mardi 29 mars 2011

[Critique] Sueurs froides (Vertigo), d’Alfred Hitchcock



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Sueurs froides (Vertigo), d’Alfred Hitchcock (Etats-Unis, 1958)



Note :
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Adaptation d’un roman de Boileau et Narcejac (« D’entre les morts »), « Sueurs froides » est un film à « twist » qui donne le tournis avec une belle maestria… Il effeuille de tout son long l’idée
de « vertige » émise par le titre original (« Vertigo »), débutant d’ailleurs par la découverte de son acrophobie par le héros, mais il peut être surtout lu comme le récit d’une obsession. Pas
forcément une obsession précise, mais plutôt toute une série d’obsessions, contribuant chacune à rendre le long métrage de plus en plus mystérieux et déstabilisant…

Si la première scène du film, tragique et fondatrice, met en scène le personnage principal du film (James Stewart) aux prises avec sa peur soudaine des hauteurs, tétanisé au point de laisser
tomber du toit d’un immeuble un collègue policier tué sur le coup, il n’empêche pas la scène suivante d’avoir un ton tout à fait badin, révélant le même personnage discutant tranquillement chez
une amie. Mais les ruptures de ton seront nombreuses dans « Sueurs froides », le film se « cassant » même en deux vers son milieu, lors de la mort de son héroïne (Kim Nowak), chutant elle aussi
du haut d’un clocher… Tiens, tiens ! S’il a renoncé à son métier à cause de la mort de son collègue, pour laquelle il se sent coupable, le « héros », prénommé John, acceptera cependant de suivre
la femme d’un ami, sur demande de celui-ci… Le film multiplie ainsi les pistes et les intrigues, nous menant, voire nous manipulant, au gré de ses détours. Mais il met en scène également autant
de personnages ambigus et troubles, qui peu à peu fascinent : si l’homme est victime de vertiges incontrôlables, la femme qu’il prend en filature se révèle tout à fait instable elle aussi, comme
possédée par l’esprit d’une morte, s’étant suicidée à l’âge que vient justement d’atteindre le personnage de Kim Novak… Le mystère s’épaissit et la vérité s’avérera bien entendue encore plus
incroyable que ce que l’on imaginait !

Comme toujours chez Hitchcock, on assiste avec « Vertigo » à une grande leçon de cinéma ! La mise en scène est nette, sans bavure et toujours parfaitement signifiante… On admire le découpage des
scènes de filatures, à mi-chemin entre le polar noir et le romanesque à tendance romantique, quand dans une scène mythique, le héros sauve la femme de la noyade en la sortant de l’onde où elle
s’est jetée… Mais l’élément le plus notable de la réalisation demeure probablement ici l’invention du « travelling compensé », soit un travelling accompagné d’un effet de zoom en sens inverse
pour donner un effet de « vertige » garanti, laissant l’impression d’une curieuse dilatation du décor. Il s’agit bien sûr de la fameuse scène du clocher, où John grimpe les escaliers puis regarde
le bas des marches, en voyant alors le sol s’éloigner de plus en plus… Le procédé fut d’ailleurs surnommé aussi « effet vertigo », puisqu’il était utilisé pour la toute première fois de
l’histoire du cinéma dans ce film.

Une mise en scène qui sert justement le phénomène obsessionnel qui parcourt « Sueurs froides » : l’obsession pour les couleurs (avec l’utilisation de filtres multiples), pour des figures
géométriques (à commencer par celle de la spirale, représentation symbolique du vertige, que l’on retrouve dans des mouvements de caméra circulaires, notamment dans une séquence de rêve
hypnotique et presque psychanalytique, mais aussi dans les figures des escaliers ou du chignon de l’héroïne et de son « double » représenté sur un tableau dans un musée), ou encore obsession pour
la femme, mais qui prend ici des aspects d’étranges déviances…

Fidèle au reste de son œuvre, Hitchcock procède en effet ici à une réification de la femme, ou plus précisément de certains attributs féminins : la fétichisation de la chevelure bien sûr, d’une
femme filmée de dos, suivie par un homme, que certains sont allés jusqu’à interpréter comme le symptôme d’une frustration sexuelle chez le cinéaste… Mais l’obsession passe aussi par les objets :
les vêtements, le maquillage ou encore les bijoux (le pendentif que porte la jeune femme autour du cou), dont le désir méticuleux devient inquiétant lorsque le héros croit rencontrer le sosie de
la femme après sa mort et qu’il cherche à la transformer en la disparue, avec un soin du détail compulsif ! La perversion pure n’est alors plus très loin : en faisant émerger le visage d’une
morte présumée sur une femme lui ressemblant de façon troublante, le personnage de James Stewart plonge alors en plein désir nécrophile… Hitchcock l’avait d’ailleurs très clairement confié à
Truffaut : « Il y a la volonté qui anime cet homme de créer une image sexuelle impossible ; pour dire les choses simplement, cet homme veut coucher avec une morte, c'est de la nécrophilie ». Il y
aurait tant à dire, d’ailleurs, de la sexualité défaillante du personnage : s’il était très clairement impuissant dans le roman, Hitchcock s’amuse à biaiser à travers divers dialogues savoureux
et autres métaphores inattendues. On pense entre autre à cette montée du héros sur un escabeau, marche après marche, pour tester sa sujétion au vertige : une marche, deux marche, et patatra,
c’est la débandade ! Pas de plus belle image pour évoquer des troubles de l’érection, n’est-ce pas ?



 



Mise en perspective :



- Lifeboat, d’Alfred Hitchcock (Etats-Unis, 1943)



- L’inconnu du Nord-Express, d’Alfred Hitchcock (Etats-Unis,
1951)



- Fenêtre sur cour, d’Alfred Hitchcock (Etats-Unis, 1954)































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7 commentaires:

  1. Trouble, suspens, humour, sexe, violence (pas explicites hein, pas vulgaires) : tout y est. Un des meilleurs Hitch, et je te trouve bien sévère dans ta notation. Mais le commentaire y
    est, et de belle manière donc ça va.

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  2. Deux étoiles pour un commentaire qui en vaut quatre ?

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  3. Je vais me faire taper sur les doigts mais je n'ai pas encore vu ce film (de Vertigo, je ne connais uniquement que sa poursuite inaugurale). Mais je compte bien le voir un jour surtout que, comme
    tu le soulignes, Hitchock à inventé "le travelling compensé" grâce à ce film.

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  4. Superbe film du maitre. Le suspense augmente à petite dose avec 2 summum cultes. Kim Novak est éblouissante. Bon point pour la photo que je trouve plus travaillée que dans la plupart de ses
    autres films. 4/4

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  5. Vertigo est un réel chef d'oeuvre. Comme l'a souligné Neil, il s'agit d'un film polymorphe perfectionné au possible. Une oeuvre d'art qui n'a rien à envier aux plus grands chefs d'oeuvre de
    l'Histoire et qui prouve que le cinéma est un indéniable Art Majeur.


    C'est vrai que le billet est peut-être décalé avec la note... chacun aura son propre ressenti du film de toute façon.


    Pour moi, c'est un évident 4/4

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  6. Wow. Je me suis dit qu'il fallait que je me fende d'un commentaire pour exprimer mon désaccord avec la note, et finalement je ne suis pas le seul, ni le premier.


    En effet, Vertigo est monumental pour toutes les raisons évoquées dans le très bon article. tu aurais peut-être pu évoquer l'excellence du jeu de Stewart et la beauté surréelle de Kim
    Novak (ce regard !).

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  7. oui je ne sais pas, ce n'est probablement pas mon hitchcock préféré... mais 2 étoiles, ça reste d'excellente tenue, quoi qu'il en soit ! :)

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