vendredi 22 novembre 2013

[Critique] Trois couleurs : Bleu, de Krzysztof Kieslowski



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Trois couleurs :
Bleu



de Krzysztof Kieslowski



(Suisse, Pologne, France, 1993)




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Premier volet de la trilogie française « Trois couleurs », en référence au drapeau national et à la devise de notre patrie (étrangement imbriqués pour un Bleu liberté, un Blanc égalité et un
Rouge fraternité), « Bleu » suit le parcours de Julie (subtile Juliette Binoche !), qui vient de perdre son mari et sa petite fille dans un accident de voiture. De son renoncement au monde à son
retour à la vie, on constate très vite que Kieslowski prend le contre-pied du « cahier des charges » qu’il s’était pourtant imposé : loin de tout travail attendu ou scolaire sur la « liberté »
censément illustrée ici, le cinéaste impose une complexité assez fine, en dépit de l’apparente simplicité de ses images… En effet, de quelle liberté parle-t-on lorsque l’on pense au personnage de
Julie : être débarrassée de sa « charge » familiale alors que tout semblait pourtant respirer l’amour dans son foyer ? la liberté de refaire sa vie alors qu’elle cherche plutôt à la fuir
désormais ? la liberté d’être désagréable avec les autres ou au contraire de les aider malgré l’injustice que l’on a subi ? la liberté de choix entre la vie et la mort finalement ? Les pistes
demeurent ouvertes et se multiplient à l’envie dans une œuvre fascinante et passionnante, d’une richesse rare et pourtant d’une fluidité presque évidente…

A vrai dire, tout le cinéma de Kieslowski se retrouve condensé dans « Bleu » : c’est finalement par l’économie - de mots, de mouvements, d’effets… - que le cinéaste réussit à en dire le plus !
Comme pour chacun de ses films, on assiste à une véritable leçon de cinéma, jusque dans des « détails » de mise en scène. Le réalisateur a expliqué lui-même la difficulté d’un simple plan : celui
d’un morceau de sucre que le personnage de Julie trempe dans son café avant de le laisser tomber dedans. De longues heures de préparation pour trouver le bon morceau de sucre, qui s’imbibe de
café en 5 secondes, plutôt qu’en 3 ou en 10 : une durée de plan de 10 secondes aurait été trop longue alors que 3 aurait été trop courte ! Il fallait 5 secondes pour faire comprendre au
spectateur ce détail, sur lequel Julie se concentre, comme pour oublier le monde et les êtres qui l’entourent… Son personnage est absent au monde et la mise en scène le montre par tous ces menus
détails : un homme agressé qui vient chercher secours dans son immeuble, une vieille dame qui essaie de porter une bouteille à bout de bras dans le container pour le verre… Julie détourne à
chaque fois le regard, pour mieux ne pas les voir. La vie lui a tout pris, elle ne veut donc plus rien lui donner.

Cela n’est qu’un exemple, quand l’intelligence infinie et la profondeur philosophique discrète du cinéma du réalisateur polonais déborde en réalité de toute part ! Les images sont toujours fortes
et puissantes, de par justement leur dépouillement même : Julie qui va à la piscine pour qu’on ne la voit pas pleurer dans l’eau, un écran de télé qui montre des gens épris de liberté sauter à
l’élastique dans le vide (sauter dans le vide, simuler la mort, pour mieux retrouver goût à la vie ?), Julie qui laisse un chat faire à une famille souris ce que le destin a fait à la sienne pour
ensuite s’en dédouaner sur une voisine qui veut bien nettoyer le carnage à sa place… Au début du film, juste avant l’accident, un jeune homme joue au bilboquet et réussit son coup au moment même
où la voiture se crashe dans un arbre : le bonheur des uns doit-il être équilibré par le malheur des autres ? Il y a aussi tout ce bleu, partout, tout le temps, magnifiquement rendu par une
photographie maîtrisée : le bleu comme le blues, le bleu à l’âme, le bleu des coups que la vie nous donnent… Et puis cette symbolique de la partition inachevée : le mari de Julie était un grand
compositeur et travaillait sur une musique importante… La partition est jetée, puis retrouvée, puis jouée mystérieusement à la flûte par un vagabond, avant d’être complétée par Julie et
l’assistant de son mari… La vie continue, coûte que coûte, pour ceux qui restent.































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