vendredi 1 mars 2013

[Critique] Bestiaire, de Denis Côté



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(France, Canada, 2012)



Sortie le 27 février 2013




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"J’avais tourné pour Curling une scène avec un tigre, et au zoo, on m’avait dit 'tu reviens
quand tu veux'. Ça m’est resté en tête. Je me suis dit 'J’ai une invitation au zoo, profitons-en.'" Si la conception de « Bestiaire » semble un pur hasard d’après les propos même de son
réalisateur Denis Côté, sa mise en scène révèle pourtant une belle rigueur et une sacrée ambition plastique ! A vrai dire, le film se vit comme une expérience quasiment inédite, réinventant le
cinéma documentaire par une forme radicale, qui soulève de nombreuses questions sans jamais pourtant asséner de réponses précises ou définitives… A chacun sans doute d’imaginer les mots qu’il
veut mettre derrière les images, selon sa propre vision du long métrage ou ses convictions plus intimes. Pour toute note d’intention, le cinéaste se contente de décrire une démarche
essentiellement esthétique : "J’ai approché ce projet avec l’intention de faire un ‘livre d’images’, sans autre préoccupation que celle d’offrir un film contemplatif, harmonieux, peut-être
inquiétant. Une suite d’ambiances dans lesquelles le spectateur se projette ou non. Le zoo m’est apparu comme un lieu particulièrement cinématographique. Je me suis demandé s’il est encore
possible de filmer des animaux de façon originale, sans essayer de les humaniser comme dans tous les films d’Hollywood… Les animaux tels qu’ils sont. Point".

Et il est en effet assez fascinant de contempler la façon dont Denis Côté nous propose de regarder ces animaux de zoo : plan séquence, caméra fixe, constamment décadrée, images décalées, de
biais, pour ne pas dire de « côté », histoire de s’amuser un peu avec le patronyme du cinéaste… Un cinéaste qui se joue d’ailleurs de nous en permanence, dès les premiers plans, où il commence
par nous montrer des élèves qui dessinent, en tardant à nous montrer leurs dessins ou même ce qui leur sert de modèle !

Mais le réalisateur a beau s’abstenir de revendiquer la moindre intention idéologique à son film, celle-ci explose pourtant de toute part ! Ces « morceaux » d’animaux qu’il filme, notamment,
au-delà de l’aspect ludique de la devinette (sur le mode « à quel animal appartient ces pattes ou ces cornes ?), n’est-ce pas pour nous montrer au fond que dans un zoo, véritable prison animale,
les résidents ne sont plus jamais « entiers », qu’ils ne sont plus que des parcelles d’êtres vivants… Donner une vision si étriquée de ces bêtes, c’est aussi les confiner à leur statut de
captifs, pour qui la notion de liberté est perdue à tout jamais ! Nombre de ces animaux tournent en rond sous nos yeux, montrent un stress angoissant ou sont assistés pour toute chose, à la fois
soumis et réifiés par les êtres humains qui s’occupent d’eux : ils sont lavés ou nourris, de façon parfois humiliante… Que penser en outre de cette oiseau mutilé (il ne lui reste qu’une seule
aile) à qui l’on essaie sans doute de faire oublier sa solitude à l’aide d’un miroir : serait-il assez « bête » pour croire alors que celui qu’il aperçoit dans la glace est l’un de ses
congénères, capable de former avec lui, et son aile inversée, un oiseau entier, enfin reconstitué ? Sans compter qu’il n’y a pas un seul plan de « Bestiaire » où la présence humaine n’est pas
revendiquée et imposée, comme pour mieux montrer cette idée de domination de l’homme sur l’animal, ayant ici perdu tout contact avec la nature, qui est pourtant son habitat originel : l’image est
envahie de clôtures, de béton, de murs de pierre ou de métal… et la bande son, elle, est saturée des bruits de la « civilisation » humaine, qu’il s’agisse des outils de nettoyage en cours
d’utilisation ou d’une autoroute que l’on entend dans le lointain… La prison se resserre inexorablement sur ces animaux, jusqu’à ce qu’on les voie cernés entre un mur d’enceinte et des voitures
dans la partie safari du zoo, ou même carrément morts, tout juste bons à être empaillés… édifiant !



Perspectives :



- Curling, de Denis Côté



- Bovines ou la vraie vie des vaches, d’Emmanuel Gras



- L’odyssée de Pi, d’Ang Lee































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3 commentaires:

  1. Mince, la fin de ton article est aussi angoissante que ces passages du film avec les zèbres en panique ou les lions grattant à la porte de leur cage... J'ai eu l'impression aussi d'un vrai parti
    pris pour montrer des situations oppressantes, l'humain partout, ses agressions sonores permanentes, et puis la taxidermie pour finir, brr... Mais c'est une vision parmi d'autres, tout comme
    celle du zoo une fois ouvert au public, qui cherche à mettre en scène ses animaux dans des décors un chouïa plus proches de la nature, sensés faire oublier les murs et les cages, avec de la
    musique comme fond sonore pour un esprit plus festif et des employés et soigneurs qui sourient. On joue l'extrême opposé en fait... alors que tant qu'il y a des enfants, c'est flippant de toute
    façon, non ? ;) J'ai quand même beaucoup aimé ce film et son esthétique, avec ses cadrages "de côté" justement !

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  2. ta critique m'a donner envie de voir ce film, je vais voir et après je te tiens au courant.


    mistergoodmovies.net

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