mardi 22 mai 2012

[Critique] De rouille et d’os, de Jacques Audiard



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(Belgique, France,
2012)



Sortie le 17 mai 2012




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« De rouille et d’os » est un mélodrame bouleversant, mais peu conventionnel, sur la rencontre improbable d’un type un peu primitif, qui se retrouve avec un fils de cinq ans sur le dos et qui
tente de s’en sortir en multipliant les plans « débrouille », et d’une dresseuse animalière du Marineland, qui suite à un accident d’orque (y’en a c’est la voiture…) se retrouve sans jambes,
clouée à un fauteuil roulant… Certains pourront trouver ça « moignon », mais en fait
festival cannes 2012
pas du tout : elle est très affectée par ce qui lui arrive ! Sauf que le traitement du handicap n’est pas du tout ce qui intéresse à proprement
parler Jacques Audiard dans son film : il s’intéresse bien plus judicieusement aux étranges relations qui unissent les deux paumés et il les filme chacun dans un rapport au corps bien
particulier… Elle dans sa faculté à renouveler son corps sur des jambes bioniques à la « Robocop » (elle se fait tatouer « gauche » et « droite » sur ce qui lui reste de jambes et pénètre avec
une aisance étonnante un univers masculin moite et dangereux) ; lui dans sa bestialité sauvage, dans son impossibilité à maîtriser parfois ses pulsions physiques, primaires, animales, que ce soit
pour se battre ou pour baiser ! Tous les deux, par petites touches, s’apprivoisent doucement, et finissent par former un tout cohérent et insoupçonné… L’image et le symbolisme des corps s’expose
de la première à la dernière image : le film s’ouvrant sur Ali et son fils avançant vers nous sur une route et se refermant sur Ali, Stéphanie et l’enfant, nous tournant le dos et sortant vers un
ailleurs encore vierge, comme une famille recomposée prête à repartir sur de nouvelles bases… Il y aura entre temps ces images frontales de Stéphanie sans ses jambes et cette violence des combats
remplis de testostérones auxquels se livre Ali.

Le goût « De rouille et d’os » proposé par le film, c’est bien sûr celui du sang, autant nécessaire à la vie que préfiguration de la mort, quand il coule en dehors de soit… Ces versants positif
et négatif propres à toute chose, Audiard les fait coexister ensembles, toujours, avec cette aisance qu’on lui connaît depuis longtemps à rassembler les contraires dans une mise en scène
magistrale et admirable ! Celui qui a déjà remporté le Grand Prix du Jury à Cannes pour « Un prophète », maîtrisé de bout en bout, récidive avec une œuvre puissante et riche, où chaque scène,
chaque image, se révèle signifiante… Il sait créer un univers à la fois chaud et glacé, dans lequel cohabite le meilleur et le pire de l’humanité, la douceur mélangée à la plus terrible
sauvagerie, sachant que c’est souvent par la violence que l’on parvient à accomplir des actes d’une grande beauté : c’est le sens, sans doute, de cette séquence hallucinante où l’on voit Ali se
briser les mains pour casser la glace d’un lac gelé afin de sauver son petit garçon en train de mourir juste sous ses yeux… Le personnage n’est plus alors que pulsions, et se découvre enfin père,
par la même occasion ! Dans une maestria visuelle et narrative sublime, le cinéaste montre « l’essence » des choses, justement en insistant sur « les sens » : d’effets sonores étranges, déformant
les voix au point de les rendre parfois inaudibles, à des plans inattendus, il sait capter la vie même, avec ce « réalisme merveilleux » qui lui est propre !

Pour capter la vérité du monde qui l’entoure, Audiard utilise ses acteurs avec une force et un pouvoir d’évocation qui transcende l’illusion même de l’interprétation… Rien que les seconds rôles
sont formidables et confèrent en outre une belle réalité sociale sur la noirceur du monde : Corinne Masiero en caissière qui se fait virer par la faute de son propre frère (Ali), Bouli Lanners
dans le rôle d’un petit truand accomplissant le sale boulot pour des grands patrons qui n’en finissent pas de vouloir mettre la pression à leurs employés, et puis ces hommes qui se battent
sauvagement, au risque de leur vie, pour assurer le spectacle contre un peu d’argent… Mais la puissance dramatique et émotionnelle de « De rouille et d’os » vient bien sûr avant tout des deux
acteurs principaux : si Marion Cottillard ressemble pour la première fois à une actrice et en devient pour le coup bien moins insupportable (ah, la grandeur d’une bonne direction d’acteur !),
c’est du côté - une fois encore après « Bullhead » - de Matthias Schoenaerts que la surprise est la plus époustouflante… L’acteur porte le film à la
puissance de ses poings : son personnage de simplet tout en muscle émeut autant qu’il terrifie ! Sa simplicité le rend beau et sa force brute, souvent, inquiète…































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8 commentaires:

  1. Très beau billet, je vais essayer de le voir sachant que j'avais été déçu par Le Prophète qui avait été encensé ...


    Bises Phil !

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  2. J'ai adoré et le film et ton billet qui résume parfaitement mon avis ;)

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  3. un des meilleurs films de l'année sans aucun doute mais pour moi je lui préfère les 3 précédents films de Audiard... 4/4

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  4. Bonsoir Phil,


    en fait dans Un prophète je n'ai pas aimé l'extrème violence ... une violence dans un milieu carcérale qui m'a dérangée...


    J'avais beaucoup aimé Dé battre mon coeur c'est arrêté par contre.


    Cette semaine se sera "Sur la route" et je compte voir celui ci aussi.


    Bises et bonne soirée !


     

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  5. Olalalalalala ce que j'ai aimé !!!! J'ai même adoré !!! Quel film ! Me voilà réconciliée avec Jacques !


    Bonne soirée

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  6. On a pas du voir le même film... moi j'ai trouvé cela vain, prétentieux et anecdotique. On a déjà vu ça mile fois avec plus de simplicité et surtout, sans cette manie franco-française de vouloir
    caser du sociale à tout bout de champ ou pire d'être dans "le vrai". Personnages stéréotypés à en mourrir (la brute au grand coeur/la belle endurcie), mise en scène empruntée, dialogues
    téléphonés, pas de fond, etc... Pfff...
    C'est pas grave, dans 5 ans tout le monde l'aura oublié...

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  7. Autant Le Prophète m'avait laissé un goût de surfait, autant celui-ci est plus que recommandable. La vision du monde chez Audiard a une fâcheuse tendance à piocher dans le misérabilisme mais il
    faut plus l'interpréter comme la mise en place d'un décor, la France des gens simples issus de l'immigration, que comme une revendication sociale. Ali ne s'appitoie jamais sur sa condition,
    ni sur celle de Stéphanie car il ne cherche pas à interpréter les signes visuels, il les constate seulement. D'ailleurs le seul passage du film où il le fait c'est lors de sa rencontre avec
    Stéphanie, et là ses propos sonnent tout à coup faux car il devient loquace alors qu'il était plutôt taiseux depuis le début du film.  C'est donc plus une présentation de ce personnage
    féminin qui est faite au travers de ses propos qu'une réelle réflexion de son personnage. Cette volonté de montrer la recontrusction de ces corps abîmés ne sachant pas mettre des mots sur
    leur souffrance est permanente chez Audiard. Il filme celà très bien et dirige ses acteurs avec une belle maîtrise. Beaucoup d'émotions et de belles prises de vue s'échelonnent tout au long de
    cette histoire spectaculaire. Le seul défaut justement vient de cette américanisation du récit qui alourdit quelque peu son propos. A force d'être trop démonstratif, il commet queques
    redites qui nous éloigne peu à peu des personnages. Malgré un final un peu décevant, on  ne saurait occulter toutes ces recherches de mise en scène qui aboutissent à une très belle
    partition de tous les acteurs. Bon film, moderne et original.

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  8. oh, dommage que tu n'aies pas été convaincu jusqu'au bout alors... merci de ton témoignage !

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