mardi 29 mai 2012

[Critique] Le grand soir, de Benoît Delépine et Gustave Kervern



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(France, Groland, 2011)



Sortie le 6 juin 2012




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On reconnaît très vite la patte du duo Delépine / Kervern dans « Le Grand soir », qui s’inscrit dans la droite lignée de « Louise-Michel » et « Mammuth » : un humour très « grolandais », enveloppé dans une
tonalité funambulesque entre un réalisme social tragique et une poésie trash capable de confiner au sublime ! Dans une de ces zones commerciales sinistres des périphéries urbaines, où les
populations se ruent le week-end pour consommer plutôt que d’aller respirer l’air de la campagne, on suit l’itinéraire de deux frères : le premier, volontairement marginal, se fait appeler « Not
» et se définit comme « le plus vieux punk à chien d’Europe », et le second, Jean-Pierre, vendeur dans un magasin de literie à la vie rangée et conventionnelle, va finir par rejoindre son frère
dans la rue après son licenciement et l’implosion de son univers en toc… Bien allumés mais ô combien humains, tous les deux vont entreprendre une révolution contre cette société matérialiste et
glacée !

Furieusement politique, « Le Grand soir » dénonce avec énergie et conviction les dérives de notre société pourrie : le décor bétonné et couvert de parkings de la zone commerciale est un symbole
fort de la déshumanisation de notre monde, où l’argent et la consommation effrénée ont laissé triompher l’égoïsme et l’indifférence… Mais les séquences tournées depuis le centre de
vidéosurveillance du site, où l’on entend les dialogues de méfiance constante des agents de sûreté sur les images d’individus soi-disant « louches » captées par les caméras, finissent de nous
faire froid dans le dos ! Une dimension tragique de la modernité émerge alors de certaines scènes, à la fois simples et troublantes : quand Jean-Pierre, au bout du rouleau, tente une immolation
par le feu en plein magasin, c’est l’indifférence totale des gens qui l’entoure qui choque probablement le plus… ou quand les deux frères passent devant une grange et qu’ils y trouvent un homme
sur le point de se pendre, on croit un instant que « l’esprit punk » a sauvé cet homme… pour cependant le retrouver pendu de façon plus rock’n’roll quelques scènes plus tard !

Au milieu de ce monde tragique, les deux frères, bientôt renommés « Not » et « Dead », font figure de respiration salvatrice. Chacun est épris de liberté en dépit du monde qui se resserre sur eux
et les étouffe : la scène où Not apprendre à Dead comment marcher « librement », sans cravate « laisse » comme soumission au système, détendu pour bien adhérer au sol et surtout toujours en
mouvement et sans but afin de se rendre disponible aux choses, est une très belle métaphore de ce que devrait être la vie même… Pour fuir la tristesse de leur quotidien, ils ont aussi leurs
rêves, les représentant portés par la foule en plein concert des « Wampas » : carrément fun et punk ! Ils sont des marginaux, mais ils sont beaux, et on finit par les admirer, notamment dans leur
volonté à y croire coûte que coûte, à ce fameux « Grand soir » : mais malgré tous leurs efforts pour exécuter leur grand projet révolutionnaire, ils se heurtent à l’immense difficulté de
mobiliser les foules aujourd’hui, tant chacun est désormais enfermé dans sa petite vie égoïste et étriquée (moi le premier d’ailleurs, je ne vous lancerai pas la pierre…)

Benoît Poelvoorde et Albert Dupontel campent merveilleusement ces deux frères résistants et se fondent très bien dans l’ambiance de ce film hors norme, comme d’ailleurs la plupart des acteurs que
l’on y retrouve, souvent des habitués du cinéma de Kervern et Delépine, même pour de courtes apparitions : Bouli Lanners (la conversation qu’il tient avec si peu de mots avec le père des deux
frères est un pur instant de grâce populaire), Miss Ming (qui insuffle une jolie poésie en quelques secondes seulement), Gérard Depardieu, Yolande Moreau… et Brigitte Fontaine (dont les chansons
participent en outre formidablement à la bande son du film) en mère complètement ravagée dans un rôle qui lui va comme un gant ! Tous confèrent au « Grand soir » ce ton si particulier et
savoureux, mélange d’hilarité régressive, d’humour noir plus grave et de lyrisme parfaitement inattendu… Le discours qui parcourt le film ne peut en outre que convaincre, même si comme toujours
ceux qui auraient le plus besoin de le voir n’iront sûrement pas. Dans sa volonté punk et anarchiste de transformer le monde, on retient parmi beaucoup d’autres une image saisissante et ultra
symbolique : celle d’un homme qui se bat contre un arbre au milieu d’un champ vide, au prétexte que celui-ci s’érigeait devant son chemin… La morale se révèle très fine, car si l’homme fait plier
l’arbre sur le sol, celui-ci se redresse effrontément juste après alors même que l’homme reste terrassé : le triomphe de la nature sur la connerie humaine ?



Perspectives :



- Découvrez l'avis de Nico (Ecran-Miroir) sur "Le grand soir", surpris d'avoir été conquis par le
film !



- Dom ne tarit pas d'éloges sur le film lui non plus !



- Mammuth, de Gustave Kervern et Benoît Delépine































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4 commentaires:

  1. La morale est "très fine" ? On voit les gros sabots grolandais arriver dès le générique du début (dégueu d'ailleurs). Sale punk.

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  2. ce film je l'attendais plus que tout! et... absolument déçue.


    j'attendais quelque chose de beaucoup plus "grolandais" et un Dupontel beaucoup plus "Bernie".


    les thèmes sont honorables (critique de la société de consommation...) mais traités d'une manière trop fadasse.


    heureusement, les excellents Brigitte Fontaine et Bouli Lanners sont là pour relevé le ton.


    Et dire que Kervern et Delepine voulaient faire brulé la zone commerciale à la fin alors qu'ils se contentent de mettre le feu à une botte de paille: à l'image du film!

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  3. Excelllent ce film, avec aussi Areski Belkacem...


    Poelvoorde en punk, on y croit, on ne voit plus "Poelvoorde", au contraire de certains "grands acteurs" (comme Depardieu) que l'on voit toujours derrière, voire devant le
    personnage qu'ils incarnent (ce n'est que mon avis).


    Un peu d'anarchie, ça fait du bien.


     


    Bonne chronique Phil!!

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  4. mais tu as tout à fait raison : we are not dead, après tout ! ;)


    merci de ton passage par ici...

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