lundi 28 mars 2011

[Critique] Les yeux de sa mère, de Thierry Klifa



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Les yeux de sa mère, de Thierry Klifa (Belgique, France, 2010)



Sortie le 23 mars 2011



Note :
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« Les yeux de sa mère » est une histoire à voix multiples, espacées, qui finiront toutes par se croiser et se retrouver à l’unisson, à un moment ou à un autre. De là à parler de « film choral »,
il n’y a qu’un pas, même si le « mélodrame » flamboyant, voire exacerbé, conviendrait bien mieux pour le qualifier. Jugez plutôt : un écrivain reconverti dans la publication de biographies à
scandales devient l’assistant d’une célèbre présentatrice télé afin de fouiller dans sa vie et dans celle de sa fille danseuse étoile, qu’il a brièvement connu naguère, pour y trouver la matière
de son prochain volume… Tous les ingrédients sont là pour emporter le spectateur dans un torrent intarissable de folles passions : des relations amoureuses tragiques et insolubles, des rapports
familiaux désagrégés, des secrets du passés qui resurgissent, un enfant caché, des manipulations et des trahisons… Le tout porté par un arrière-plan attractif et tape à l’œil des affres de la
célébrité, qui se permet de mettre en parallèle avec une belle habilité le monde de la danse classique, celui d’un sport brutal comme la boxe et l’univers populaire de la télévision…

Le mélo est bel et bien présent de bout en bout, mais il convient de remarquer très vite que Thierry Klifa se joue de ses codes avec un brio qui impressionne, entre une ironie décalée et un
respect presque amoureux du genre… Du coup, le cinéaste utilise les clichés avec ostentation pour mieux les aligner, les exagère avec fougue pour mieux les transcender ! On nage alors en pleine
ambiguïté, à la fois en plein mélodrame à l’efficacité indiscutable et dans des effets de distanciations discrets, qui nous rappelle à chaque fois les artifices de la fiction… On peut donc
sourire à de nombreuses reprises en regardant « Les yeux de sa mère », mais on n’échappe pas non plus aux pleurs et à l’émotion forte, qui finit par tout emporter et à laquelle on croit
étonnamment malgré les invraisemblances et en dépit de toute raison !

N’empêche qu’en enfilant ainsi tous les rebondissements attendus, Klifa réussit au final à faire passer des choses d’une finesse et d’une sincérité remarquable ! On pense notamment à tous ces
portraits de mères défaillantes malgré elles qui émaillent le film : elles ont fait des erreurs, le reconnaissent et en souffrent énormément… Elles cherchent à se racheter et sont en cela
profondément émouvantes ! Il y a la mère absente (par négligence ou parce qu’elle est morte), la mère qui abandonne, la mère qui ne sait pas s’y prendre… et puis il y a aussi ces mères par
procuration, qui élèvent des enfants qui ne sont pas les leurs comme s’ils étaient les leurs ! Une telle déclaration d’amour à la filiation maternelle évoque forcément le cinéma de Pedro
Almodovar, « Tout sur ma mère » en tête, surtout qu’il y a dans la mise en scène et l’écriture de Klifa les mêmes excès, la même exagération et la même folie débridée, parfois… Autre détail
amusant : le scénario des « Yeux de sa mère » s’aventure aussi du côté de l’incertitude sexuelle, conjuguant les genres avec un trouble étonnant lorsque le jeune boxeur tombe amoureux de
l’écrivain… Sauf que le film s’apprête alors à effleurer la tragédie œdipienne à ce moment là : inceste ou pas, l’ultime séquence du film tend plutôt à nous en convaincre, mais suffisamment
discrètement pour que le doute subsiste. Si le jeune garçon a bien les « yeux de sa mère », devra-t-il finalement se les crever pour avoir voulu coucher avec son père ? Mais ça, l’histoire ne le
dit pas…

Intense et merveilleux, le film est rendu bien plus éclatant encore par la présence de ses acteurs radieux, tous plus talentueux les uns que les autres ! Catherine Deneuve est comme toujours
insurpassable, jouant d’ailleurs avec un personnage de célébrité qui pourrait bien être son propre double fictionnel… Tout le reste du casting est irréprochable et probablement savamment dirigé :
Nicolas Duvauchelle, Géraldine Pailhas, Marisa Peredes (autre clin d’œil almodovarien !), Marina Foïs, Jean-Marc Barr… et jusqu’à Jean-Baptiste Lafarge, un jeune acteur débutant absolument
bluffant, capable d’être à la hauteur de tous les autres et de dire à l’imposante Deneuve d’« aller se faire foutre » tout en demeurant parfaitement crédible… Une vraie révélation !































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6 commentaires:

  1. Je suis un peu moins emballé que toi par le film, le côté cliché du mélodrame m'a un peu géné, même si j'ai pas passé un mauvais moment. Par contre je te rejoins totalement sur JB Lafarge, vraie
    révélation. Je parie d'ores et déjà sur lui pour le César du meilleur espoir. C'est d'ailleurs lui qui apporte les plus beaux moments d'émotion du film. J'ai également été très touché par le
    couple de parents que forment Marine Foïs et Jean-Marc Barr, dommage que leurs rôles ne soient pas plus importants.

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  2. Coucher avec son père ? Je comprends pas comment tu en es arrivé à cette conclusion. C'est de la symbolique, je suppose ;-). A+. Marco.

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  3. Le film avait un potentiel mélodramatique certain, mais je trouve qu'il ne se lâche pas assez, qu'il n'est pas aussi flamboyant qu'un Almodovar ou qu'un Sirk. Comme si
    Klifa se retenait, comme tu le dis. Quant à la relation Duvauchelle/Lafarge, elle m'a un peu gêné. Tout d'abord parce que je ne l'ai pas trouvé crédible, que je
    trouvait qu'elle arrivait comme un cheveu sur la soupe. Sauf si comme tu le supposes elle induit un rapport père/fils improbable mais éventuellement possible, ce qui n'est pas assez exploité je
    trouve.

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  4. Pas aussi dithyrambique que toi... Si le scénario n'est pas dénué d'intérêt on est gêné par l'embouteillage de symbole plus ou moins fort (Deneuve en PPDA féminin, Pailhas en Pietragalla,
    l'écrivain poubelle qui ne laisse pas tranquille les amis stars...). Quelques ajouts inutiles (par exemple l'homosexualité mal placée dans l'intrigue et qui n'apporte rien). Un film pas
    spécialement mauvais mais juste un mélo français dans la moyenne. 2/4

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  5. J'ai vu le film oui, et j'ai peut-être loupé une info mais j'avais compris qu'ils s'étaient rencontré il y a longtemps et que Duchauvelle avait embrassé Pailhas (et non pas l'inverse comme il
    avait voulu lui faire croire) ... mais c'était tout. Pas de coucherie. D'ailleurs la danseuse ne le reconnait pas vraiment quand ils se rencontrent et se souvient même pas du baiser ... Tu as
    raison, très belle scène sur la plage. je m'y attendais pas, même si je trouvais leur relation délicieusement ambigüe ;-)

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  6. D'abord si le scénario n'est pas dénué d'intérêt on est gêné par l'embouteillage de symbole plus ou moins fort (Deneuve en PPDA féminin, Pailhas en Pietragalla, l'écrivain poubelle qui ne laisse
    pas tranquille les amis stars...). Au final les liens entre l'écrivain, la journaliste et la danseuse (Pailhas superbe mais sous-exploitée) est la partie la moins intéressante ; en effet le fils
    caché (excellent espoir !) et ses parents sont clairement les plus intéressants. Une histoire riche mais mal exploitée. On reste sur notre faim. On peut être déçu par quelques ajouts inutiles
    (par exemple l'homosexualité mal placée dans l'intrigue et qui n'apporte rien). Un film pas spécialement mauvais, un mélo français dans la moyenne en somme.2/4

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