lundi 18 mars 2013

[Critique] Camille Claudel 1915, de Bruno Dumont



camille_claudel_1915.jpg
(France,
2013)



Sortie le 13 mars 2013




star.gif

star.gif

star.gif


Du désir de Juliette Binoche de travailler avec lui, Bruno Dumont a eu l’idée de filmer trois jours de la vie de Camille Claudel, trois jours de 1915 alors qu’elle venait d’être internée dans un
asile psychiatrique, où elle ne sculptera jamais plus et où elle finira sa vie une trentaine d’années plus tard… Pour décrire la condition de l’artiste impuissante, enfermée contre sa volonté, le
cinéaste ne disposait que de peu d’éléments (la correspondance de Camille Claudel et de son frère Paul, ainsi que d’archives médicales), mais c’est justement de construire son film sur du vide
qui l’intéressait avant tout, toujours dans la veine d’une démarche radicale et d’un cinéma brut et « direct ». Il explique sa volonté en décrivant la condition de désœuvrement du personnage :
"Je fais un film avec quelqu’un qui passe son temps à ne pas faire grand-chose et ça me plaisait, cinématographiquement. J’avais beaucoup d’intérêt à faire un film à la fois sur l’internement et
sur l’oisiveté."

Filmer l’inactivité de l’artiste, c’est justement parler de l’art et de la malédiction qui s’abat généralement sur les êtres pourvus de génie, comme pouvait l’être Camille Claudel… Il est
fascinant d’observer ce personnage dans le film dénudé et à la recherche constante de vérisme de Dumont : on l’a voit errer autour de l’asile, s’asseoir, rêvasser… et finalement ne rien faire,
sinon attendre. Attendre la visite de son frère, notamment, qui conditionnera sa possible sortie de cet enfer… Il demeure troublant de voir ce personnage visiblement sain d’esprit, dont la folie
(un peu de paranoïa, surtout, peu surprenante à dire vrai lorsque l’on connaît un peu sa vie…) se révèle discrète comparée aux autres patients de l’institut psychiatrique, tenu par des nonnes…
Entre ces nonnes, justement, et la révélation mystique de Paul Claudel, Dumont poursuit son interrogation toujours passionnante et complexe de la question religieuse. Après « Hadewijch » et « Hors Satan », ce regard d’un philosophe athée posé sur Dieu, ou plus précisément sur
l’utilisation de Dieu par les hommes, est toujours brillant, affûté et pertinent !

Mais la méthode Dumont apparaît encore comme le maître d’œuvre au cœur du dispositif qui entoure « Camille Claudel 1915 ». L’artiste n’est au fond qu’un prétexte pour tenter de faire apparaître à
l’écran le véritable visage de l’humanité : cette humanité avec un petit « h », qui donne d’ailleurs son titre à un autre film du réalisateur… Fait inédit dans sa carrière, il met en scène une
actrice professionnelle, Juliette Binoche, qu’il semble d’ailleurs avoir poussé à bout, jusque dans ses moindres retranchements ! Entourée par des acteurs non professionnels, elle est peut-être
d’ailleurs la seule à « jouer » sur le plateau de Bruno Dumont… Mais quel jeu étourdissant elle livre ici ! Il faut la voir dans cette séquence hallucinante, passant d’un éclat de rire à une
crise de larmes devant une interprétation de « Dom Juan » par ses compagnons d’internement : ce plan sur son visage est profondément émouvant et bouleversant, assez proche d’un pur extase
cinématographique !

Cette séquence interroge d’ailleurs profondément le cinéma, comme sait si bien le faire Dumont à chacun de ses films. Car les acteurs qui jouent (ou plutôt ne jouent pas !) ici « Dom Juan » sont
des malades mentaux authentiques : la scène pourrait nous faire croire à de la comédie pure au premier abord (on peut d’ailleurs aisément en rire), mais elle pousse en réalité les limites du
cinéma et de la représentation de la vérité, sans oublier certaines questions éthiques vis à vis de la façon de filmer des handicapés… Où est le jeu ? Où est la vérité ? « Camille Claudel 1915 »
questionne constamment son propre statut : s’agit-il d’un film de fiction ? d’un documentaire ? d’un biopic éminemment austère ? L’interprétation est libre, d’autant que les commentaires de Bruno
Dumont sur son travail sont toujours assez mystérieux, comme lorsqu’il évoque sa façon de filmer les patients de l’hôpital psychiatrique où il a tourné : "Jessica, c’est Jessica, je n’ai pas de
commentaire à faire sur elle. Je n’ai pas de directions à lui donner. Quand je filme Rachel, Jessica, Christiane, je n’ai rien à faire, je pose ma caméra et je fais tourner… Je fais ça
simplement, il n’y a pas de tralala, car elles donnent quelque chose qui est inimaginable, qu’aucun comédien ne peut faire, c’est impossible, et ça j’en ai besoin pour justement tenter d’exprimer
cet environnement dans lequel Camille Claudel s’est trouvée. [Ce sont] des malades mentales contemporaines, qui disent quelque chose (...) qui est toujours là, devant lequel il n’y a pas beaucoup
de commentaires à faire et de choses à dire. Il n’y a rien à dire." Rien à dire, donc, même si son œuvre suscite pourtant un questionnement permanent et toujours passionnant !



Autres films de Bruno Dumont :



Flandres (2006)



Hadewijch (2009)



Hors Satan (2011)



La vie de Jésus (1997)































  • Plus










3 commentaires:

  1. Juliette Binoche est éblouissante mais le film souffre d'un trop grand écart entre le talent et la direction d'acteur avec les autres personnages... 1/4

    RépondreSupprimer
  2. Cinéaste passionnant, Bruno Dumont satsifait ici à la requête d'une actrice installée et confirmée. Il s'empare de cette demande en l'intégrant totalement dans son dispositif, faisant de Juliette
    Binoche parmi les "fous" du film l'égale de Camille Claudel au milieu de ceux de Montdevergues. Composition brillante, lumière splendide, le point d'orgue est atteint à l'arrivée tant attendue de
    l'illuminé Paul. Très beau film.

    RépondreSupprimer
  3. tout à fait d'accord avec toi ! (et j'ai l'impression qu'il est plutot bien distribué... ;)

    RépondreSupprimer