mercredi 21 mai 2014

[Critique] Deux jours, une nuit, de Jean-Pierre et Luc Dardenne

Deux jours, une nuit
de Jean-Pierre et Luc Dardenne
(France, Belgique, 2014)

Sortie le 21 mai 2014

★★★

Comme tous les autres films des frères Dardenne, « Deux jours, une nuit » relève quasiment du miracle : le miracle d’une mise en scène qui parvient l’air de rien à nous imposer des choses insoupçonnées ! A partir d’une histoire étonnamment simple et dépouillée, pour ne pas dire banale, les réalisateurs réussissent non seulement à la transcender pour décrire avec précision et vérité la réalité du monde, mais ils le font en offrant aux spectateurs un film aux allures de thriller, qui tient en haleine d’un bout à l’autre…

L’excellence de la mise en scène des cinéastes belges bi-palmés à Cannes se repère en outre à leur direction d’acteurs, au service constant des personnages qu’ils décrivent… A l’instar d’une Cécile de France dans « Le gamin au vélo », les Dardenne emploient ici de façon très inhabituelle dans leur cinéma une star, Marion Cotillard, qu’ils parviennent à rendre extrêmement malléable à leurs désirs. Que l’on aime ou non l’actrice, au fond peu importe, puisqu’on oublie parfaitement ici Marion Cotillard, qui s’efface totalement derrière son personnage, comme ce que tout acteur devrait pouvoir faire à chaque rôle qu’il « habite »…

Et quel personnage on suit à l’écran dans « Deux jours, une nuit » ! La caméra ne quitte jamais de son champ Sandra, filmée de dos, de face ou sous toutes les coutures, une jeune femme tout juste sortie de dépression que l’on s’apprête à licencier de son entreprise… à moins que la majorité des employés accepte de renoncer à leur prime afin de conserver l’emploi de Sandra. Aidée par son mari, Sandra va passer tout son week-end à « travailler » à convaincre ses collègues de voter pour qu’elle reste, dans un mélange de fragilité et de combativité, de résignation et d’espoir, de culpabilité et de haine…

Tous ces sentiments sont montrés avec subtilité via les réactions des personnages que Sandra va croiser. Des réactions multiples et contrastées qui évoque l’infinité des êtres qui composent ce monde… mais qui décrivent surtout l’horreur dans laquelle le libéralisme et le patronat enferme les salariés modestes. Bien sûr que tout le monde a besoin de cette prime de 1000 euros, bien sûr que tout le monde est dans la merde… choisir entre l’argent et une collègue, voilà ce que le monde moderne oblige à faire. Comment juger les comportements parfois pas très classe de ces pauvres gens ? Les émotions sont constamment à fleur de peau : la culpabilité d’un jeune travailleur qui s’effondre en larme devant Sandra parce qu’il a voté contre elle et qu’il s’en veut, la violence d’un autre jeune qui accuse Sandra de vouloir leur prendre « leur » argent alors qu’elle était absente lors de sa dépression… Avec peu de mots et des confrontations apparemment simples, les Dardenne posent des questions profondes et pertinentes sur le délabrement du monde, sur la compétitivité irrationnelle imposée aux entreprises, sur la destruction inéluctable des solidarités…

De « solitaire » à « solidaire », il n’y a pourtant qu’une lettre que certains ne sont pas près à remplacer, abruti et effrayé par la misère qu’on leur impose… Mais si Sandra se sentira bien seule, souvent découragée et prête à commettre le pire, elle ressortira grandie de cette histoire. Peu importe l’issue du vote à son travail, une forme d’espoir, porté par certaine personne qu’elle aura croisé, se sera tout à coup immiscé en elle… Comme avec « Le gamin au vélo », tout n’est plus aussi noir et désespéré dans le cinéma des frères Dardenne avec « Deux jours, une nuit » : tout va mal, certes, mais une forme de volonté de changer les choses semble poindre… Contrairement à une « Rosetta » par exemple, Sandra n’est pas prête à prendre la place d’un autre pour rester : elle refuse de participer à un système qui détruirait les parcelles d’humanité qui vivent encore en elle… Déchirant !

Perspective :

2 commentaires:

  1. Très bon Dardennes, sans aucun doute l'un des meilleurs des frangins reste que les idées véhiculés (solidarité aussi bien que la charité) sont aussi utopiques que peu vraisemblables... 3/4

    RépondreSupprimer
  2. Deux jours, une nuit fait partie de ces films qui m’ont impressionné. De plus, la prestation de Marion Cotillard est parfaite. On arrive facilement à comprendre le personnage
    principal et à se mettre à sa place. En résumé, je dirais que c’est une réussite totale !

    RépondreSupprimer