vendredi 8 février 2013

[Critique] Les enfants du paradis, de Marcel Carné



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(France, 1945)




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Elu comme « le meilleur film français de tous les temps » par des « professionnels de la profession » à l’occasion du centenaire du cinéma en 1995, « Les enfants du paradis » demeure quoi qu’on
en dise un film immense et universellement reconnu… Il faut dire que rien que le contexte historique dans lequel il a été conçu est en lui-même assez mythique : réalisé en plein pendant la
seconde guerre mondiale, l’équipe du film prenait des risques non feints en faisant travailler des membres actifs de la Résistance (comme par exemple Jacques Prévert) ou même des juifs (Alexandre
Trauner à la conception des décors ou Joseph Kosma à la musique), ces derniers étant condamnés à œuvrer dans la clandestinité et à ne pas être crédités au générique… La grandeur des décors et
l’ampleur du film représentaient en outre une dépense folle en ces temps difficiles, ce qui ne manqua pas de faire jaser et de faire planer sur le tournage un parfum de scandale. Georges Sadoul
expliquera justement que le film « représentait en 1943-1944 un acte de foi prodigieux, une cathédrale élevée à la gloire de l'art français à l'heure la plus terrible. »

Si l’action des « Enfants du paradis » se déroule en 1828, c’est bien sûr en partie pour détourner l’attention de la surveillance nazie (la stratégie de situer un film dans le passé pour faire
croire que l’on ne parle pas de l’époque actuelle), mais aussi, suite à la volonté de Jean-Louis Barrault, pour évoquer le célèbre mime Jean-Gaspard Debureau ainsi que quelques autres véritables
personnalités de l’époque décrite… Le contexte permet surtout de rendre un hommage vibrant et passionnant au monde du théâtre, à travers une mise en abyme fascinante des troupes théâtrales de la
première moitié du 19e siècle, qui démarre dès l’ouverture du film avec une montée de rideau découvrant le décor de l’action (les deux « époques » du long métrage s’ouvrent et se ferment
d’ailleurs sur ce même rideau typiquement théâtral) et qui se poursuit avec de nombreuses représentations théâtrales sous le regard de la caméra de Marcel Carné ! Deux conceptions du théâtre
s’affrontent d’ailleurs sous nos yeux, incarnées par deux personnages aux personnalités bien distinctes : Baptiste Debureau et Frédérick Lemaître, le premier symbolisant le théâtre muet de la
pantomime et le second celui de la parole et de la voix portée et fanfaronnante, citant abondamment Shakespeare… Si l’opposition rappelle entre autre la rupture entre cinéma muet et parlant, le
discours sur les rapports de l’art théâtral avec la vie elle-même s’élargit à l’ensemble des arts, avec pour conception centrale l’idée de la « représentation » : l’art comme représentation de la
vie, mais la vie aussi comme représentation permanente… la vie et l’art, donc, comme toujours intimement liés ! Enfin, le titre même du film, forcément ambivalent, s’inscrit lui aussi dans un
contexte purement théâtral : il y est rendu hommage, comme à l’occasion de plusieurs scènes au cours du long métrage, au public du « paradis », soit le haut du théâtre, le « poulailler » où se
trouve les places les moins chères et par là même le public populaire, celui qui réagissait le plus lors des représentations et que préférait justement pour ça Jacques Prévert.

Mais au-delà de ses questionnements artistiques ou de sa dimension d’« œuvre de Résistance », « Les enfants du paradis » est peut-être avant tout une splendide œuvre atemporelle et universelle
sur la vie, le désir et l’amour fou, qui parlera certainement à tous ceux qui auront la chance de le voir, en dépit de toute considération d’époques, d’âge ou de sexe… Autant inspirée de
tragédies classiques que modernes, entre le théâtre antique et celui de Shakespeare, l’intrigue évoque les amours forcément impossibles de Garance, la femme libre et presque libertaire avant
l’heure, et de Baptiste, le mime introverti et amoureux transi, autour de qui se jouent et se nouent d’autres intrigues amoureuses. Si le destin s’amuse cruellement avec les personnages, tous
sont incarnés avec suffisamment de cœur pour exalter la grandeur des sentiments : Arletty, Jean-Louis Barrault, Maria Casarès, Pierre Brasseur… un casting de rêve qui nous ferait croire au
Paradis ! Le tout mis en scène par la grâce toute en « réalisme poétique » de Carné et mis en mots par les dialogues sublimes et plein de poésie de Jacques Prévert. On ne compte plus les
répliques devenues cultes qui émanent de ce film littéralement « merveilleux », à commencer par celle qui nous permettra de conclure avec la gouaille savoureuse d’Arletty : « Paris est tout petit
pour ceux qui s'aiment comme nous d'un aussi grand amour ! »































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