vendredi 11 février 2011

[Critique] Black Swan, de Darren Aronofsky



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Black Swan, de Darren Aronofsky (Etats-Unis, 2010)



Note :
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« Black Swan » n’est pas seulement un grand choc artistique, il appartient aussi à la catégorie des films inclassables, pour ne pas dire « impossibles » ! Tous les genres semblent ainsi contenus
en son sein : thriller, drame, fantastique, comédie musicale, conte de fées, horreur… Tous les genres, mais aussi tous les arts, comme s’il s’agissait là d’une œuvre « totale » : l’image, les
sons et la musique, la danse… jusqu’à la peinture, à travers les portraits que réalise la mère de l’héroïne en pleurant ! Tel un grand mystère, le film de Darren Aronofsky s’apprivoise doucement
et empile successivement les pièces qui conduisent finalement à l’émerveillement le plus inouï…

Dans le milieu de la danse classique, Nina (sublime et inspirée Natalie Portman !) décroche l’audition pour incarner à la fois le cygne blanc et le cygne noir dans une nouvelle version du « Lac
des cygnes » de Tchaikovsky par un chorégraphe mystérieux (Vincent Cassel). Mais à trop vouloir en faire, à force d’un travail harassant, la jeune femme semble réaliser un voyage au cœur de la
folie, et peut-être même bien aux portes de la mort !

En racontant l’évolution de la danseuse du cygne blanc au cygne noir, mimant ainsi la destinée du célèbre et gracieux animal du ballet, Aronofsky filme en réalité le passage d’une innocence vers
une force éminemment obscure. Nina se transforme peu à peu en son double inversé : d’une petite fille sage et obéissante, elle deviendra une femme fatale et effrayante… De la lumière vers
l’obscur, c’est aussi un voyage à travers le double que propose le cinéaste. Avec le personnage de Lily, étonnante et troublante figure dans la vie de Nina, qui représente à la fois une altérité
séduisante (mais corruptrice !) et une unité fusionnelle, les deux jeunes femmes finissant par se « consommer » lascivement… Mais bien au-delà du seul plaisir lesbien ou d’une réponse à des
pulsions intimes qui la tourmentent depuis trop longtemps, c’est avant tout en elle-même que Nina plonge alors, complètement et inconditionnellement ! Elle passe à travers ces miroirs qui ne
cessent de l’entourer quotidiennement, pour ne pas dire de la cloisonner et de l’enfermer en elle-même…

Bizarrement, le rapport à l’autre se confond ainsi avec le rapport à soi à travers cette étrange Lily, dont on doute parfois même de l’existence véritable… Mais cette rencontre avec l’autre, qui
est en réalité soi, doit passer d’abord par l’émancipation et la renaissance du cygne, ce que montre le film avec la relation troublante et oppressante de l’héroïne avec sa mère. Celle-ci
apparaît d’abord comme aimante et compatissante, avant de devenir presque littéralement un monstre dévorateur qui empêche sa fille de vivre… Scène incroyable où l’on voit Nina se toucher sans
modération sur son lit, avant de se raviser aussitôt quand elle s’aperçoit que sa mère dort juste à côté d’elle : l’envol du cygne n’est peut-être pas encore pour tout de suite…

La grâce semble contaminer chaque plan du film ! On a purement et simplement l’impression d’assister à un grand tout lyrique (et physique !), porté par la musique magistralement orchestrée du «
Lac des cygnes », poussé par une mise en scène en mouvement permanent, nous emportant dans un débordement des sens, une « danse » des émotions. On pénètre définitivement dans la peau du
personnage, mais surtout dans sa tête, dans son délire et sa dérive fantasmatique. L’ambiguïté demeure dans chaque image, mimant la perte de contact au réel du personnage de la fiction, mais
aussi du spectateur, qui « décolle » majestueusement avec elle !

« Black Swan » possède les marques du thriller horrifique pour paradoxalement nous raconter une simple histoire de danseuse. La tension est permanente, l’utilisation de la musique remarquable en
tout point (variation des intensités, exagération des sons…), et se couper les ongles ou s’arracher un morceau de peau devient une pure scène de torture, aux frontières du film gore… Mais c’est
justement de son paradoxe, de son ambiguïté ou de son indécision constante, appelez ça comme vous le voudrez, que le film impose toute sa grandeur !

Sans compter que cette façon qu’a l’héroïne de tout donner pour l’art ne représente pas seulement la souffrance permanente du travail sur soi et sur les limites de son corps inhérents à
l’exercice de la danse, c’est aussi, et probablement surtout, une recherche désespérée de la perfection et d’un absolu, que le personnage finira d’ailleurs par atteindre en incarnant le cygne sur
scène, de la lumière à l’obscurité, du blanc vers le noir, jusqu’à se retrouver teinté de rouge, lorsque la mort, incontournable et enivrante, arrive enfin… L’issue du film était ainsi jouée
d’avance, puisqu’une représentation « parfaite » ne peut fatalement qu’être unique, et vivre l’art et le spectacle jusqu’au bout pour un artiste, c’est forcément un peu mourir, au sens propre ou
métaphorique, au fond peu importe… Bien plus qu’un film, bien plus qu’un enchantement, « Black Swan » s’avère être un envoûtement, duquel on ne peut ressortir que dévasté, éreinté et troublé, si
tant est qu’on en ressorte…



 



Mise en perspective :



- Les chaussons rouges, de Michael Powell et
Emeric Pressburger (Grande-Bretagne, 1948)



- La critique du film sur Tadah ! Blog



- La critique du film sur Silence Action































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17 commentaires:

  1. Bonsoir Phil ciné, j'ai du mal à être convaincue car j'ai détesté The Wrestler et Requiem for a dream. Je ne suis pas sûre d'aller voir Black Swan surtout avec des scènes d'auto-torture. Bonne
    soirée.

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  2. Un poème splendide entre beauté et folie, véritable ode à l'art et à l'abnégation des artistes... Chef d'oeuvre et d'ores et déjà le film 2011 à ne pas louper. 4/4

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  3. Content de lire que tu es conquis. Je vais attendre qu'il sorte en vidéo pour le revoir.

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  4. Oui, tu as parfaitement saisi ce qui rend le film inimitable : il est sur la corde raide, toujours à deux doigts de se casser la gueule (trop ceci, trop Cronenberg, trop Chaussons rouges, trop
    cela, trop gore, pas assez terrifiant, trop musique classique, trop de Cassel, pas assez de sexe, etc), et pourtant il sort par le haut grâce à un final époustouflant, et après avoir tutoyé les
    abimes. Du grand Aronofsky. Je me demande bien ce qu'il pourra faire après un doublé pareil (Wrestler/Black Swan) ?

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  5. C'est vraiment une des réussites de ce début d'année. Impressionantes de bout en bout, la mise en scène d'Aronofsky et l'interprétation de Portman tutoient les sommets. Et j'ai beaucoup aimé
    cette mise en image des troubles physiques et psychologiques du personnage principal. (Celà dit, je n'avais pas prêté beaucoup d'intention à l'homosexualité refoulée de l'héroïne, j'avais plutot
    vu ça comme un effet "tendance" qu'ajoutait le réalisateur de manière artificielle....)

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  6. Très bonne critique pour un chef d'oeuvre absolu. Très très bonne surprise de ce début d'année. Natalie Portman magnifique et bourrée de talent, Cassel toujours aussi bon, le scénario est
    magnifique et subtil. Bref, à voir et revoir (j'y retourne mardi :D).

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  7. quel film


    un vrai truc de fous


    magique, envoutant, iréel


    un ultime moment de cinéma

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  8. @Phil, oui, vu au MK2 Bibliothèque avec  le débat avec Aronofsky.

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  9. C'est bien étrange... Ca te dit quoi ?

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  10. T'es donc sur une page vierge ou tu reçois une erreur ?

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  11. T'es sur quel version d'internet explorer ? Si ça se trouve j'ai un bug avec certaines versions mais ça m'étonnerait un peu, ma configuration est à peu près standard.

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  12. Tu mets le doigt dessus, Black swan est au cinéma ce que les portraits faits par la mère sont à la peinture : non pas des croutes, mais des productions folles qui s'obstinent vers la perfection
    et qui ne donnent que des ratés.

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  13. Ouais y'a cette idée de transcendance, de dévouement total à l'art qui est pas mal. Mais venant d'un réal qui remixe des oldies (Polanski, Visconti, etc), ça me semble déplacé.


    Je le démembre sur ASBAF http://www.asbaf.fr/2011/02/black-swan-mauvais-cygne.html

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  14. Troublant, épuisant, transcendant, extatique... Pas assez d'adjectifs pour décrire les sensations et sentiments que ce film suscite. Je l'ai vu ce matin mais j'en ai encore mal au ventre, j'ai le
    corps brisé comme celui de Nina comme si j'avais été elle pendant presque deux heures. Tu as tout dit : la beauté des images, de la musique, des corps. Un film dont on ne ressort pas indemne.
    Oserais-je le dire? Mon premier "orgasme filmique". Merci de m'avoir conseillé d'aller le voir.

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  15. Phil siné a sorti sa plus belle plume pour chanter les louanges de ce film cygné Aronofsky. Tout en reconnaissant la virtuosité du metteur en scène et sa capacité à creuser  un sillage
    singulier dans l'open field hollywoodien, j'ai du mal à m'enthousiasmer au même point. L'intéressante mise ne perspective avec "les chaussons rouges" de Powell, cette même quête de la
    perfection à travers la danse sur laquelle Aronofsky semble vouloir en effet jeter une lumière noire, montre paradoxalement tout le fossé qui sépare les deux oeuvres. Quand l'un s'autorise à une
    fantaisie noire prodigieusement peinte de couleurs vives et portée avec une maestria de mise en scène, l'autre s'égare dans un choix formel douteux : celui de la caméra portée en permanence.
    L'influence des Dardenne patente dans "the wrestler", incontestable réussite dont la puissance émotionnelle résidait dans le vérisme de ses images, est ici dévoyée au profit d'un onirisime
    psychotique propre au cinéma fantastique qui finit par freiner l'entière implication du spectateur dans l'histoire. Il voulait engendrer un film noir, mais il accouche d'un film gris. Ce que j'ai
    appelé sans doute un peu sévèrement un film "frigide".

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  16. Black Swan n’est pas un simple film, c’est un chef-d’œuvre qui a surpris plus d’un. Cette production américaine serait, sans l’ombre d’un doute, idéale pour
    ceux qui ont un penchant pour les longs-métrages psychologiques.

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  17. film brillant, qu'il me tarde d'ailleurs de revoir...

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