vendredi 6 avril 2012

[Critique] Les adieux à la reine, de Benoît Jacquot (vu par R.C.)



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(France, Espagne,
2011)



Sortie le 21 mars 2012




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R.C., pongiste et écrivain, nous fait l'honneur de livrer sa critique des "Adieux à la reine", en exclusivité pour Phil Siné...



 



Peinture crédible de la vie à Versailles un certain été 1789, au cours des quelques jours où tout a basculé, "Les adieux à la reine" ressemble à peu près au film qu'aurait réalisé Sofia Coppola
si elle avait été française et si elle avait eu le bon goût de nous épargner ses caprices de petite fille "hype". On peut s'amuser à comparer les deux films. Coppola se doit, pour son public,
d'installer plus de repères et de rappels biographiques. Jacquot laisse les blancs en jouant sur le savoir des spectateurs. Un seul mot (« Bastille ») sonne pour nous comme un couperet
et installe une idée de fatalité, car l'Histoire est déjà écrite. Les personnages, quant à eux, ne la connaisse pas ; les voir apprendre, comprendre, interpréter puis s'affoler crée un effet de
dissonance tragique garanti. On a l'impression lorsque la reine fait ses préparatifs qu'elle va réellement prendre la fuite, et on tremble avec elle favorisé par l'unité de temps et d'action.
Mais il n'est pas question de regrets ou de ce qui aurait pu être. On ne verra pas ici ce plan ridicule et déplacé (mais c'était avant la crise...) d'un beau lustre qui pendouille et du saccage
de toutes ces beautés raffinées, macarons et jolies chaussures, quel gâchis...!



Le Versailles de Jacquot est absolument inédit pour trois raisons. D'abord, il n'est pas statique. J'ai parlé d'unité de temps et d'action, il y a aussi unité de lieu et de vision, mais ça ne
ressemble en rien à du théâtre. L'idée de mouvement est ce qui motive le film, les personnages étant lancés comme des flèches, l'arc étant la prise de la Bastille. Guitry et Rossellini filmaient
Versailles en plan fixe, Coppola syncopait son montage en copiant Malick, la caméra de Jacquot systématise l'utilisation du panoramique zoomé (le plus souvent en fait, un zoom
« déviant » latéralement en panoramique). L'effet est étrange et même inquiétant car il rend le mouvement fluide et pourtant instable. Le cadrage qui ponctue ce genre d'effet est
fatalement un gros plan. Dieu sait que je déteste les gros plans, on dirait du crachat de visage sur l'écran, mais ici, un peu comme chez Dreyer, ça fonctionne plutôt bien grâce aux enchaînements
du montage. On peut avoir l'impression que la caméra cherche à sonder quelque chose sans y parvenir (vous le dites si c'est de la branlette, ma critique...), cela offre surtout une sensation de
cauchemar, le cadrage, les visages, le point de vue, tout se déforme en permanence. La monarchie perd sa forme fixe, celle qui est la sienne depuis des siècles. En cours de route, la majesté de
la reine s'effiloche, elle devient de plus en plus monstrueuse.



Un autre point remarquable du Versailles de Jacquot est qu'il ne se borne pas aux personnages historiques. Les servants sont composés avec le même soin que leurs maîtres. Cela permet de
multiplier les angles de vue. On ne s'identifie pas seulement à la reine (laquelle était identifiée à Coppola elle-même dans son "Marie-Antoinette"), ni même à notre guide, Sidonie Laborde, qui
est plus une sorte de moteur (la pointe de la flèche en quelque sorte), mais il se crée une mosaïque de points de vue, qui va de l'admiration au dégoût, et cela sans faire intervenir celui des
révolutionnaires. Jacquot a une distance juste par rapport à ça : neutre, réaliste, sans artifice.



Le dernier point inédit, comme on l'a vu, est cette idée de filmer un Versailles moins fastueux, moins riche que dans les clichés, nous montrant un peu l'envers du décors. Il n'y est même plus
question de la destruction du beau (pas de lustre qui pendouille, donc), mais de la remontée du sale, à l'image de cette double apparition d'un rat. L'amie de Sidonie lui demande si elle n'a rien
oublié et elle sort de derrière son dos un gros rat par la queue. Il y a l'un de ces zooms dont on a parlé et qu'on pourrait ici qualifier de « maléfique », comme dans les films
d'horreur. Peu après, Sidonie navigue calmement sur le canal quand sa main accroche un rat mort flottant sur l'eau. Les égouts semblent remonter à la surface, les dorures décrépissent, l'eau de
l'étang croupit, il y a des moustiques, des piqûres. Et ces couloirs sombres qui ressemblent à des souterrains... Ça grouille de vie, en particulier au cours de cette fameuse séquence de la nuit
blanche filmée quasiment d'une traite. Les gens y sont assimilés aux rats du début, pris par la panique et par l'envie de quitter le navire. L'unité de temps crée alors un effet de fin du monde.
L'unité de la vision renvoie à ce que s'était essayé Spielberg avec succès pour "La guerre des mondes" : on ne sait et on ne voit que ce que Sidonie sait ou voit, avec toutes les lacunes que cela
comporte, ce qui renforce accessoirement la terreur liée à l'inconnu. C'est cette immersion parfaitement maîtrisée qui permet aux spectateurs de ne pas prendre trop de distance par rapport aux
personnages et à ce qu'ils ressentent étant donnés les multiples points de vue envisageables.



Pour revenir à la notion de mouvement, on la retrouve tout entière dans le scénario. D'abord par l'idée obsédante d'une insurrection (on pourrait dire d'une invasion) qu'il faut fuir à tout prix.
Ensuite dans la circulation du désir (des affects en psychanalyse) : Sidonie vers la reine d'une part, la reine vers Gabrielle de Polignac d'autre part et, une fois les espoirs de Sidonie déçus,
il y a un échange de costumes (échange d'affect) très savoureux entre elle et Polignac. Les deux fuient la reine, à sa demande, mais pour des raisons symétriques. L'une l'aime trop, au point de
lui obéir bêtement et aveuglément, l'une ne l'aime pas assez, au point qu'elle obéit (peut-être) avant tout pour sauver sa peau alors que la reine devait espérer secrètement qu'elle refuse de
partir. Interpréter Polignac pour Sidonie est une façon bien sûr de devenir enfin l'objet du désir de la reine, mais c'est aussi une sorte de vengeance inavouée et de sacrifice. L'art des
actrices est de nous faire sentir tous ces éléments contradictoires ou ambigus : Léa Seydoux, dont il me semblait jusqu'à présent qu'elle faisait tout le temps la gueule dans ses films, me paraît
ici plus nuancée. Elle est crédible pour l'époque, moderne quand il le faut, elle porte en elle l'élan fanatique qui va vers la reine, on la sent heureuse quand elle l'approche, malheureuse quand
elle croit ne pas faire ce qu'il faut. Amoureuse, chaste. Tous les romans d'initiation semblent se lire sur son visage. Et c'est un rôle d'autant plus complexe qu'il n'existe que tourné vers un
autre personnage. Le rôle de Marie-Antoinette est complexe pour la même raison (et même doublement complexe : elle existe à travers Sidonie mais se tourne exclusivement vers la duchesse de
Polignac), mais aussi parce que c'est un personnage historique. Diane Kruger compose tout simplement la meilleure version de Marie-Antoinette qu'il m'ait été donné de voir au cinéma. L'accent
autrichien est parfait, ainsi que la douceur, le côté enfantin, l'aspect déterminé, voire impérieux, les caprices et cette manière de prêter une attention délicate aux gens et aux choses pour les
oublier l'instant d'après. La voix est toujours bien placée, les mouvements, le maintien sont ceux qu'on attend vraisemblablement d'une reine dans son intimité. Vous allez penser que je suis
amoureux mais c'est une actrice décidément toujours juste, à qui il est temps de rendre hommage.



Maintenant que j'y pense, je me rappelle que si "Marie-Antoinette" possédait une grande qualité, elle se situait au niveau du son. Je ne parle pas de la musique et encore moins des dialogues
(parfois anglais, parfois français, on ne sait pas trop pourquoi) mais plutôt de ces étoffes de voix, ces chuchotements, messes basses, rumeurs, brouhahas au milieu des salons, des apparats et
des scènes de repas. Chez Jacquot, il y a cette même bonne idée de mise en scène, sauf que chez lui l'enjeu est plus esthétique que dramatique. La rumeur en soi importe peu, c'est sa propagation
qui compte, c'est à dire, encore une fois, le mouvement. Entre les personnages, et de l'extérieur à l'intérieur du château, quelque chose arrive, en douceur d'abord, sur le creux de l'oreille (on
entend à peine ce que la baronne de je-sais-plus-quoi confie à l'oreille de Sidonie au sujet de la Bastille, elle-même lui fait répéter), puis brutalement ensuite, provoquant une vraie confusion,
un chaos. L'utilisation de la musique va dans le même sens : aucune le premier jour, puis quasi continue par la suite, elle reste discrète, parfois dissonante, elle scande, porte ou accompagne
l'élan de la nuit blanche en particulier. Au dernier écho, Sidonie et la comtesse de Polignac, qui ont échangé leur rôle (c'est à ce prix que l'aristocratie peut sortir du château) rejoignent le
peuple. Sidonie, inconsciente du danger, le provoque d'abord ; mais à la toute fin, lorsque la porte de la calèche est ouverte, elle voit, et nous voyons avec elle, le vrai visage de la
Révolution. Ce qui n'était qu'un souffle jusqu'à présent prend corps. La toute fin du film voit la noblesse disparaître, sans regret ni pathos, sans enthousiasme non plus ; elle s'est simplement
disloquée d'elle-même, dans son mouvement propre (l'arrestation attendue n'a même pas lieu ; il n'y a d'ailleurs pas, ou peu, d'action directe montrée dans le film allant des révolutionnaires à
la monarchie : pas d'agression, pas de tête coupée, seulement le présage que cela arrivera, notamment par le biais d'une liste « terrifiante »). Le plus étrange, au moment où Sidonie
disparaît, est cette voix fantomatique : « Je me nomme Sidonie Laborde, je suis lectrice de la reine... » qui la rend à la fois plus vivante (on en apprend plus sur elle en deux phrases
que dans le reste du film) et en même temps sonne comme une épitaphe. Se met-elle à exister en tant que personne tandis que son rôle de lectrice auprès de la reine disparaît ? Toujours est-il que
cette voix off choque l'oreille car ce genre de discours arrive en général au début du film (elle apparaît dans la bande annonce et j'étais certain que tout le film allait être raconté en
flashback, comme dans le roman d'ailleurs). Jacquot ne parle pas au passé ; les choses sont bel et bien en train de se dérouler et se poursuivent après le passage de ces personnages dits
« historiques ». C'est à mon avis une façon d'actualiser le film et mettre en avant l'idée d'un nouveau départ possible, même s'il s'agit d'un saut dans le vide (dans le néant ?
l'inconnu ? un monde meilleur fait de démocratie et d'espoir ?). Ici, et une fois encore à l'inverse de ce qu'a fait Sofia Coppola, c'est bien l'époque qui se projette à nous. Une leçon
d'Histoire, mais tournée vers l'avenir, notre avenir.



 



Perspective :



- Au fond des bois, de Benoît Jacquot (France, 2010)































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jeudi 5 avril 2012

[Critique] Walk Away Renée, de Jonathan Caouette


walk_away_renee.jpg(France, 2011)



Sortie le 2 mai 2012




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Dans une interview, Jonathan Caouette cite de nombreuses inspirations cinéphiles, de John Cassavetes (« Je crois que j’ai fait ma version de « Une femme sous influence », mais en post-moderne et
sous acide ») à Brian De Palma (son utilisation du split-screen à la façon des thrillers du cinéaste), en passant par Lars Von Trier (sa façon de travailler avec la musique dans « Breaking the
waves », notamment). Pourtant, dans la droite ligne de son premier long métrage « Tarnation », « Walk away Renée » ne ressemble à aucun autre film… En bricolant une forme de patchwork de sons et
d’images, composés du film présent en train de se faire, d’images d’archive qu’il tourne depuis qu’il a huit ans, de photos, de conversations téléphoniques, etc., Caouette sait en effet trouver
son propre style, tracer sa propre voie, à forte tendance expérimentale, dans le cinéma d’aujourd’hui… Et rien que cette faculté à imaginer cette nouvelle forme rend « Walk away Renée »
immensément important et précieux ! Dans sa tonalité plus apaisée que son précédent film, on pourrait presque dire que ce deuxième long métrage est comme une version plus posée de l’électrochoc à
fleur de peau que pouvait être « Tarnation »… Evoquant la même histoire - la sienne -, en se concentrant cette fois-ci exclusivement sur sa relation avec sa mère Renée, le réalisateur donne
l’impression que les plaies d’un passé encore à vif sont en train de se refermer, comme si la « psychothérapie » intime à laquelle il s’est livré avec ses films avait fini par fonctionner.

Mais le cinéma de Caouette ne s’arrête largement pas à sa dimension documentaire et narcissique. Peut-être d’abord parce que le cinéaste, malgré les apparences de film décousu de son nouvel opus,
nous propose bien une œuvre écrite et construite, qui nous raconte une histoire : c’est à l’occasion d’un voyage à travers les Etats-Unis avec sa mère entre deux centres de santé où celle-ci est
soignée pour graves troubles mentaux que « Walk away Renée » a été conçu comme un véritable « road trip » familial, avec ce qu’il faut d’émotions et de rebondissements ! Comment ne pas être
touché, en effet, par cette relation forte qui unit l’enfant responsable à cette mère qui a perdu toute autonomie mais qui n’en reste pas moins attachante… L’intrigue se déroule ainsi au cours de
ce voyage en camion de déménagement, quelque part entre Houston et New York, ponctuée de flash-back évoquant le passé et de micro évènements maintenant parfois un suspense tragique, comme la
disparition des médicaments de la mère, qui la fait peu à peu replonger dans sa psychose… Comme le dit Jonathan Caouette lui-même, « mes documentaires sont un mélange de rêve et d’histoires », ni
tout à fait réel, ni tout à fait fiction, persuadé au fond que ce « mélange de fiction et de faits doit produire la vérité ».

D’autre part, ce « vrai faux documentaire » ne s’interdit aucune fantaisie et ose même des incursions inattendues dans le cinéma de genre… Le merveilleux émane ainsi parfois de l’imprévu, comme
l’explique l’acteur-réalisateur : « pour les scènes tournées en extérieur, j’ai flouté par précaution les visages des gens dans la rue. Ca donne un côté fantastique au film, comme si ma mère et
moi étions les seuls personnages à exister ». Mais l’élément le plus surprenant reste probablement cette incursion dans la science-fiction avec l’évocation des univers parallèles, thématique
d’ailleurs très tendance dans le cinéma indépendant moderne, avec des films comme « Rabbit Hole » ou « Another earth ». Esthétiquement, Caouette s’inspire même des représentations cosmogoniques
que l’on a pu voir récemment dans « Melancholia » ou « Tree of life » ! Mais il y a un paradoxe dans sa façon d’explorer cette idée, car les
univers parallèles sont finalement pour lui « une métaphore d’une nouvelle vie » mais aussi « une métaphore de l’inévitable », comme si quelque soit ses choix dans l’infinité d’univers possibles,
il serait toujours en train de s’occuper de sa mère…

Mais au fond, quel que soit la façon de qualifier « Walk away Renée » - fiction, documentaire, rêve, psychanalyse, expérimentation formelle… - on demeure absolument sûr d’une chose, celle
d’assister à une œuvre cinématographique indéniablement révolutionnaire et passionnante ! Avec son don remarquable pour organiser le chaos d’images dans lequel il nous fait naviguer et pour le
mettre en relation permanente avec une bande originale savamment choisie, Jonathan Caouette nous emporte avec lui dans un cinéma puissant et hypnotique, qui nous susurre à l’oreille des vérités
intimes et profondes : « Je fais des films pour rappeler qu’on vit et qu’on meurt », assène le cinéaste dans ce mélange troublant de modestie sincère et de prétention involontaire propre au très
grands artistes…



[Film vu en projection de presse]































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mercredi 4 avril 2012

[Critique] La terre outragée, de Michale Boganim



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(France, Pologne, Ukraine,
Allemagne, 2011)



Sortie le 28 mars 2012




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Avril 1986 : la terrible catastrophe de la centrale nucléaire de Tchernobyl oblige les habitants de la ville de Pripiat à fuir en abandonnant tout derrière eux… 10 ans plus tard, certains
survivants font visiter la ville fantôme et la « zone interdite » à des touristes idiots en mal de sensations fortes… En scindant ainsi son film en deux époques et en embrassant le destin de
quelques personnages seulement, la réalisatrice issue du documentaire Michale Boganim signe une fiction remarquable qui donne à voir ce drame mondial à travers le prisme de l’intime…

La première partie de « La terre outragée » nous montre les habitants de Pripiat vaquant à leurs occupations habituelles, laissant la vie continuer tranquillement alors que l’horreur se produit…
Les indices apparaissent peu à peu : nuages gris, pluie noire, compteur Geiger qui s’emballe… mais la tradition du secret des autorités soviétiques fait tarder la seule décision à prendre pour ne
pas voir mourir toute vie dans la zone irradiée : l’évacuation des lieux arrive alors bien tardivement… Entre-temps, un ingénieur de la centrale, condamné à se taire, ne sait plus quoi faire,
sinon laisser fuir discrètement sa femme et son fils et se cantonner à quelques gestes dérisoires, comme distribuer des parapluies à la population…

De son côté, la belle Anya (superbe Olga Kurylenko) se mariait le jour même de la catastrophe : ce qui devait être le plus beau jour de sa vie se transforme en cauchemar quand son mari est
réquisitionné pour officiellement aller éteindre un feu de forêt, mais officieusement faire parti des « liquidateurs », sacrifiant ainsi sa vie pour juguler l’incident à la centrale… 10 ans
après, elle ne sait pas si elle doit partir ou rester dans la zone, partagé entre son amour pour deux hommes : l’un incarnant l’impossibilité de fuir son passé et l’autre qui lui permettrait de
s’installer en France. Entre deux visites de la zone, elle entonne « Voyage voyage », incitation à l’ailleurs, symbole du désir d’échapper à ce quotidien morne et mortifère ?

Même si le scénario finit un peu par tourner en rond dans la seconde partie, « La terre outragée » demeure un superbe film d’atmosphère, montrant des personnages flottant entre la vie et la mort,
faisant preuve de cette résignation sans faille qui leur permet de rester là… Une détermination à retrouver parfois un parent que l’on a perdu lors de la catastrophe et que d’autres supposent
mort aujourd’hui… Il y a comme une poésie du désastre qui recouvre ces images splendides et tragiques à la fois, aux envolées parfois presque fantastiques : le silence et la neige de la ville
fantôme de Pripiat (la réalisatrice a beaucoup galéré avec les autorités pour tourner dans la zone) où rodent ici et là des enfants seuls et autres pilleurs, cette scène étonnante au cours de
laquelle Anya incite des touristes grossiers à « écouter le bruit de la radioactivité », qui n’est bien sûr qu’illusion mais que l’on croirait presque entendre dans les branches de tous ces
arbres morts qui les entourent… « La terre outragée » est en somme un voyage qui nous hante et d’où l’on se demande si l’on peut vraiment revenir : une expérience envoûtante et méditative…































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[Blog] Phil Siné s’est-il vendu au grand capital ?


antipub_bis.jpgPeut-être l’aurez vous remarqué, un certain nombre de
bandeaux publicitaires pour divers films sont apparus depuis plusieurs semaines sur le blog de Phil Siné… Ce dernier, d’habitude plutôt réfractaire à la publicité et réputé incorruptible en
matière financière, se serait-il laissé manipuler par les promesses illusoires d’une idéologie libérale tentatrice ?

Il faut dire que l’appât du gain et le « miracle » de la « monétisation » des sites personnels, lorsque ceux-ci commencent à générer un trafic confortable, a de quoi faire tourner la tête à bien
des individus favorables à la civilisation de l’argent roi dans laquelle ils vivent… Mais malgré les apparences, et même si vous n’y croyez pas une seule seconde (c’est votre droit le plus
primordial !), Phil Siné ne pense pourtant pas s’être encore « vendu » (ou tout du moins antipub_ter.jpgpas encore complètement) au grand capital et au libéralisme sauvage et inhumain !

D’abord, et si cela peut un peu vous consoler, sachez que la décision d’inclure de la publicité sur ce blog n’a pas été prise à la légère, puisqu’elle a généré un certain nombre d’interrogations,
d’hésitations et de cas de conscience dans le petit cerveau de votre serviteur… Il faut dire qu’à l’origine, « la cinémathèque de Phil Siné » se voulait 100 % indépendante, notamment par le choix
d’une plate-forme de blog garantie sans la moindre publicité… Toute sollicitation avait d’ailleurs été refusée jusqu’alors, à commencer par l’offre sur la rémunération pour « droits d’auteur »
proposée par overblog, qui ne laissait aucun droit de regard sur les campagnes affichées sur le blog : il serait alors devenu délicat de continuer à parler cinéma indépendant à côté d’une
incitation à aller voir le dernier blockbuster ou la dernière grosse comédie franchouillarde du moment, voire pire, d’une pub pour une compagnie aérienne bien polluante ou pour les nouvelles
serviettes hygiéniques hyper absorbantes pour vous mesdames… Définitivement inapproprié !

Si Phil Siné a accepté la proposition de la régie commerciale actuelle, c’est antipub.pngessentiellement parce qu’il considère plus les campagnes qu’elles proposent comme de la « promotion » que comme de la « publicité »… D’abord parce qu’elles sont orientées 100 % cinéma
(logique…), mais surtout parce qu’elles exposent des titres si ce n’est pas toujours complètement indépendants, du moins plutôt fragiles… Les films promus, s’ils ne sont pas garantis être des
chef-d’œuvres ni même de bons films, sont cependant généralement de petits budgets, qu’il n’y a du coup rien de trop honteux à soutenir…

D’autre part, les espaces promotionnels à l’égard de ces films resteront toujours bien cadrés et visibles et ce blog s’interdit encore (et probablement pour toujours) tout billet de type «
publi-rédactionnel » en ses pages : il y aura donc très clairement un espace pour la pub d’un côté et un espace pour les articles et les critiques de l’autre… Si des articles sont rédigés parce
que l’auteur de ces lignes a bénéficié d’une invitation à une projection de presse ou de l’envoi d’un DVD à titre gracieux, cela sera par ailleurs clairement précisé désormais, afin que vous
puissiez vous-même juger du degré d’intégrité du texte que vous lirez, en dépit de mon profond désir d’honnêteté à vous en parler à chaque fois… Mais après tout, je ne suis qu’un homme (eh oui…),
et il n’est donc pas exclu que je sois faible parfois, malgré ma vigilance et ma sincérité !

Sans compter que ce blog demeure bel et bien parfaitement indépendant et continuera de parler des films avec toujours la même intégrité et la même impartialité qui le caractérise ! Vous êtes
certes en droit d’en douter de votre côté, auquel cas vous aurez parfaitement le droit de vous détourner de ces pages éminemment subjectives, qui ne se revendiquent d’ailleurs rien d’autre
qu’être ce qu’elles ont l’air d’être : c’est à dire le blog d’un amateur de cinéma qui cherche à soutenir les œuvres qu’il aime et à partager sa passion avec d’autres cinéphiles…

Maintenant, concernant la présence de pub sur le blog, rien n’est bien sûr définitif, et je serais plutôt curieux de connaître en commentaires de cet article les avis de mes lecteurs éclairés… Je
ne tiendrais certes pas forcément compte de vos remarques (héhé), mais cette tribune est là pour vous permettre peut-être de me convaincre… N’hésitez pas à me dire notamment si vous trouvez les
bandeaux promotionnels trop intrusifs ou si ceux-ci gênent la lecture du reste du blog à vos yeux… Quant aux bénéfices que vont me rapporter ces nouveaux espaces, sachez d’abord qu’ils ne
risquent pas d’être très folichons non plus (et d’une), et qu’il n’est pas exclu de m’en servir à l’amélioration de ces pages (et de deux), par exemple en offrant à ce blog son propre nom de
domaine, ce qui serait carrément classe… et qui sait en outre ce que nous réserve encore l’avenir !































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mardi 3 avril 2012

[Critique] Perfect sense, de David MacKenzie



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(Grande-Bretagne, 2011)



Sortie le 28 mars 2012




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Avec « Perfect Sense », David MacKenzie s’empare d’une excellente idée narrative : mettre en parallèle l’évolution d’une histoire d’amour et la propagation d’un virus étrange, qui fait
progressivement disparaître ses cinq sens à toute l’espèce humaine… Plus fable poétique que véritable film de science-fiction réaliste, le long métrage aborde ainsi la disparition de l’humanité
par le prisme de l’intime, à travers la sensualité même d’une romance. A mille lieues d’un traitement de blockbuster comme pouvait l’être récemment « Contagion », l’épidémie est vécue ici dans la sphère individuelle d’une relation amoureuse
naissante, confrontée à sa désagrégation progressive par la perte des sentiments, symbolisés par la disparition de l’odorat, du goût, de l’ouïe ou encore de la vue (qui marque évidemment la fin
du film dans une totale obscurité) de chacun des personnages, très joliment incarnés par un couple hautement sensuel : Ewan McGregor et Eva Green…

Dans cette histoire, si la profession du garçon, chef cuisinier, se révèle symbolique par rapport au sujet (quoi de plus pertinent que la bonne cuisine pour l’exaltation des sens, avec adjonction
de condiments pour relever le goût après la disparition de celui-ci par exemple), ce n’est pourtant pas parce que l’héroïne est épidémiologiste qu’elle va trouver un vaccin à la maladie en vue
d’un « happy end », comme on pourrait s’y attendre habituellement dans ce genre de film… Et même si l’on peut regretter quelques chutes de rythme ou des séquences assez maladroites et ridicules
(pris d’une fringale compulsive, les individus se mettent à dévorer tout ce qu’ils trouvent, depuis des poissons crus sur les étales marchands à du savon, en passant par des fleurs ou de la
mousse à raser…), la vraie originalité du film se trouve justement dans ce ton parfaitement décalé, étonnant, parfois drôle, et dans cette mise en scène inventive et éclatée, qui le rend unique
et suffisamment intrigant pour mériter qu’on y jette un œil… et voire même les deux !































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lundi 2 avril 2012

[Critique] Saya Zamuraï, de Hitoshi Matsumoto



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(Japon, 2011)



Sortie le 9 mai 2012




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Après deux films complètement délirants (« Big Man Japan » et « Symbol »), Hitoshi
Matsumoto se lance une nouvelle fois dans un « film concept » étonnant, qui ne ressemble à aucun autre et dont le pitch initial aurait pu donner un film parfaitement figé… Or, ce n’est pas le cas
de « Saya Zamuraï », qui parvient vraiment à se renouveler sur la durée, malgré une histoire qui en soi est volontairement répétitive… Le cinéaste nous propose en effet d’y suivre les déboires
d’un pauvre et ridicule « samurai sans sabre », qui est mis au défi par un seigneur excentrique qui l’a fait prisonnier d’essayer de faire sourire son fils en donnant un spectacle de
divertissement chaque jour pendant trente jours, au-delà de quoi il sera condamné à mort… Le film nous donne alors vraiment à voir l’enchaînement logique des trente petits shows du personnage sur
une durée d’un mois !

Un pari fou, sans doute, risquant d’ennuyer le spectateur par un alignement de petites saynètes redondantes, mais un pari tenu cependant, tant le film se laisse regarder avec un vrai plaisir et
sans la moindre lassitude… Il faut dire que les sketchs sont suffisamment diversifiés pour ne pas agacer, et surtout qu’ils suivent l’évolution des personnages, aussi bien Nomi le samurai sans
sabre que ceux qui l’entourent, à commencer par sa petite fille, dont l’extrême maturité prête à sourire, et par les deux gardes du seigneur chargés de la surveillance de Nomi, dont l’un paraît
vraiment débile à garder la bouche constamment ouverte et qui vont peu à peu s’attacher à lui et l’aider dans l’accomplissement des divers spectacles, de plus en plus fous chaque jour qui passe !
Il y a ainsi une gradation dans le ridicule ou l’énormité des mises en scènes de Nomi : depuis une petite danse minimaliste à une envolée dans les airs comme un boulet humain tiré par un canon
géant… Délire !

Débutant presque à la façon d’un cartoon (Nomi se fait agresser violemment par des criminels hauts en couleurs à coup de sabre ou de pistolet dans des geysers de sang complètement irréalistes), «
Saya Zamuraï » se poursuit en enfilant les gags avec un entrain souvent très communicatifs, mêlant le burlesque grossier à des effets mélodramatiques plus humains… Détail amusant, l’acteur
principal Takaaki Nomi a tourné plus de la moitié du film sans savoir qu’il s’agissait de cinéma, Hitoshi Matsumoto l’ayant persuadé qu’il tournait un documentaire sur ses performances
incroyables… Le cinéaste avait d’ailleurs repéré son acteur lors d’une émission de divertissement à la télévision qu’il animait lui-même : sa célébrité acquise sur le petit écran rappelle
d’ailleurs la carrière d’un autre grand cinéaste japonais, Takeshi Kitano, sur les traces duquel Matsumoto semble désormais bel et bien marcher…



[Film vu en projection de presse]



 



Perspective :



- Symbol, de Hitoshi Matsumoto































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dimanche 1 avril 2012

[Critique] Heartless, de Philip Ridley



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(Grande-Bretagne, 2009)




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Voici un film étonnant qui se distingue du cinéma horrifique traditionnel dans la mesure où il se plaît à multiplier les fausses pistes et à brouiller les repères habituels du genre… « Heartless
» se situerait même plutôt au confluant de plusieurs tendances, quelque part entre l’horreur pur, le fantastique, le thriller, le sujet de société et le drame psychologique… L’intrigue mêle en
effet le film de monstres avec une relecture du mythe de Faust et le portrait d’une psychose avec le film de banlieue où sévissent la pauvreté et les gangs ultra violents !

A travers l’itinéraire du jeune Jamie (impeccable Jim Sturgess), le film de jour du saigneurPhilip Ridley nous plonge ainsi dans un univers
sombre de misère sociale, où des jeunes gens livrés à eux-mêmes se mettent à tuer des passants au hasard (dont la mère de Jamie) par pur plaisir… à moins que ces jeunes ne soient en réalité des
monstres, comme le soupçonne peu à peu notre héros ! Bizarrement, le film bifurque un peu et nous emmène sur des routes que l’on n’attendait pas forcément : confronté au Diable (ou quelque chose
comme ça ?), Jamie va accepter un pacte afin de voir disparaître la tache de naissance en forme de cœur qui lui défigure le visage (et lui pourrit socialement la vie !), en contrepartie de quoi
il se verra contraint de tuer poisson_avril_simpson.gifcertaines personnes… C’est ainsi en
devenant littéralement « heartless » (« sans cœur ») qu’il va lui-même devenir un criminel. Mais le film maintient une belle ambiguïté, qui nous empêche toujours de savoir si ce que l’on voit est
le réel ou le monde intérieur de Jamie, qui serait alors en train de devenir fou…

Cette ambivalence constante entre rêve et réalité, entre folie et rationalité, aidé par des effets spéciaux dans l’ensemble très réussis, offre au film son esthétique et sa construction si
spéciale et si originale, qui envoûte tout bonnement son spectateur… Dans un film où tout ne semble alors que faux-semblants, on se raccroche au personnage principal, un être solitaire et rejeté,
dont les rapports au monde et aux autres sont devenus extrêmement difficiles depuis son plus jeune âge… Presque psychanalytique, le film revient sur ses rapports au père défunt et la disparition
de sa mère le fragilise finalement plus que jamais, celle-ci étant le dernier rempart qui le préservait de la violence du monde qui l’entoure… Avec le temps, il s’est créé un refuge, la
photographie, qu’il exige de réaliser en argentique, refusant la technologie numérique : c’est d’ailleurs dans son labo que des photos lui « révèlent » (au sens chimique des produits permettant
de développer les négatifs) l’existence des monstres, exactement comme le film se « révèle » peu à peu dans son imaginaire débordant et polymorphe aux yeux du spectateur passionné !



 



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