Stewart//Kelly m'insupporte, et je
    trouve que ce film est totalement surcôté, comme une grande partie de l'oeuvre d'Hitchcock, d'ailleurs !

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  13. Certains films résistent encore au temps, comme Psychose ou la Mort aux trousses, mais d'autres ont sacrément vieillis ! Le côté décor en carton-pâte, ces histoires freudiennes
    dans le milieu bourgeois, avec ce côté old-fashion, ça fait très agatha christie (cf Le crime était presque parfait), je préfère nettement Dassin, Siodmak ou
    Fuller ! Hitchcock, c'est un cinéma dépourvu de problématique sociale, des jolis objets en lévitation qui ont fait un peu leur temps ! J'ai
    tout simplement changé mon avis en revisitant, en dvd, l'oeuvre de Hitch, et je ne comprenais pas pourquoi je me faisais littéralement chier!


    En creusant un peu, je me suis aperçu que la starification du réalisateur avait été l'oeuvre de la NV, alors qu'avant 1965, Hitch était considéré comme un bon
    film-maker, that's all, dixit JL Bory. Curieux d'ailleurs que ce cinéma, fort académique (aucune problématique socio-politique en ce temps de tension et de révolte) ait
    plus à la NV ...mais il faut dire que le cinéma de Truffaut, très égocenté, puisque le François a passé son temps à se filmer, est aussi
    totalement dépourvu de thématique socio-politique. Quand on voit l'émergence du fabuleux cinéma italien, dans les années 60 ...et que la NV préfère le cinéma de grand-papa ...

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  14. Tu parles de "sacrilège", preuve que la nouvelle vague a été sanctifiée ! Or étudie la filmo de Truffaut, et tu verras qu'il s'est contenté de filmer sa vie :


    - la série des Doisnel.


    - L'homme qui aimait les femmes (Denner = Truffaut)


    - et le comble, ce fut La nuit américaine, où Truffaut filme Truffaut en train de faire un film !


    Mais ce n'est pas pour ça que je n'apprécie pas le François à cause de son égotisme.


    Ce que je dis c'est que la NV a voué aux gémonies, certains réalisateurs, et a porte au pinacle d'autres. Hitchcock n'était pas du tout considéré comme un auteur, avant
    la NV et c'est celle-ci qui l'a consacré comme tel, au milieu des années 60. Et le culte qui est lié à ce réalisateur, en France, me paraît totalement délirant par rapport à sa production
    ...alors que d'autres réalisateurs ont été oubliés, comme Siodmak, Dassin, Fuller !

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  15. Le problème c'est que lorsque je compare Hitchcock à Fueller, Siodmak ou Dassin, j'ai l'impression de comparer Agatha Christie à James Ellroy !

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  16. De plus, il est assez bizarre que les modernes de la Nouvelle Vague, sanctifient des réalisateurs très académiques, comme Hawks et
    Hitchcock ...

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  17. Regarde le Rideau déchiré, l'Etau, ou d'autres, et tu verras ce que je veux dire ! Académique dans le sens où nous sommes dans des procédés narratifs classiques, alors que
    Godard et Leone ont tout fait exploser et qu'Antonioni et Fellini, en Italie, abordent leur personnage avec
    une radicale modernité, c'est en cela que je trouve le cinéma d'Hitch, assez conservateur et très classique, surtout dans les années 60. Perso, je trouve parfois ses
    films des années 30 plus intéressants !


    Toi qui a fait une fac de cinéma, vous avez apparemment bouffé beaucoup d'Hitchcock, et jamais de Scola, preuve que la NV a influencé très
    fortement, dans ses goûts esthétiques, la pensée cinématographique ! Et c'est elle qui a consacré Hitchcock comme auteur, alors qu'avant, il était vu comme un simple
    bon"film-maker" ! Les américains intellectualisent très peu leur production, et si Hitch est né en Angleterre, il avait une approche de l'efficacité
    toute américaine, et il a du être le premier surpris des louanges venus d'intellos d'outre-Atlantique, comme Hawks d'ailleurs !

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