vendredi 30 mai 2014

[Autre critique] Adieu au Langage, de Jean-Luc Godard (vu par R.C.)

Adieu au Langage
de Jean-Luc Godard
(Suisse, 2014)

Sortie le 21 mai 2014



Puisque le dernier (dans tous les sens du terme ?) (non-)film de Jean-Luc Godard en vaut visiblement la peine, Phil Siné vous offre un autre point de vue que le sien sur le film, celui du fameux R.C., dont vous pouvez retrouver les autres contributions via les liens sous l'article...

Au sujet du dernier film de Jean-Luc Godard, à Cannes, Jane Campion exprimait ainsi son avis : « Un film tellement moderne : il n’y a plus de récit, c’est une sorte de poème, voilà un homme vraiment libre ». Et puis Mao disait : « la liberté, c'est un peu comme une ogive nucléaire : il faut la laisser entre de bonnes mains ou elle explose. » Mao n'a jamais dit ça, mais on s'en fout.

À Cannes toujours, un prix fut (enfin) attribué à Godard, un prix qu'il devra partager avec Xavier Dolan. Cette récompense commune conforte ma vision du cinéma, qui n'est ni celle de Godard, nicelle de Dolan. De tous les maîtres en exercice, ces deux-là sont certainement ceux qui m'exaspèrent le plus. Les deux ont en commun d'être trop conscient d'eux-mêmes et de leur cinéma. Dolan a une grande sensibilité, il cadre très bien, filme très bien les visages, les tourments, possède un vrai sens du récit et de la dramaturgie. Tout cela est gâché par des effets de style ostentatoires. Il ajoute des images sur les images, de la musique sur la musique, du sens au sens et on ne peut s'empêcher de penser que c'est pour montrer qu'il sait faire. De film en film, cette attitude s'estompe, donc on garde bon espoir pour le prochain.

Godard fut le premier responsable de l'équation « cinéma = fantasme = image = rien du tout ». La plupart des cinéastes s'arrêtent judicieusement au fantasme ; quand ils vont plus loin, c'est beau, c'est glorieux, ils sont très contents d'eux-mêmes, mais ils ne font qu'atteindre la vacuité. À la différence de Dolan, Godard n'a jamais vraiment filmé ni l'intime, ni le sentiment, ni même une histoire. Il n'a filmé que des images. Sur ces images, il parle. Quand ses personnages parlent, c'est lui qui parle. Petit à petit, il fut amené à ne filmer que le langage. Images, personnages, récit : tout est devenu langage. Godard était voué à la vidéo : à l'apparition de la HD correspond une nouvelle période de son œuvre. À partir d’ « Éloge de l'amour », les aphorismes et les jeux de mots pourris se sont vus incrustés à l'image, il a pu construire des tableaux plus ou moins abstraits avec trois fois rien, triturer l'image et le texte dans tous les sens. Tout lui était permis. Libre !

Libre, oui, mais la liberté a un prix et c'est nous qui le payons.

Comme Lynch avec « Inland Empire », Godard a dépassé sa limite. Ce n'est pas pour rien que son film s'appelle « Adieu au langage » : même le langage, il y a renoncé. C'est beau, c'est glorieux, mais qu'est-ce que c'est pénible ! Ainsi, les dialogues, les musiques et les plans s'interrompent subitement, se superposent, s'enchaînent, dirait-on, aléatoirement, on ne va jamais au terme d'une idée. Dire qu'on ne comprend pas serait en dessous du ressenti. Il y a une différence entre ne pas comprendre et ne pas faire sens : on ne comprend pas toujours Lynch ou Greenaway (pour prendre un autre intellectuel-cinéaste) mais une émotion est transmise par le sens. Ici, les images ne font même plus sens. Ce n'est pas non plus surréaliste car ce n'est plus du langage et il n'y a plus d'articulation avec le réel. Quant au fantasme et au rêve, on l'a dit, ils sont pour Godard dépassés depuis longtemps. On pourrait chercher pendant des heures, impossible de savoir à quoi renvoie tel concept, mais, plus grave, impossible de ressentir quoi que ce soit devant ce flot de... de quoi, au juste ? D'images ? Non. Dépassées aussi, les images. À un moment dans le film, il est question de zéro et d'infini, « les deux plus grandes inventions ». On sait en mathématiques que l'un et l'autre sont équivalents. Godard le prouve s'il en était besoin. Un aphorisme de plus. Presque un axiome.

On pourrait penser qu'il se fout de notre gueule mais je crois qu'il est très sincère dans sa démarche. Peut-être sommes-nous trop con, après tout ? La sincérité a un prix et c'est nous qui le payons.

Le film a de grandes qualités formelles : le montage est génial, le chien est bon acteur, il y a de jolies couleurs et un jeu esthétique constant. En petit dictateur, c'est Godard qui décide quand le jeu cesse, ou non. Pareil chez Dolan, ou Honoré, Donzelli, parfois Desplechin, bref : tous ceux qui se revendiquent de la Nouvelle Vague, ceux qui filment des images. Ceux-là semblent dire quelquefois : « Vous n'y croyez pas ? Parfait, moi non plus. Passons à autre chose. Essayons autre chose et on verra bien. » Pour ces cinéastes, par ailleurs talentueux, le hors-champ existe à peine, il vaut mieux en montrer trop que pas assez. Et leur film va ainsi de surprise en surprise, d'une tentative formelle à une autre, toujours gratuites, quelquefois exaltantes. Mais il en va de même avec les surprises que pour le fantastique : j'avais lu une critique de « Quoi ? » de Polanski, laquelle expliquait qu'à force de tout rendre possible on ne croyait plus en rien. Comment appréhender le domaine des possibles quand on admet d'emblée que tout est permis ? Comment s'inquiéter du sort d'un personnage si n'importe quel deus ex machina peut le tirer d'affaire ? Bien sûr, les personnages n'existent pas chez Godard – seul Godard existe chez Godard –, et j'ai sans doute tort de tout rapporter au cinéma narratif ; mais sur le plan visuel aussi : comment s'émerveiller d'une surprise si un effet chasse l'autre ? On dit souvent que Godard est punk mais il s'en tient à sa formule pépère tout au long du film. C'est beau, c'est glorieux, mais est-ce vraiment de l'audace ?

La seule vraie innovation, c'est la 3D. Il faut dire pour le coup qu'elle est particulièrement réussie. Quitte à s'infliger la 3D, mieux vaut peut-être voir celle-ci que celle des X-Men ou de Godzilla. Mais attention : la 3D a un prix et c'est nous qui le payons ! En l'occurrence, les lunettes étaient gratuites (petite pub pour le cinéma du Panthéon [à Paris, ndlr] : les lunettes sont prêtées gratuitement, les cartes illimités sont acceptées mais en contrepartie il n'y a pas de tarif réduit pour ceux qui en bénéficient d'habitude). Non, le prix de la 3D est avant tout physique : Godard ne prend pas toujours la peine d'ajuster la distance entre les deux caméras. Donc on souffre, on se demande si on n'aura pas besoin de passer chez l'ophtalmo après la séance. Mais par moment, le jeu avec le point ou la profondeur est brillant. Il y a aussi et surtout cette idée, si bête que l'on s'étonne que personne ne s'en soit jamais servi : des personnages réunis dans le champ se séparent ; une des deux caméras reste sur le premier, l'autre caméra suit le second tandis que leur dialogue se poursuit. Si on garde les deux yeux ouverts, les deux images se superposent (mal de crâne garanti !) Mais si on ferme un œil, l'image est nette sur l'un des personnages. Si on ferme l'autre, on voit le contrechamp, l'autre personnage. L’œil droit voit une image, l’œil gauche une autre. C'est donc à nous de faire le montage à notre guise. Voilà la vraie liberté ! Celle qui nous est offerte et non pas celle dont on abuse.

Sur ce plan-là, grande audace, donc, et modernité, c'est vraie, et une certaine poésie (mais qui a un prix... et que nous payons...). Car la liberté... la vraie liberté, pour Godard, n'est-elle pas celle de faire chier les autres ? À l'écran, en tout cas, ça se vérifie – par deux fois l'adepte de la métaphore n'a pas peur d'être très littéral. Du côté des spectateurs, en plus de nous crever les yeux, Godard nous broie les tympans : quand Mary Shelley écrit « Frankenstein » (allez savoir pourquoi il y a Mary Shelley dans le film), le passage de sa plume sur le papier est aussi crispant qu'une craie stridente sur un tableau, et ce pendant une à deux bonnes minutes. Au moins, on ne risque pas de s'endormir : on a trop mal aux yeux et, environ toutes les trente secondes, des variations d'intensités sonores nous réveillent. On imagine Godard le sadique, Godard le facétieux, Godard l'intransigeant, apprenant que lui aussi a un prix, finalement – le Grand Prix du Jury. Au prophète du cinéma, au cuistre sublime on n'a heureusement pas fait l'affront de remettre une palme pour l'ensemble de sa carrière – c'eût été d'autant plus bête qu'il ne montre aucun signe de fatigue –, mais quand même, avouons-le, il va bien nous manquer.

Contrepoint :

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3 commentaires:

  1. Je kiff ce film :) 

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  2. Wesh Wesh z'y va ! Trop de la bombe ce film... Et en plus y'a du boobs et d'la teuch !

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  3. ah ah ! trop de la bombe en effet... ;)

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